Pendant des années, Denner a été la locomotive d'un groupe Migros en crise. Le célèbre discounter n'a toutefois pas pu maintenir sa force de frappe dans la durée. Une situation à laquelle son nouveau chef, Torsten Friedrich, devra remédier. Il ne devra d'ailleurs pas seulement faire face à la concurrence de son ancien employeur, Lidl, puisque les dirigeants de Migros eux-mêmes compte bien lui disputer la clientèle avec une nouvelle gamme nationale de produits à bas prix. La tâche s'annonce rude pour le nouvel homme fort de Denner, qui devra prouver qu’il a le discount dans le sang.
Torsten Friedrich, vous êtes à la tête de Denner depuis cinq mois. Etes vous déjà sur les rotules?
(Rire.) C'est l’impression que je vous donne? Non, j’ai été très bien accueilli et j’ai pu me faire une idée complète de ce que sont Denner et Migros. Bien sûr, il y a certains dossiers sur lesquels nous devons travailler.
Depuis plusieurs mois, des consultants traquent les potentiels d'économies au sein du groupe Migros. Est-ce que Denner est aussi sous surveillance?
Le siège attend certaines choses de nous, c’est vrai. Mais je prends cela comme une motivation supplémentaire. Je suis en contact régulier avec Migros, notamment sur la question des commandes communes. Acheter en plus grande quantité nous permet d’obtenir de meilleurs prix pour nos clients. Unir nos forces, cela parait logique.
Qu’avez-vous pensé lorsque les dirigeants de Migros ont déclaré publiquement que les clients n’avaient plus besoin d’aller chez Denner, en raison des prix cassés proposés désormais par le géant orange?
J'ai ravalé ma salive pendant un instant. Puis je me suis dit: «on va relever ce défi.» Car nous avons plus à offrir à notre clientèle que de simples prix discount. Tout le monde n'aime pas forcément aller dans un grand supermarché pour y chercher les produits les moins chers. Chez nous, on trouve tous les produits à bas prix, sur une petite surface. Et grâce à nos filiales, nous sommes aussi plus proches des gens.
En tant que nouveau patron de Denner, quels ajustements devez-vous faire en priorité?
Nous faisons beaucoup de choses correctement, mais nous n'en parlons pas assez. Pour moi, ce qui est important, c'est de rendre à Denner sa visibilité auprès de la population suisse. Pour cela, nous devons mieux connaître les besoins actuels de nos clients et identifier qui pourraient être nos futurs clients. Nous pouvons également nous montrer plus efficaces dans la gestion de nos magasins. Et puis, comme autre dossier à gérer, il y a le tout récent sponsoring de notre équipe nationale de hockey sur glace.
Vos concurrents disposent depuis longtemps d'applications et de cartes de fidélité qui leur permettent d'obtenir des données sur leurs clients.
Nous souhaitons clairement rattraper notre retard dans ce domaine. Sur la question du self-scanning, par exemple, je vois un grand potentiel dans les solutions in-App (ndlr: le fait de pouvoir effectuer diverses opérations via une application). Le client doit avoir la possibilité scanner et de payer lui-même ses achats avec son smartphone. Nos clients en sauront plus à ce sujet au cours du deuxième semestre.
Chez votre ancien employeur, cette solution existe déjà: elle s'appelle «Lidl Plus». Cette application permet aux clients d'obtenir des récompenses sous force de primes ou de rabais. Allez-vous lancer «Denner Plus»?
Nous avons déjà une app Denner de qualité, mais nous souhaitons effectivement aller dans cette direction. Nous disposons de solides compétences informatiques en interne, tout comme Migros. Une chose est sûre: nous n’allons pas intégrer le programme Cumulus. Nous développerons une solution propre à Denner.
Cette stratégie va-t-elle vous permettre de reprendre des parts de marché à Lidl et Cie dès cette année?
Je m'attends à une légère croissance du chiffre d'affaires cette année. La fréquentation des clients augmente déjà dans les magasins, où nous avons fortement développé le secteur des produits frais, avec des produits de boulangerie, des fruits et des légumes. Nous remarquons également que, pour la première fois, nous réalisons plus de chiffre d'affaires avec les produits frais qu'avec les produits stimulants (ndlr: sucre, café, thé, etc.). Cela va nous aider à attirer chez Denner des clients issus de la concurrence. Nous allons ouvrir d'autres succursales afin d'atteindre cet objectif.
Avec 880 points de vente, Denner dispose déjà d’un réseau très dense. Reste-t-il encore des zones à pourvoir sur votre carte?
Je vois encore du potentiel dans les grandes villes. Nous prévoyons d’ouvrir 120 magasins supplémentaires. D’ici à 2030, notre réseau devrait compter environ 1000 sites.
Parvenez-vous à trouver le personnel qualifié nécessaire à cette expansion?
Effectivement, ce n'est pas chose aisée. En raison de cette croissance, et de la construction de deux nouveaux centres logistiques à Aclens (VD) et Mägenwil (AG), nous devons engager de nouveaux collaborateurs. Nous allons créer plus de 1000 emplois au cours des cinq prochaines années.
Certains magasins Denner ont la même apparence qu'il y a 30 ans, alors qu'une modernisation des succursales est en cours depuis deux ans…
Depuis 2023, nous avons modernisé environ un tiers des quelque 600 succursales qui nous appartiennent pleinement (ndlr: les autres sont des Denner Partenaire). Nous l'avons fait dans le cadre d'un nouveau programme qui vise à répondre aux besoins croissants de la clientèle. La modernisation, dans laquelle nous avons investi un total de 200 millions de francs, se poursuit indépendamment de l'expansion. Nous voulons l'achever d'ici à fin 2027, début 2028. Nous avons également investi une somme importante pour moderniser nos 280 magasins Denner Partenaire (ndlr: ex-Denner Satellite), qui nous sont indispensables.
L'inflation baisse en Suisse. Pourquoi les prix augmentent-ils chez Denner?
Nous n'avons pas de renchérissement généralisé sur l'ensemble de l'assortiment, et nous avons baissé de nombreux prix. On constate déjà certaines tendances déflationnistes en Suisse. Ceci dit, les coûts qui nous incombent pour l'achat de jus d’orange, de café en grains et de capsules ont clairement augmenté. Nous travaillons sur notre efficacité afin de répercuter le moins possible ces hausses sur nos clients.
Qu’en est-il des prix du chocolat?
Au cours des six à douze derniers mois, les prix du chocolat ont augmenté d’environ 10 à 15%. Nous estimons qu’un nouveau relèvement, de la même ampleur, interviendra malheureusement à l’été 2025 du côté des producteurs.
Les fabricants de marques comme Lindt et Nestlé imposent des hausses de prix dans les supermarchés, apparemment sans la moindre difficulté. Avez-vous moyen de vous y opposer?
Nous sommes, nous aussi, confrontés à des hausses de prix à l’achat. Et dans le cadre de la guerre des prix que nous menons face aux grandes marques, nous n’avons peur de rien. Mais nous commençons toujours par la négociation. Si aucun accord n’est trouvé, nous retirons les produits de nos rayons et nous nous orientons alors vers les importations parallèles (ndlr: les importations parallèles désignent les produits de marque qui sont importés et vendus sur un marché sans le consentement du propriétaire de la marque, mais qui ne sont pas pour autant des contrefaçons.).
Avez-vous un exemple concret de marque avec lesquelles les négociations n'ont pas marché?
Il y a le cas de Coca-Cola, avec qui nous ne sommes pas parvenus à trouver un dénominateur commun. Nous avons donc quitté la table des négociations et nous n'avons pas renouvelé les commandes auprès de l'embouteilleur suisse de Coca-Cola. Par conséquent, nous importons leurs boissons d'autres pays européens, et à des prix plus avantageux.
Y a-t-il d'autres cas?
L'un de nos fournisseurs propose des prix à l'achat plus élevés que les prix auxquels ses produits cosmétiques sont vendus dans les supermarchés à l'étranger. Là aussi, nous allons prendre des mesures.
Conflit avec Coca-Cola, recours aux importations parallèles… On a l’impression que vous ravivez l’image de Denner comme bastion des prix cassés.
Denner est et a été le champion des prix cassés en Suisse. Mais il ne s'agit pas seulement de prix. La proximité avec les clients, les relations avec les collaborateurs et l'expérience d'achat dans le magasin sont autant de points qui contribuent également à l'image de la marque.