Pour l'ex-conseillère nationale verte genevoise Isabelle Pasquier-Eichenberger, c'en est trop. Tout est parti d'un piratage informatique qui a ciblé les Laiteries Réunies Genève il y a trois ans. La fuite de données a brutalement mis en lumière ce que Coop et Migros préféraient garder dans l'ombre: leurs marges brutes, particulièrement élevées.
Choquée par ces révélations, la Verte a porté l'affaire au Parlement. Avec son intervention, le parti écologiste veut élargir les compétences de l’organe chargé de l’observation du marché dans le but d'obtenir une meilleure vue d'ensemble des coûts et des marges tout au long de la chaîne alimentaire. Si le Conseil des Etats venait à adopter cette proposition, le secteur alimentaire risque d'être cloué au pilori des prix.
Les Vert-e-s associés au roi des paysans Ritter
Pour faire avancer leur cause, les Vert-e-s ont scellé une alliance inattendue avec leur «ennemi juré» et président de l’Union suisse des paysans, Markus Ritter. Car au fond, le manque de transparence des prix pénalise aussi le premier maillon de la chaîne, à savoir les agriculteurs eux-mêmes.
Le même année du piratage de la laiterie genevoise, les résultats d'une étude de la Fédération romande des consommateurs ont fait l’effet d’une bombe: ils révélaient que les maraîchers suisses étaient de moins en moins bien payés. Pour preuve, en 2022, ils gagnaient à peine deux centimes sur un cornichon vendu au détail, contre treize centimes l'année précédente.
«Il est inadmissible que les paysans prennent tous les risques, mais ne gagnent presque rien sur leurs produits», dénonçait dans les colonnes de Blick la conseillère nationale des Vert-e-s, Sophie Michaud Gigon. La directrice de la Fédération romande des consommateurs a désormais repris le dossier porté par Isabelle Pasquier-Eichenberger, qui a entre-temps quitté ses fonctions.
Le Conseil des Etats dubitatif
La volonté d’instaurer davantage de transparence semble sur la bonne voie au Conseil national: aussi bien sa commission de l'économie (CER) que les parlementaires ont donné leur feu vert, lors de la session d'hiver. Mais à la Chambre haute, c'est une autre l'histoire. L'alliance entre le roi des paysans et les défenseurs des consommateurs peine à convaincre: la commission de l'économie du Conseil des Etats a de son côté rejeté l'intervention de justemment. L'argument invoqué? Davantage de transparence ne garantit pas nécessairement des prix plus justes.
Un avis qui contraste pourtant avec les conclusions de l’étude menée sur les prix en Suisse romande. Les agriculteurs interrogés n’ont accepté de révéler leurs tarifs qu’à contrecœur – et uniquement sous couvert d’anonymat. Car sur un marché opaque, dévoiler ses prix revient à risquer des représailles de la part des acheteurs.
Migros et Coop se défendent
Cela s'explique aussi par le fait que deux entreprises, Coop et Migros, dominent le marché du commerce de détail, du commerce de gros et de la restauration. De nombreuses enquêtes – comme celle de l'association Marchés équitables Suisse – ont calculé des marges brutes allant jusqu'à 60%.
Des affirmations que Migros et Coop rejettent en bloc. Selon les deux entreprises, le marché très concurrentiel du commerce de détail ne permettrait pas de telles marges. «Les marges brutes n'ont aucune signification, car elles ne tiennent pas compte des coûts effectifs», soutient par ailleurs Coop. Cela comprend les coûts liés au transport, au stockage, aux frais de personnel, aux loyers, à l'énergie, à l'assurance qualité et à «bien d'autres choses». Les deux détaillants soutiennent par ailleurs qu'en tant que coopératives, elles n'ont aucun intérêt à maximiser leurs bénéfices.
Des agriculteurs laissés pour compte
Le surveillant des prix, Stefan Meierhans, admet que les détaillants n'ont pas nécessairement tort. Toutefois, selon lui, un marché concurrentiel peut aussi avoir pour effet que les agriculteurs ne reçoivent pas leur juste part. «Même avec des prix finaux équitables, le revenu des producteurs et productrices reste insuffisant», a-t-il déclaré à l’Association des petits paysans. Stefan Meierhans estime ainsi que l'initiative des Vert-e-s est judicieuse, renforçant la transparence à tous les niveaux.
Un point de vue pas du tout partagé par les détaillants. Coop et Migros rejettent clairement une intervention de l'Etat dans la politique des prix et des marges. Des données qu'ils estiment «sensibles». A la question de savoir si sa propre politique de prix est liée à la baisse des revenus chez les producteurs, le service de presse de Migros répond brièvement – et clairement – par la négative.