Le rêve cycliste du Genevois
Quand Fabian Cancellara rencontre Tadesse Abraham

Il aura suffi d’une phrase du marathonien Tadesse Abraham pour provoquer une rencontre inattendue avec la légende du cyclisme suisse Fabian Cancellara. Les deux hommes se sont retrouvés pour Blick au siège de l’équipe Tudor, à Sursee.
Publié: 09.06.2025 à 20:08 heures
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La star du marathon Tadesse Abraham rencontre la légende du cyclisme Fabian Cancellara au siège de l'équipe professionnelle Tudor.
Photo: Pius Koller
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Simon Strimer

Tout a commencé quelques jours après que Tadesse Abraham a mis un terme à sa brillante carrière, en décembre dernier, en battant le record suisse du marathon (2h04'40"). Ce soir-là, dans un restaurant genevois, les yeux du coureur le plus rapide de l’histoire suisse se sont illuminés lorsqu’une discussion, presque par hasard, a glissé vers le cyclisme.

«Je suis aujourd’hui manager d’athlètes de haut niveau et je vais souvent en Érythrée, où j’ai grandi. Là-bas, je vois un potentiel énorme dans le cyclisme. Il y a des jeunes qui pourraient devenir meilleurs encore que Biniam Girmay», lance-t-il, enthousiaste. Le coureur de 25 ans est déjà une icône sur le continent, en tant que premier Africain à avoir remporté une étape du Tour de France.

«Pouvez-vous m'aider à établir un contact avec Fabian Cancellara?»

L’idée fait son chemin. «Si je peux faire quelque chose pour soutenir les talents cyclistes d’Afrique de l’Est, en créant des liens via mon réseau, j’en serais ravi. J’aimerais rencontrer Fabian Cancellara et discuter de tout cela avec lui.» Problème: Tadesse Abraham ne connaît pas le Bernois, patron de l'équipe Tudor, personnellement. «Pouvez-vous m’aider à entrer en contact avec lui?», nous demande-t-il.

Quelques mois plus tard, le rendez-vous est fixé. Fabian Cancellara arrive tout sourire au siège de la formation suisse, à Sursee (LU), serre la main de Tadesse Abraham, lui offre une accolade. La connexion est immédiate. Les deux hommes entament une longue discussion, suivie d’une visite privée des installations de l’équipe. À la fin, ils enfourchent ensemble un vélo, habillés bien sûr aux couleurs de Tudor.

Deux grands sportifs en plein échange: Tadesse Abraham (à g.) écoute Fabian Cancellara avec fascination.
Photo: Pius Koller

Mais d’abord, Tadesse Abraham raconte. «En Érythrée, le cyclisme est aussi populaire que le football au Brésil. C’est un sport national.» Cancellara est impressionné. Le Genevois se remémore ses jeunes années, dans un village érythréen, à pédaler chaque jour jusqu’à 20 kilomètres pour aller à l’école. Son rêve d’enfance? Devenir cycliste professionnel. Mais lorsque le seul vélo de la famille casse, sans possibilité de le réparer, il se tourne vers la course à pied. Et le reste appartient à l’histoire: champion d’Europe de semi-marathon en 2016, triple olympien sous le maillot suisse.

Objectif: le vélo

À son arrivée en Suisse comme réfugié, Tadesse Abraham ambitionnait d’abord de devenir mécanicien vélo. «Viens, je vais te montrer quelque chose de plus intéressant», lui dit Cancellara en riant. Le patron de Tudor le guide vers l’atelier de l’équipe.

L’endroit est un paradis pour les passionnés : trois supports par coureur, tous étiquetés, pour les 30 membres de l’effectif. Sur chacun, des vélos de course avoisinant les 13'000 francs pièce. Tout en haut du mur, ceux de Julian Alaphilippe – non pas en raison de son statut de star – mais simplement parce que les vélos sont classés par ordre alphabétique.

Fabian Cancellara explique les finesses du cyclisme – et comment les choses se passent au sein de l'équipe Tudor.
Photo: Pius Koller

Des établis, des pièces de rechange, des caisses de matériel occupent le reste de l’espace. L’équipe a récemment décroché une wild card pour sa première participation au Tour de France. Un immense pas en avant pour cette formation en pleine croissance.

Tadesse Abraham observe tout avec curiosité. Il explique que son projet de devenir cycliste a échoué après son arrivée en Suisse. Il s’est remis à courir, a rencontré sa femme Senait – une Suissesse –, avec laquelle il a un fils, Elod. Ce n’est qu’en 2014, plus de dix ans après son arrivée, qu’il obtient la nationalité suisse.

«Nous ne reviendrons pas en arrière»

Aujourd’hui installé à Genève, il pédale pour le plaisir, sur un vélo de course. Son prochain objectif personnel : faire le tour du lac Léman, soit 180 kilomètres. Facile pour un ancien athlète d’élite qui continue encore à courir régulièrement entre 20 et 30 kilomètres.

Lui et Cancellara partagent ce point commun : ils ont arrêté leur carrière au sommet, alors qu’ils auraient pu continuer. Le Bernois a tiré sa révérence avec une victoire dans le contre-la-montre des Jeux olympiques de Rio 2016. «C’était ma première participation olympique», sourit Tadesse Abraham, alors septième de l’épreuve de marathon. En décembre, il a lui aussi terminé sur un exploit. «On ne reviendra pas en arrière», glisse Cancellara avec humour. Abraham acquiesce, sourire aux lèvres.

Les deux hommes se changent et enfourchent leur vélo. Cancellara ajuste personnellement la selle de son invité. Une petite sortie était prévue pour continuer à discuter, mais la météo en décide autrement. Pluie battante. Ils se replient vers les bureaux du quatrième étage pour terminer l’échange à l’abri.

Encore un peu chancelant dans cet espace restreint: le cycliste Tadesse Abraham (à g.), pourtant habitué, avec Fabian Cancellara, rayonnant, au siège de l'équipe Tudor.
Photo: Pius Koller

L'invitation de Fabian Cancellara à Tadesse Abraham

En septembre prochain, le Rwanda accueillera – si tout se passe comme prévu – les premiers Mondiaux de cyclisme jamais organisés en Afrique. Une étape importante pour un continent passionné. Et du côté de Tudor ? L’équipe espoirs (moins de 23 ans), dont les responsables sont fiers, compte six Suisses, sept Européens, un Australien, un Canadien… mais aucun Africain. Le recrutement fonctionne via un formulaire ouvert, disponible en ligne. Il est très utilisé, mais le lien avec l’Afrique reste mince.

«Le simple fait d’en parler, c’est déjà un bon début. Et viens donc nous voir sur le Tour de Romandie, tu es le bienvenu», conclut Fabian Cancellara. Tadesse Abraham accepte l’invitation avec enthousiasme.

Au moment de reprendre la route pour Genève, il s’installe dans sa voiture, la tête en ébullition. «Je dois voir maintenant comment concrétiser mes idées.» Son regard brillant ne laisse aucun doute : la rencontre a fait naître des projets.

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