Des méthodes peu ragoûtantes
Aliments périmés réétiquetés, clients bernés: voici les méthodes peu ragoûtantes de Carna Center

Dans les magasins spécialisés en viande Carna Center, les clients auraient reçu quasiment systématiquement des produits décongelés, vendus ensuite comme de la viande fraîche, affirment des anciens employés. Sauf que n'est que la pointe de l'iceberg...
Publié: 11:42 heures
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Dernière mise à jour: 14:50 heures
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D'anciens employés de Carna Center dénoncent les méthodes de leurs patrons. Au centre de la photo: Ulrich Rotzinger, journaliste Blick.
Photo: Thomas Meier
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Ulrich Rotzinger

Le secteur de la viande est dans la sauce. Nous avons sorti un premier volet d'une enquête, qui révélait que des anciens employés de longue date lancent des lourdes accusations contre les patrons des magasins de viande spécialisés Carna-Center. Leur avocat nie en bloc les accusations. 

Et ce, malgré le fait que des ex-employés rapportent indépendamment les uns des autres qu'ils ont dû décongeler à plusieurs reprises des marchandises surgelées, en partie périmées, les réétiqueter et les déclarer comme de la viande fraîche. Voici le deuxième épisode de ce scandale. Ce dernier révèle une affaire plus lourde qu’on ne le pensait.

Des méthodes de décongélation problématiques

A Frauenfeld, de la viande de porc sortie du congélateur est décongelée dans l'évier, sous l'eau courante.
Photo: Blick

Un ancien employé rapporte des problèmes dans la décongélation des aliments. Il raconte qu'un jour, un client du Carna Center de Frauenfeld (TG) avait commandé des brochettes de porc fraîches. 

«Comme il n'y en avait pas en stock, on lui a donné du décongelé, qui a ensuite été déclaré comme produit frais», raconte l'ex-employé. Les photos qu'il a prises avec son téléphone portable montrent des caisses entières de viande de porc, qui ont été décongelées pendant la nuit, et ce en partie sous le robinet.

Selon l’association interprofessionnelle Proviande, des erreurs lors de la décongélation peuvent être dangereuses pour la santé. «C'est notamment le cas lorsque la viande est décongelée dans de l'eau chaude ou à temperature ambiante dans son propre jus. Car c'est un terrain propice aux bactéries.» 

Des caisses de porc en cours de décongélation au Carna Center de Frauenfeld.
Photo: Blick

Andreas Meili, avocat de Carna Center, nuance: «Le responsable du site compétent a toujours été, et demeure, en charge des différentes filiales ainsi que des affaires courantes.» Selon lui, la directrice du site ainsi que les chefs de l'époque n’étaient pas au courant de ces méthodes. 

De la viande vieille... de plusieurs années

La fermeture au printemps 2023 de la filiale Carna Center de Frauenfeld met en lumière des faits sordides et inquiétants. On apprend que des centaines de kilos de viande, stockés au congélateur parfois pendant des années, n'ont pas été détruits. 

Selon des sources à l'interne, la marchandise a simplement été transférée vers la filiale de Winterthour. Un exemple: des aloyaux de veau ont été retrouvés avec une date d'emballage du 11 décembre 2018.

En avril 2023, la succursale de Winterthour a reçu de Frauenfeld des aloyaux de veau congelés depuis près de cinq ans.
Photo: Blick
Date sur l'étiquette: 11.12.2018.
Photo: Blick

Selon un ancien employé, les chefs de Carna Center auraient donné pour consigne de «décongeler la viande, la réétiqueter, puis la vendre aux clients de la restauration comme promotion fraîche à prix réduit». Les remarques du personnel, rappelant que les rognons de veau ne peuvent pas être congelés plus de six mois, auraient été ignorées. C’est finalement le directeur du site qui aurait ordonné l’élimination de cette viande, selon nos informations.

«
Il fallait décongeler le bœuf et découper les parties pourries
Un ex-employé témoigne
»

Le site de Winterthour aurait reçu plus de 100 kilos de viande de bœuf de Frauenfeld. Les aliments auraient été congelés entre six à huit ans dans la chambre froide. «Sur ordre des directeurs, il fallait décongeler le bœuf et découper les parties grises», raconte un ancien employé. «Ensuite, nous devions couper la viande en cubes, la faire mariner et la vendre dans le magasin sous forme de brochettes de bœuf fraîches.»

De la viande de bœuf décongelée: selon nos sources, celle-ci est restée six à huit ans dans le congélateur.
Photo: Blick

Autre exemple: le 27 juin 2023, la filiale de Winterthour a reçu du cou de porc surgelé d'un fournisseur. L'étiquette d'emballage datait du 2 mars 2022: «Non commercialisable. Marchandise congelée, à vendre au maximum dans les six mois», a signalé le directeur du site à ses chefs. 

«Déballez, enlevez l'étiquette originale et remplacez-là par une nouvelle date. La marchandise ne retourne pas au fournisseur et doit être vendue», auraient indiqué les chefs à leurs employés. 

D'après les déclarations de Me Meili, l’avocat de Carna Center, ces accusations n'ont pas pu être confirmées officiellement. Il affirme qu’aucune instruction émanant de la direction n’a existé . Il soutient que l'entrepôt de surgelés, qui a ensuite été transféré de Frauenfeld à Winterthour, a été contrôlé. «On a par exemple constaté que des steaks de veau plus anciens se trouvaient dans le congélateur. Ces aliments ont donc été éliminés», explique l'avocat.

Il est intéressant de noter qu'il n’existe aucune durée maximale légale de conservation de la viande au congélateur. En revanche, la réglementation suisse exige une température minimale de -18 °C dans les congélateurs domestiques et professionnels certifiés (3 étoiles ou plus) pour garantir la conservation des aliments.

Un restaurant asiatique se fait piéger

Le cou de bœuf va être transformé en...
Photo: Blick
... de l'échine de bœuf très chère. A l'insu de son client!
Photo: Blick

Un ancien employé du site de Winterthour affirme qu’un restaurant asiatique de Volketswil (ZH) a été piégé. Le restaurateur avait commandé 15,5 kg de steaks de bœuf, mais aurait reçu à la place du cou de bœuf, moins cher, sans que cela ne figure sur le bon de livraison. Selon l'ex-employé, l’emballage du cou de bœuf aurait été reconditionné et étiqueté comme du steak de dos.

Blick possède par ailleurs les images. «Cette falsification d’étiquetage était systématiquement exigée par la direction», affirme l’ex-collaborateur, précisant qu’elle permettait d’augmenter les marges de manière significative. «C'est malhonnête pour le client.»

De son côté, l’avocat de Carna Center, Me Andreas Meili, déclare qu’aucune plainte client n’a été enregistrée et que les vérifications internes n’ont pas permis de confirmer ces accusations. 

Des alertes ignorées

Six mois avant la fermeture de la succursale de Winterthour, le Carna Center aurait reçu un lot de burgers de bison dont la date limite de vente approchait. «Certains emballages portaient encore une étiquette Denner que le livreur n’avait visiblement pas remarquée ni retirée», rapporte un ancien employé, qui était présent lors de la livraison.

D’après ses explications, il s’agissait d’un surplus de stock provenant du fournisseur de Denner, la production ayant généré davantage de produits que le volume initialement commandé. Les burgers n’étaient encore commercialisables que pour une durée de quatre jours. Un collaborateur aurait alerté la direction de Carna Center à ce sujet via un message WhatsApp daté du 22 juin 2023.

Sur WhatsApp, un employé a informé son chef que la marchandise de burgers était en train d'expirer.
Photo: Blick

«La direction nous a ordonné de retirer les anciennes étiquettes lorsqu’il en restait, et d’en apposer de nouvelles sur tous les emballages», affirme un ancien employé que nous avons sollicité. 

Selon lui, l’ensemble du lot de burgers de bison aurait ainsi été déclarés comme frais. La date limite de consommation aurait été prolongée de dix jours, une pratique interdite.

Toujours selon cet ex-collaborateur, ces burgers auraient ensuite été placés dans les rayons du Carna Center de Winterthour sous forme d’offre promotionnelle, où ils se seraient bien vendus. «Il faisait beau ce jour-là. Parfait pour les grillades», ajoute-t-il. L’avocat du Carna Center, Me Andreas Meili, dément fermement ces accusations. 

«Notre enquête interne n’a pas confirmé ces reproches», déclare-t-il, assurant qu’une telle marchandise n’a jamais été proposée à la vente dans la filiale de Winterthour. Il précise également qu’aucune instruction de ce type, venant de la direction, n’a pu être établie.

Toutefois, Blick a rencontré deux autres anciens employés présents à l’époque. Leurs témoignages concordent avec celui de leur ex-collègue.

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