Comment les arrêter?
Les riches suisses nuisent au climat bien plus qu'on ne le pense

Selon une nouvelle étude, à laquelle l'EPFL a participé, les 10% les plus riches sont responsables des deux tiers du réchauffement climatique. Faut-il des taxes sur le CO2 plus élevées pour ces personnes aisées?
Publié: 22.05.2025 à 06:13 heures
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Dernière mise à jour: 22.05.2025 à 07:16 heures
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En Suisse, les personnes appartenant à la classe supérieure polluent presque trois fois plus que les personnes de la classe moyenne.
Photo: Shutterstock
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Yves Demuth

Les 10% les plus riches de la population mondiale ont provoqué à eux seuls les deux tiers du réchauffement climatique entre 1990 et 2020. C'est ce qui ressort d'une nouvelle étude à laquelle l'EPFZ a participé. Les données publiées dans la revue spécialisée «Nature» prennent en compte de manière proportionnelle la consommation plus élevée des super-riches et les émissions de CO₂ des entreprises que ces derniers possèdent.

Cette classe supérieure contribue donc 6,5 fois plus au réchauffement climatique que la moyenne de la population, selon les auteurs de l'étude.

Quelles sont les données qui permettent de le confirmer?

Le rapport sur les inégalités climatiques de 2023 souligne la même tendance. En Suisse, les personnes appartenant à la classe supérieure pèsent presque trois fois plus sur le climat qu'une personne de la classe moyenne. 

Les riches ont en moyenne un impact plus important sur l'environnement, car ils ont tendance à beaucoup voyager en avion, à posséder une deuxième voiture, une maison de vacances, voire un jet privé. Ils investissent aussi bien souvent dans des entreprises qui émettent des gaz à effet de serre. C'est ce qu'ont calculé des chercheurs à l'aide d'une base de données gérée par l'École d'Économie de Paris et l'Université de Berkeley, aux Etats-Unis.

En quoi est-ce problématique?

Selon les auteurs du rapport sur l'inégalité climatique, en Suisse, une personne issue de la classe supérieure produit en moyenne dix fois plus de gaz à effet de serre qu'une personne issue de la classe inférieure. Pourtant, ces deux groupes de personnes doivent payer les mêmes taxes d'incitation afin protéger le climat, par exemple la taxe sur le mazout. 

Toutefois, la classe supérieure ressent moins ces taxes en raison de ses revenus plus élevés. Les auteurs de l'étude soulignent donc qu'une politique environnementale qui se concentre sur des moyennes nationales ne peut que difficilement atteindre ses objectifs d'économie de CO2.

Quelle est la fiabilité de ces données?

Les grandes différences entre riches et pauvres mises en lumière dans le rapport sur les inégalités climatiques s'expliquent par le fait que le calcul prend en compte non seulement la consommation, mais aussi l'épargne et l'investissement: plus on possède, plus on est désavantagé dans ce calcul. Les auteurs de la base de données mondiale sur les inégalités reconnaissent eux-mêmes que leurs données ne sont que des estimations approximatives.

Quelles sont les discussions en cours au Parlement suisse?

Les Vert-e-s ont déposé une intervention visant à taxer les émissions de CO2 plus élevées des riches, avec une taxe progressive sur le CO2. La taxe sur le CO2 doit fonctionner comme l'impôt fédéral: les plus pauvres, qui n'émettent pratiquement pas de CO2, ne paient rien. Les riches eux, en revanche, en paient d'autant plus. Mais le Conseil national a rejeté la proposition en septembre 2024.

Qu'en pense le Conseil fédéral?

Le Conseil fédéral ne soutient pas l'idée d'une taxe CO2 progressive. Selon lui, il n'existe pas de données fiables sur la consommation individuelle de CO2, ce qui empêche de taxer les émissions de manière personnalisée. 

Le problème d'une taxe CO2 progressive basée sur les classes de revenu serait qu’elle entraînerait une forme de responsabilité collective. Ainsi, une personne extrêmement riche vivant comme un ermite dans la forêt paierait la même taxe CO2 qu’un investisseur pétrolier possédant un jet privé.

Le peuple a-t-il déjà eu l'occasion de voter à ce sujet?

Dans l'Etat américain de Californie, une taxe climatique pour les riches a été rejetée à 58% lors d'un référendum en novembre 2022. L'initiative populaire exigeait que quiconque gagne plus de deux millions de dollars doit payer une taxe climatique de 1,75% sur les revenus dépassant ce seuil.

Des initiatives populaires suisses sont-elles en préparation?

Oui, car la gauche suisse veut s'inspirer de l'idée californienne. Les Jeunes socialistes ont déposé l'initiative «Pour l'avenir», qui demande un impôt national sur les successions et les donations à partir de 50 millions de francs. De nombreux Vert-e-s et socialistes soutiennent cette demande. Le taux d’imposition pour les héritiers fortunés devrait s’élever à 50% et les recettes seraient affectées à la protection du climat. 

Le Conseil fédéral rejette l’initiative. Une taxe climatique sur les héritages des riches rendrait la Suisse moins attractive pour les personnes fortunées. Selon une étude, entre 77% et 93% des riches concernés pourraient quitter le pays, estime le Conseil fédéral. Il en résulterait donc peu de recettes fiscales en faveur du climat. Par ailleurs, la Suisse s’efforce déjà suffisamment de protéger le climat, même sans cette initiative. 

Le Conseil national a, lui aussi, rejeté l'initiative. Le Conseil des Etats se prononcera probablement en juin 2025, le vote aura lieu au plus tôt cet automne.

Où les politiques voient-ils un besoin d'agir?

La commission compétente du Conseil national souhaitait instaurer une taxe pour la protection du climat de 500 à 3000 francs par vol en jet privé. L'objectif était que les «vols privés et d’affaires, qui génèrent des émissions particulièrement élevées par personne, apportent une contribution financière supplémentaire». Cependant, le Conseil a rejeté cette proposition en décembre 2023, estimant que la taxe ne servirait à rien.

«Comment expliquer au peuple qu'il doit contribuer à la protection du climat si ceux qui voyagent en jet privé n'y participent pas?», a-t-on réagi chez les Vert-e-s. D'autres initiatives à ce sujet sont actuellement en suspens, par exemple «pour une taxe de luxe sur les jets privés».

Les jets privés sont-ils vraiment un problème?

Les jets privés sont à l'origine de 4,7% de toutes les émissions de gaz à effet de serre de l'aviation civile au départ des aéroports suisses, bien qu'ils ne représentent qu'environ 2,45% de tous les décollages et atterrissages, indique l'Office fédéral de l'aviation civile en référence à l'année 2022. Les émissions de CO2 des jets privés sont donc proportionnellement plus importantes. L'aéroport de Bâle n'est toutefois pas compté dans ce calcul, car il se trouve en partie sur le territoire français. 

Les jets privés et les jets d'affaires émettent environ 200'000 tonnes de CO2 par an. Cela correspond à 4,4 millions de trajets en voiture de Genève à Saint-Gall avec un nouveau moteur à essence.

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