Le commentaire de Richard Werly
L'Europe de la corruption existe (et c'est grave)

L'interpellation, mardi 2 décembre, de l'ex-cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini relance la machine à rumeurs sur l'ampleur de la corruption et du favoritisme au sein des institutions communautaires. Grave? Oui, estime notre journaliste Richard Werly.
L'ancienne ministre des Affaires étrangères italienne Federica Mogherini relance la machine à rumeurs autour de la corruption.
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Richard WerlyJournaliste Blick

Arrêtons de tergiverser: l’interpellation pour soupçons de corruption, mardi 2 décembre, de l’ancienne Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, est bien plus qu’un signal d’alarme. Faut-il rappeler ce qui s’est passé en 2023, lorsqu’une série d’arrestations au Parlement européen ont révélé l’existence de pots-de-vin versés, entre autres, par le Qatar? Et faut-il oublier ce qui se passe en Ukraine, un pays soutenu financièrement à bout de bras par l’UE, où les ministres de la Justice et de l’Energie viennent d’être démis de leurs fonctions sur fond de détournement présumé de 100 millions d’euros?

L’arrestation de Federica Mogherini, ancienne ministre des Affaires étrangères italienne (gouvernement Renzi) et rectrice du prestigieux Collège de Bruges depuis 2020, ne signifie bien sûr pas que cette dernière est coupable. Au contraire. Sa présomption d’innocence doit être respectée, et c’est désormais au parquet européen d’apporter les éléments qui ont justifié son interpellation, dans le cadre d’une enquête sur une possible fraude dans l’attribution de marchés publics. 

Surveillance communautaire

Tout aussi important est le rappel du bon fonctionnement des institutions de surveillance communautaires. C’est parce que l’attribution des fonds européens est contrôlée qu’une telle mesure spectaculaire a pu être décidée. Gare, donc, aux accusations hâtives sur le prétendu gaspillage des fonds, vieille rengaine des opposants à l’Union. Gare, aussi, à ne pas oublier que les 27 Etats-membres connaissent aussi des problèmes de corruption et de conflits d’intérêts. 

Ouvrons en revanche les yeux. Et acceptons de regarder ce qui se passe avec lucidité. La complexité légendaire des procédures d’attributions de fonds européens est un accélérateur d’opacité, dont profitent beaucoup trop certains cabinets d’experts familiers des procédures et des personnes.

Autre problème: l’extension des compétences communautaires non prévue par les traités – par exemple ces temps-ci dans le domaine de la Défense, pour «réarmer l’Europe» – crée des appels d’air pour la corruption, vue l’ampleur des fonds engagés et la rapidité exigée dans leur attribution. Troisième souci enfin: la pression politique pour accélérer le calendrier d’adhésion pour l’Ukraine, mais aussi pour la Moldavie, deux pays où l’Etat de droit bataille contre des pratiques mafieuses très enracinées.

L’obsession ambiante des «deals»

L’Europe de la corruption existe, et elle est inquiétante. Inquiétante parce qu’elle renforce, à juste titre, la méfiance des citoyens. Inquiétante parce qu’elle affaiblit la crédibilité du projet européen face à ceux qui lui portent des coups de boutoirs politiques et économiques. Inquiétante, enfin, parce que la tentation des pots-de-vin, des passe-droits, et autres contrats biaisés est confortée par l’obsession ambiante des «deals à la Donald Trump», de la Russie au Moyen-Orient.

La seule réponse possible, dans un tel contexte, est la transparence maximale. Le parquet européen doit faire connaître au plus vite les éléments en sa possession. Les éléments incriminant contre Federica Mogherini doivent être rendus publics. Même si cela fait mal, l’obligation d’exemplarité doit s’imposer. Pour l’Europe et pour nous, Européens ou Suisses.

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