Les images de Soueida, en Syrie, sont dramatiques. La fumée s'élève au-dessus des quartiers résidentiels et des blessés gisent sur des pick-up. Dans le sud du pays, la violence s'intensifie. Depuis plusieurs jours, l'armée israélienne attaque des positions militaires syriennes et même le ministère de la Défense à Damas.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu justifie cette offensive en disant vouloir protéger les Druzes, une minorité religieuse prise entre deux feux. Mais derrière sa rhétorique de solidarité se cachent des enjeux géopolitiques, des calculs de coalition et une tentative de sauver sa peau en pleine crise politique intérieure.
La ligne militaire face au calcul politique
Bien que la présidence syrienne a déclaré ce samedi un cessez-le-feu et appelé à arrêter les violences, plus de 900 personnes sont déjà mortes dans la province de Soueida, où des milices druzes se livrent à de violents combats contre des clans bédouins sunnites. Lorsque l'armée syrienne est intervenue dans ce conflit, Israël a immédiatement réagi avec des frappes aériennes ciblées sur les troupes syriennes, soi-disant pour protéger les Druzes. Même si environ 700'000 d'entre eux vivent en Syrie, cette minorité est aussi importante en Israël, où vivent environ 150'000 Druzes, dont beaucoup servent dans l'armée et sont considérés loyaux envers l'Etat. A la différence des autres minorités arabes, leur position particulière est considérée en Israël comme une «alliance de sang». Pour Netanyahu, c'est l'occasion idéale d'associer la force militaire à la légitimité morale.
Mais la relation d'Israël avec les Druzes n'est pas la seule raison qui rend Soueida si stratégique pour le Premier ministre. Depuis la chute du dictateur syrien Bachar el-Assad en décembre 2024, un régime de transition islamiste dirigé par le président Ahmed al-Sharaa a pris le pouvoir à Damas, un régime instable, soutenu par des milices, qui représente un risque aux yeux d'Israël. Tel Aviv redoute une présence militaire syrienne consolidée à sa frontière nord et poursuit depuis des années l'objectif de démilitariser la zone au sud de Damas. Les frappes aériennes actuelles s'inscrivent parfaitement dans ce raisonnement: pas de pouvoir central fort en Syrie, pas de nouvelles menaces dans la zone frontalière.
Un argument de politique intérieure
De plus, ce n'est pas un hasard si les bombes israéliennes tombent maintenant sur la Syrie. Le Premier ministre israélien fait face à une forte pression, car sa coalition composée de la droite laïque et ultra-orthodoxe est ébranlée. Deux partis ultra-orthodoxes ont quitté le gouvernement en exigeant des concessions sur le service militaire obligatoire de leurs partisans. En effet, les communautés strictement religieuses s'opposent au service militaire pour des raisons religieuses. En parallèle, la droite laïque exige les mêmes obligations pour tous. Ce conflit est un sujet de discussion permanent dans la société israélienne. Un sujet sensible et dangereux pour Netanyahu.
Mais avec son intervention militaire, le Premier ministre crée un nouveau récit: le service militaire obligatoire dépasse la simple obligation, il devient la solution à des menaces extérieures. Un tel climat permet de trancher entre les exceptions au service militaire obligatoire et la sécurité nationale. Pour ne rien arranger, de nombreux Druzes effectuent aussi leur service militaire en Israël, ce que Netanyahu ne manque pas de rappeler. Le message est clair: personne ne peut se dérober à ses obligations pendant que d'autres se battent. Cette intervention en Syrie est donc aussi un signal politique adressé à sa propre coalition.
Malgré tout, les critiques se multiplient au niveau international. Les Etats-Unis, traditionnellement le partenaire le plus proche d'Israël, semblent de plus en plus impatients. Le président Donald Trump fait pression pour un cessez-le-feu dans la bande de Gaza et pour des mesures diplomatiques vis-à-vis de la Syrie. Le ministre des Affaires étrangères Marco Rubio a déclaré publiquement que des mesures concrètes avaient été convenues avec des partenaires syriens et arabes pour mettre fin à la violence à Soueida. Mais les attaques d'Israël se sont poursuivies, même après le prétendu retrait des troupes syriennes. Les affrontements entre différents groupes de population se poursuivent aussi.
Une escalade stratégique
Washington devrait faire attention aux manigances de Netanyahu. Car la population américaine semble de plus en plus sceptique vis-à-vis d'Israël. De son côté, Netanyahu essaie de se réinventer en incarnant la fermeté à l'extérieur de ses frontières et en contrôlant le récit politique à l'intérieur de ses frontières.
Son offensive en Syrie remplit donc plusieurs objectifs en même temps: signaler la force de sa politique étrangère, servir ses intérêts géopolitiques et lui permettre de gagner du temps.