La vie de Léna Bühler est dangereuse. Deux jours avant notre entretien, la pilote vaudoise a eu un accident en ouverture de sa saison de Formule Régionale Europe. À Hockenheim (ALL), elle a été prise dans un carambolage et a eu quelques lésions à la main. Heureusement, rien de bien grave et la jeune femme a pu nous accueillir chez elle, à Valeyres-sous-Montagny (VD).
La passion pour l'adrénaline, la Nord-Vaudoise de 26 ans l'a toujours eue. Durant dix ans, c'est sur un deux-roues qu'elle s'épanouit. «J'ai pratiqué le BMX car ma meilleure amie et mes cousins en faisaient, détaille-t-elle. Les sports 'féminins' – comme la danse – ne m'ont jamais intéressée.» À 15 ans, elle a une baisse de régime et décide d'arrêter son sport.
Sauf que trois ans plus tôt, elle avait réalisé ses premiers tours de karting avec son père Philippe, à Vuiteboeuf, à cinq minutes en voiture de la maison familiale. Alors qu'elle n'a plus le BMX pour se défouler, Léna Bühler descend de sa chambre à 23h une nuit. «Et là, je dis: 'Papa, pourquoi on ne va pas regarder une course du championnat suisse de karting à Lignières (NE)?» Après avoir mis en question la santé mentale de sa fille, le père accepte de l'y emmener. Et là, c'est le coup de foudre: Léna Bühler veut se lancer là-dedans. Sceptique par rapport à son âge avancé pour débuter un sport, Philippe fixe des objectifs chronométrés à sa fille – qu'elle atteint tous. Elle va pouvoir se lancer dans sa nouvelle passion.
«J'ai toujours voulu réussir dans le sport», prévient-elle. Elle se rend compte qu'allier sport de niveau et travail ou études s'annonce compliqué. «Avec le niveau que j'avais atteint en karting, ce n'était plus possible de faire les deux.» Car rapidement, Léna Bühler grimpe les échelons sur les circuits. En 2020 et à l'âge de 23 ans, elle intègre le Championnat d'Espagne de Formule 4.
Tout se passe bien pour elle qui monte d'une catégorie l'année suivante. Mais 2022 s'annonce compliqué. «J'ai dû arrêter en cours de saison pour des raisons financières, lâche la Vaudoise. L'argent venait principalement des sponsors et de mon papa.» Sauf que cette année-là, Philippe Bühler décide de serrer les cordons de la bourse. À ce moment, Léna réfléchit et souhaite s'en aller dans le sport automobile d'endurance.
Une belle opportunité
«Ce qui m'a fait changer mes plans, c'est que Sauber m'a appelé.» L'écurie de Formule 1 veut intégrer Léna Bühler à la F1 Academy, le nouveau format de courses automobiles pour les femmes. Là, la pilote suisse découvre des points positifs et négatifs: «C'était bien au niveau des médias et du marketing, précise-t-elle. Mais pour ma progression au volant… En F1 Academy, le top 5 est excellent mais derrière, ce n'est pas top.» Pour sa seule saison dans l'élite du sport automobile féminin, la Vaudoise termine vice-championne du monde. «Après l'année précédente, ça m'a fait du bien au moral.»
Son plus beau résultat dans ce championnat: sa victoire à Barcelone. «Ce n'était clairement pas mon week-end de rêve. Lors de la première course, j'avais cassé ma boîte de vitesse à deux tours de la fin alors que j'étais en tête. C'était difficile mentalement, mais de gagner le lendemain…»
Après la saison dernière passée en F1 Academy, Léna Bühler est désormais de retour en Formule Régionale Europe. Et même si l'argent reste le nerf de la guerre, elle a pu trouver des solutions. «Actuellement, ce sont surtout des sponsors, Sauber et un mécène qui m'amène de l'argent», explique-t-elle. En parallèle, elle a également réussi à décrocher un travail au sein de son ancienne écurie, R-ace GP. Résidant une partie de l'année à La Rochelle en France, elle enseigne dans l'époque de pilotage de l'équipe française… tout en roulant chez la concurrence, ART Grand Prix. «C'est Sauber qui manage la plupart des décisions concernant ma carrière», précise-t-elle. À côté, Léna Bühler travaille pour R-ace INSIDE en tant que responsable commerciale.
Tout roule donc en ce début de saison pour la Vaudoise – mis à part son accident en Allemagne et des résultats plutôt mitigés. Au niveau de ses objectifs, elle avoue que ça va être difficile de viser le haut du tableau. «Je veux être régulièrement autour du top 20 et surtout, ne pas être trop souvent dans les accrochages», précise-t-elle. Solaire, Léna Bühler a toujours le mot pour rire.
Pas de sexisme, ni de peur
Sur la grille de la Formule Régionale Europe, elles ne sont que trois femmes à concourir, sur 33 pilotes. Dans un monde très masculiniste, Léna Bühler reçoit-elle de temps en temps des remarques? «Non, je crois que je suis assez respectée par les autres pilotes du paddock, répond-elle. Bien sûr, il y a des critiques de personnes jalouses – surtout de gens extérieurs. Mais je m'en fous un peu.» Même les réseaux sociaux, sur lesquels les attaques peuvent être plus virulentes, ne touchent pas la Vaudoise: «C'est ma sœur, Romy, qui regarde et qui critique les personnes qui mettent ce genre de commentaires (rires).»
Mais dans le sport, donc, ce n'est pas un problème pour Léna Bühler. Surtout qu'elle s'est très rapidement habituée à être entourée par une gente majoritairement masculine. «Déjà en BMX, j'étais quasi qu'avec des garçons, se souvient la pilote. C'est assez naturel pour moi.»
Et comme elle nous l'a déjà dit, l'adrénaline est ce qui la pousse. Le danger? Il ne faut même pas lui en parler. «J'ai du bon stress au moment de monter dans ma monoplace, soutient Léna Bühler. Mais si tu as peur, il ne faut pas faire ce sport.» C'est au moins assez clair.
Sa maman Martine, qui n'est pas de loin de nous au moment de l'interview, avoue que «au moment du départ, j'ai toujours très peur». Elle rappelle d'ailleurs à sa fille l'accrochage qu'elle avait vécu en 2020, lors de sa saison en Formule 4. «C'est vrai que j'avais fait un tonneau, se rappelle Léna Bühler. Et je me suis cassé la main à ce moment.»
Surtout que la faucheuse rode toujours sur les circuits. En juillet 2023, Dilano van 't Hoff, pilote néerlandais de Formule Régionale Europe, est décédé à Spa. «C'est rare, mais ça peut arriver dans tous les sports, tente de relativiser Léna Bühler. Tu peux même simplement tomber dans les escaliers et en mourir.» Pour rassurer tout le monde, la Vaudoise met en avant les avancées sécuritaires sur les circuits et les bolides qu'elle conduit. «Ça m'arrive d'y penser avant la course, mais jamais pendant», précise-t-elle à propos d'un accident fatal.
Mais pour terminer notre entretien sur une pensée plus positive, nous parlons un peu de l'avenir avec Léna Bühler. Sur son site internet, il est écrit que, en 2025, elle veut intégrer la Formule 2. Soit l'antichambre du sport élite automobile. «Mais la F1, c'est vraiment compliqué, avoue-t-elle. On voit que même les champions des dernières années n'ont pas eu l'opportunité de faire le saut.» Sans vouloir non plus tirer un trait sur l'élite du sport automobile, Léna Bühler sait que la marche à franchir est haute. Surtout qu'actuellement, aucune équipe de Formule 1 n'a encore franchi le pas et mis sous contrat une femme.