La SSR et les éditeurs alémaniques (VSM) ont annoncé jeudi un accord de coopération qui prévoit une limitation des activités en ligne du média de service public. En échange, le VSM (mais pas TX Group) rejette l'initiative pour réduire la redevance radio-TV à 200 francs.
Dans cet accord décrit comme une première, les médias privés et la SSR veulent «renforcer la confiance de la population et de la politique et protéger la diversité des médias», selon un communiqué publié juste avant l'ouverture du Swiss Media Forum à Lucerne, principal rendez-vous de la branche des médias en Suisse.
Editeurs et SSR ont perdu trop de temps dans les querelles ces dernières années, alors que les plateformes internet deviennent toujours plus dominantes, a déclaré la directrice générale de la SSR, Susanne Wille, lors d'une conférence de presse. Elle s'est dite reconnaissante du soutien des éditeurs contre l'initiative visant à réduire drastiquement les moyens du service public.
«Le vent a tourné»
Le président du VSM Andrea Masüger a estimé pour sa part que le «vent a tourné» à la SSR avec l'arrivée de Susanne Wille. La «percée» annoncée jeudi est importante pour l'avenir du journalisme en Suisse. Le Grison a souligné que le système est sous forte pression, avec les trois quarts des revenus publicitaires aspirés par des géants comme Google ou Facebook.
Andrea Masüger a estimé que l'initiative «200 francs ça suffit», excessive, ne résoudra pas les problèmes des privés. Le VSM la rejette ainsi clairement. Cette prise de position intervient au lendemain d'une tribune de l'éditeur de Tamedia et président du TX Group, Pietro Supino, en faveur du texte défendu notamment par l'UDC.
TX Group, plus grand groupe de médias privés de Suisse qui est pourtant membre du VSM, n'est ainsi pas partie prenante de l'accord. Mais l'entreprise zurichoise continuera à participer aux discussions, selon le communiqué.
La SSR a fait un pas dans la bonne direction, mais ses concessions sur ses activités en ligne sont «complètement insuffisantes», a jugé jeudi Pietro Supino au Swiss Media Forum. «La SSR ne doit pas concurrencer les médias privés avec de l'argent public. Je veux que cette distorsion de la concurrence n'ait pas lieu», a-t-il martelé.
Editeurs romands attendus
Interrogé sur cette voix discordante, Andrea Masüger a parlé d'une «étape». «Rome ne s'est pas faite en un jour», a-t-il lancé, se disant par ailleurs confiant que l'association des éditeurs romands Médias Suisses et le pendant tessinois Stampa Svizzera signeront également cette entente.
Le comité de Médias Suisses prendra une décision la semaine prochaine, a précisé à Keystone-ATS son secrétaire général Daniel Hammer, ne souhaitant pas réagir plus en détail à l'annonce faite à Lucerne.
L'accord annoncé jeudi, qui sera soumis à la Commission de la concurrence (Comco) pour un examen du point de vue du droit des cartels, est valable jusqu'à fin 2028, soit jusqu'à la fin de l'actuelle concession de la SSR.
Web «existentiel» pour la SSR
Le texte, qui a donné lieu à des discussions «intensives et controversées» selon les termes de Susanne Wille, reconnaît que l'offre en ligne revêt une importance «existentielle» pour la SSR. C'est seulement avec ce support qu'elle pourra continuer à atteindre son public et donc remplir son mandat de service public, constatent les parties.
Sur le web, la SSR se concentrera cependant encore davantage sur son coeur de métier, soit la radio et la TV. Ses textes y seront limités à 2400 signes. Lorsque cela aura du sens, elle renverra par des liens hypertexte vers des contenus de médias privés, afin d'augmenter le trafic sur leurs sites.
La SSR mettra à disposition des privés des images sans logo et les privés pourront commercialiser ces vidéos. Elle accueillera des contenus des privés sur sa nouvelle plateforme de streaming, baptisée provisoirement «PlayNext». Celle-ci sera appelée à remplacer dès l'année prochaine l'actuelle «Play Suisse».
Dans le domaine des droits de retransmission de compétitions sportives, une pierre d'achoppement ces dernières années, la SSR se concentrera sur des contenus non couverts par les acteurs commerciaux, afin de prendre davantage en compte les intérêts de ces derniers. Elle pourrait aussi soumissionner pour certains droits en partenariat avec des privés.
Pas de pub sur les sites de la SSR
La SSR continuera à faire l'impasse sur la publicité sur ses offres en ligne et utilisera des plateformes étrangères comme YouTube et Instagram uniquement «de manière exceptionnelle», même si elle ne s'en retirera pas, a précisé Susanne Wille. Elle s'engage aussi à investir 60% de son budget marketing en ligne chez les médias privés, donnant ainsi «un signal important en faveur du renforcement du marché publicitaire suisse», insiste le communiqué.
L'accord aborde également la question de l'intelligence artificielle (IA). La SSR se dit prête à bloquer l'exploitation de ses contenus par les plateformes d'IA, à condition que les principaux éditeurs fassent de même. Elle soutiendra par ailleurs les initiatives réglementaires du VSM pour la protection des contenus journalistiques dans le domaine des droits d'auteur (droits voisins et IA).