Entre Donald Trump et George Soros, la détestation est au beau fixe. «Soros et sa bande de psychopathes ont causé beaucoup de dégâts au pays», a écrit le 27 août le président républicain sur son réseau Truth Social. Accusant le milliardaire philanthrope de financer des manifestations violentes aux Etats-Unis, il l’a menacé de poursuites. Il n’a toutefois pas fourni de preuves tangibles de l'implication de Soros.
Le 13 septembre, trois jours après l'assassinat de l'activiste conservateur Charlie Kirk, Trump a déclaré que «M. Soros doit être mis en prison» et que ses activités s'inscrivent dans la «gauche radicale».
Fin septembre, l'information a fuité que le Département de Justice pourrait ouvrir une enquête pénale contre la fondation de Geroge Soros, l'Open Society Foundation (OSF), pour des charges allant de la «destruction de propriétés» au «soutien matériel au terrorisme». Un soutien fermement démenti par la fondation, qui dénonce une «attaque politiquement motivée et violant la liberté d'expression ancrée dans le 1er Amendement».
Refus d'être associé à la violence
Ce type d’accusations d’influence a régulièrement ciblé la fondation de Soros, qui est très active dans le soutien à de nombreuses causes libérales mais qui n'a jamais associé son image à des actions violentes. Ces accusations reflètent un dialogue politique envenimé entre le camp de Trump et ses adversaires démocrates.
En 2017 déjà, lors de la marche progressiste des femmes qui s’était déroulée à Washington, une thèse avait circulé sur un possible soutien de George Soros à une cinquantaine de partenaires de la manifestation. Mais l’Open Society Foundation avait démenti dans un article de fact-checking avoir directement financé des manifestants. Par la suite, l’article ayant émis cette thèse a été retiré du site du «New York Times» qui l'avait initialement publié, et son autrice a assuré être convaincue de la sincérité des citoyens présents.
Toujours en 2017, les rassemblements d’extrême droite organisés à Charlottesville, qui ont été contrés par des manifestants antiracistes, ont aussi donné lieu à des rumeurs, jamais étayées, sur un soutien de George Soros aux contre-manifestants. La position de la Fondation a été, là aussi, de nier toute implication dans la violence, tout en rappelant qu’elle finance des groupes actifs dans la justice raciale. L’influence de l’Open Society Foundation s’étend en effet à de multiples ONG et médias aux Etats-Unis et de par le monde.
Le poids des donations
Le magnat financier, d’origine juive hongroise, n’est pas exactement un nouveau venu dans la politique américaine. Déjà ennemi de George W. Bush, George Soros est l'un des plus gros bailleurs de fonds au Parti démocrate depuis des décennies. Très critique de Donald Trump depuis son premier mandat, il le qualifiait d'«apprenti-dictateur» depuis la station grisonne de Davos en 2017, et d’«escroc» et de «narcissique ultime» en 2018.
George Soros lui-même a un parcours très éloigné de ce que Trump appelle la «gauche radicale». Spéculateur maintes fois pointé du doigt par les autorités, il est devenu cet activiste qui influence les idéologies dans le monde, son action se portant notamment sur l’Europe de l’Est.
Sous son égide, avant même que l’Ukraine ne devienne pleinement indépendante, la Fondation Internationale Renaissance (IRF) a été créée en avril 1990 à Kiev, avec pour mission de «développer une société ouverte en Ukraine sur la base des valeurs démocratiques». L’Open Society Foundation déclare avoir investi plus de 230 millions de dollars en subventions en Ukraine, bénéficiant à des millions de personnes.
Une vie de spéculateur
Mais c’est d'abord dans la finance que George Soros a bâti sa réputation, en jouant dans la ligue la moins régulée, celle des hedge funds (fonds spéculatifs). Surnommé à ses débuts «l’homme qui a coulé la banque d’Angleterre», il avait gagné plus d'un milliard de dollars en pariant sur la chute de la livre sterling en 1992. Durant la crise de l’euro (2010-2012), il s’est enrichi en faisant partie des plus gros parieurs contre la monnaie unique.
Il était présent parmi la poignée de hedge funds (fonds d'investissement) qui s’étaient concertés, début février 2010, dans un restaurant de Manhattan, comme l'a révélé le Wall Street Journal, pour initier conjointement les attaques spéculatives contre l’euro. Celles-ci leur a valu une enquête du Département de justice américain. Mais le magnat et ses homologues hedgefunders, comme Kenneth Griffin, donateurs clés à Washington, n’ont jamais été inquiétés pour leurs pratiques spéculatives.
Gains records sur les subprime
Le patron des fonds Soros Fund Management avait déjà prospéré sur la bulle précédente: en pleine crise des subprime, George Soros faisait partie de cinq gérants qui avaient gagné les revenus les plus pharamineux sur le dos du krach boursier. Les cinq ont empoché, chacun, plus d'un milliard de dollars de revenus en 2008, l’année où la finance mondiale s’écroulait.
Parier sur la chute du marché à l’aide de produits dérivés est une pratique connue pour déstabiliser les marchés et accélérer leur chute. Le 11 novembre 2008, le milliardaire était convoqué au Congrès aux côtés des autres pontes des hedge funds pour être interrogé par des représentants démocrates au sujet de ces gains, accusés de mettre en danger l’économie américaine. George Soros était alors déjà un très gros bailleur de fonds du parti démocrate.
Depuis 25 ans, le spéculateur a figuré parmi les 10 plus gros donateurs du parti. En 2020 et 2022, il a même été le premier donateur, et l’un des plus majeurs en 2024.
Des bras longs dans les médias
Autre gros vecteur d’influence, depuis des décennies, la puissante Open Society Foundation finance plusieurs médias américains, européens et est-européens, et Soros s’offre régulièrement des tribunes dans les médias anglo-saxons, mais aussi français, comme celle de 2022 dans le NouvelObs, où il mettait en garde contre la menace représentée par Trump pour la démocratie.
Parmi les médias financés par Soros figure notamment Pro Publica, le site internet new-yorkais dédié au journalisme d’investigation créé en 2008, qui a reçu 1,5 millions de donations de l’OSF entre 2016 et 2021.
Autre bénéficiaire, l’OCCRP, le consortium de journalistes qui avait sorti en 2022 les fuites bancaires sur la Suisse. Ce consortium a reçu 800’000 dollars de l’OSF en 2019. Peu indépendant, l'OCCRP avait par ailleurs dissimulé le fait qu’il reçoit la moitié de son financement du gouvernement américain, comme l’a dévoilé Mediapart l’an dernier.
George Soros, 95 ans, s'est désormais partiellement retiré des affaires. Depuis 2023, la relève à la Fondation est assurée par son fils Alexander Soros, 39 ans. Ce dernier a déclaré vouloir s’impliquer aux Etats-Unis encore plus que son père ne l'a fait, notamment en encourageant les électeurs latinos et afro-américains à voter. Nul doute que Donald Trump aura encore affaire à forte partie.