Par Tim Guillemin
Cette version-là de Murat Yakin est la bonne

Murat Yakin fonctionne par cycles, ce qui est inhérent à sa personnalité. Il ne connaît pas le juste milieu: soit il réussit, soit il échoue. Et il existe des signes pour que l’automne soit ensoleillé pour la Nati, assure notre journaliste.
Publié: 14:26 heures
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Tim GuilleminResponsable du pôle Sport

Oui, je sais, il est toujours difficile d’être nuancé. Il est tellement plus simple et confortable d’être bêtement dans le camp des pro ou des anti, de crier avec les loups ou de bêler avec les moutons, mais essayons quand même, ensemble, de prendre un peu de recul sur le «cas» Murat Yakin.

Au fond, qu’est-ce qu’un bon entraîneur? Qu’est-ce qui fait la différence entre le Fabio Celestini qui échoue à Sion et triomphe à Bâle, ou Patrick Rahmen, qui fait exactement l’inverse entre Winterthour et YB? Un technicien peut être convaincant dans un contexte et décevant dans un autre.

Ce qui est déstabilisant avec Murat Yakin, et qui fait sa particularité, c’est qu’il est tout à fait capable (il l’a souvent prouvé d’ailleurs), d’être brillant et dépassé… dans la même fonction. Et ça, il faut bien le dire, ce n’est pas donné à tout le monde.

Un homme qui sent les bons coups

En réalité, le sélectionneur de la Nati, homme d’intuition et de coups bien sentis, fonctionne par cycles. Ainsi est sa personnalité. Il n’aime pas la routine. Il ne fait pas faire huit fois de suite le même exercice à ses joueurs. Il n’est pas discipliné et méthodique. Il ne l’était pas comme joueur, il ne l’est pas comme entraîneur.

Si Lucien Favre, prenons les extrêmes, est capable d’interrompre un entraînement et de faire répéter à tout le monde un exercice basique sous le cagnard pendant une heure si un joueur a mal orienté son épaule droite, Murat Yakin est lui plutôt du genre à rigoler de ces manies et à suivre son instinct. Évidemment, je caricature, rien n’est tout blanc ou tout noir, mais imaginer le Bâlois se réveiller transpirant au milieu de la nuit pour enfin décider qui sera aligné au poste de défenseur central gauche relève de la fiction.

En fait, Murat Yakin n’est jamais aussi bon que lorsqu’il a un plan, qu’il l’a réfléchi et qu’il le met en application. Ce fut le cas lors de son entrée en fonction, lorsqu’il a immédiatement annoncé le retour à une défense à quatre, avec une mission claire, immédiate et difficile devant lui: amener la Suisse à la Coupe du monde au Qatar. Il l’a fait, avec brio, en éliminant au passage l’Italie, championne d’Europe en titre. La deuxième fois où le «Mister» a eu une mission claire à mener à bien, c'est-à-dire réussir l’Euro 2024, il l’a fait là aussi avec la manière, échouant à un tir au but des demi-finales. Le point commun: il avait à chaque fois élaboré un plan, clair, assumé, réfléchi et annoncé à l’avance, avec des leaders qu’il a su convaincre.

Trois échecs lorsqu’il n’avait pas de pression

Mais entre les deux, il y a la «face sombre» de Murat Yakin, ce choix incompréhensible de se priver de latéraux pour se rendre au Qatar, une décision qu’il paiera d’un cinglant 6-1 face au Portugal, un jour où il a tenté un coup tactique encore plus désespérant que désespéré. Un coup de poker (on y reviendra) complètement raté, alors que la Suisse avait déjà réussi sa Coupe du monde après avoir atteint les huitièmes de finale en ayant battu la Serbie.

Et puis, une année plus tard, quand la Nati ne jouait rien, étant quasiment assurée d’avance de participer à l’Euro 2024 après un début de qualifications parfait, il a livré une copie très brouillonne. Il a alterné entre divers schémas tactiques et ne semblant pas savoir où aller alors que la Suisse s’enlisait face à Israël, la Biélorussie et le Kosovo et que ses leaders lui tournaient le dos. Deuxième revers, malgré la qualification (un minimum).

Le troisième échec est survenu lors de la toute récente et dernière édition de la Ligue des Nations, où il a là aussi pêché par manque de cohérence. Personne ne sait, au fond, si la Nati jouait ses matches pour les gagner ou pour préparer les qualifications à la Coupe du monde 2026. Le discours était ambigu, le jeu flou, les prestations médiocres. Ce Murat Yakin-là, dans l’improvisation et la débrouille permanentes, n’a convaincu personne.

Plusieurs signaux positifs cet été

Or là, dans l’Utah en ce début d’été, plusieurs signaux objectifs indiquent que nous nous apprêtons à retrouver la meilleure version de Murat Yakin. Celle où le sélectionneur a une mission claire et compliquée: terminer en tête d’un groupe de qualifications composé de la Suède, de la Slovénie et du Kosovo. Ce n’est même pas que c’est casse-gueule, c’est pire: objectivement, la Suisse n’est peut-être même pas favorite.

Mais le sélectionneur montre la bonne attitude, encore: il en a fini avec le temps des essais, il est entré en mode compétition, et quand il a la dalle comme ça, et un objectif en tête, Murat Yakin est un fin stratège. Il a choisi son système, le 3-5-2, il a choisi ses hommes, et il va aller à la bataille avec Ardon Jashari au milieu. C’est un pari, c’est un risque, mais en général, ceux-là, il les maîtrise.

Un joueur d’échecs, pas de poker

Il y a une chose qu’on ne pourra jamais enlever à Murat Yakin: il sent les coups. Et oui, il a mérité que le peuple suisse lui fasse confiance, encore une fois. Le terrain parlera, comme toujours. S’il échoue, y compris en barrages, il sera temps pour lui de trouver un nouvel emploi. Mais s’il réussit, il l’aura fait trois fois de suite, n’en déplaise à ses détracteurs.

En fait, pour bien résumer Murat Yakin, il suffit de l’écouter. Alors qu’on lui suggérait un jour qu’il était un joueur de poker, il a refusé cette appellation, précisant préférer les échecs. Et il a tout à fait raison. Quand il tente un coup de poker, comme au Qatar, il échoue en général, contrairement à une idée reçue. Mais quand il élabore une stratégie sur l’échiquier, alors, il lui arrive d’avoir un ou plusieurs coups d’avance. En cet été 2025, le joueur d’échecs Murat Yakin est en train de placer ses pions.

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