La question de savoir qui peut concourir dans la catégorie féminine, afin de garantir des compétitions équitables, agite le sport et l’athlétisme en particulier, depuis des années. «Que XX ou XY soit la distinction claire entre hommes et femmes, ce n’est plus scientifiquement correct», déclarait en 2024 l’ancien président du CIO, Thomas Bach.
L’ancienne championne de classe mondiale Caster Semenya est sans doute l’exemple le plus connu de ces situations. Double championne olympique sud-africaine, elle présente une variation du développement sexuel (VDS), caractérisée notamment par un taux naturellement élevé de testostérone. Refusant le traitement hormonal imposé pour abaisser ce taux, Caster Semenya a porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme. À la demande de suivre ce traitement, sa réponse fut catégorique: «Hell, no!»
L’introduction des tests génétiques
Que faire des athlètes féminines VDS? Comment garantir l’égalité des chances? Faute de réponses simples, World Athletics, en partenariat avec World Boxing, a décidé d’agir. Depuis le 1er septembre, toutes les athlètes féminines et boxeuses doivent se soumettre à un test de genre visant à détecter le gène SRY, situé sur le chromosome Y et impliqué dans le développement de caractères masculins. Toute sportive testée positive est exclue des compétitions et soumise à des examens médicaux complémentaires.
Une décision précipitée, selon Patrik Noack, médecin-chef de Swiss Athletics, actuellement présent aux Mondiaux de Tokyo: «La brièveté du délai est un problème, car la situation juridique des tests génétiques diffère selon les pays. Les capacités de laboratoire ne sont pas les mêmes partout, et il faut aussi prévoir un accompagnement psychologique. On aurait pu attendre janvier 2026 pour l’introduire plus sereinement». Le coût du test est estimé à 250 francs. En Suisse, Swiss Athletics les a pris en charge, alors que d’autres pays les facturent aux athlètes.
Des réactions contrastées
Du côté des sportives suisses, l’accueil est globalement positif. «Pour moi, cela n’a pas posé de problème de faire un test ADN. C’est une nouvelle règle et nous devons la respecter», estime la spécialiste du 800 mètres Audrey Werro.
Les sœurs Ditaji et Mujinga Kambundji abondent: «Je suis pour un sport équitable. Si World Athletics l’exige, je m’y conforme», déclare Ditaji. Mujinga ajoute: «Je trouve bien que le sport féminin soit protégé. En athlétisme, la différence entre hommes et femmes est énorme».
À l’inverse, la championne olympique allemande Malaika Mihambo critique des tests «juridiquement douteux, éthiquement délicats et scientifiquement réducteurs». Patrik Noack admet qu’il s’agit d’«un pas en avant pour l’équité», mais souligne les enjeux éthiques: «Certaines athlètes peuvent découvrir leur condition à cette occasion. Un accompagnement psychologique est donc indispensable».
Des précédents douloureux
Un test positif n’implique pas toujours la fin d’une carrière. Patrik Noack cite le cas d’une athlète étrangère porteuse du gène SRY mais souffrant d’un syndrome d’insensibilité aux androgènes: malgré un taux de testostérone élevé, son corps n’y réagit pas, ce qui lui a valu une autorisation exceptionnelle de World Athletics.
Dans l’histoire, d’autres cas ont laissé des traces. L’Indienne Santhi Soundarajan avait perdu sa médaille d’argent aux Jeux asiatiques de 2006 après un test de féminité, avant de tenter de se suicider en 2007. Plus récemment, aux JO de Paris 2024, la boxeuse algérienne Imane Khelif avait déclenché un débat mondial violent après des accusations jamais prouvées de non-conformité, relayées par la fédération IBA.
Imane Khelif a subi un lynchage numérique, alimenté par Elon Musk («Les hommes n’ont rien à faire dans le sport féminin»), Giorgia Meloni («Nous devons protéger les athlètes féminines») ou encore Donald Trump («Nous avons tous vu qu’il avait gagné»). La championne olympique a déposé plainte pour cyberharcèlement.
Vers 2028 et après
Aux États-Unis, le président a depuis décrété qu’il n’existait que deux sexes, masculin et féminin, et a annoncé pour les JO de Los Angeles 2028 des «tests de genre très stricts» qu’il veut imposer au CIO. La nouvelle présidente du CIO, Kirsty Coventry, a déclaré que la protection de la catégorie féminine était une priorité, tout en laissant aux fédérations internationales la liberté d’adopter leurs propres règles.
Pour Patrik Noack, le test SRY «fera école dans les sports où un taux élevé de testostérone change la performance». Mais il reste prudent: «C’est peut-être un pas en avant, mais sûrement pas une solution miracle». Mujinga Kambundji en convient: «Il est difficile de trouver une règle qui convienne à 100% à tout le monde».
Certains suggèrent une catégorie supplémentaire. En 2023, World Aquatics avait créé une «catégorie ouverte» lors de la Coupe du monde de Berlin pour inclure athlètes trans et intersexes. Mais aucun participant ne s’y était inscrit.