Joe Biden candidat: l’hypothèse ne fait (presque) plus de doutes. C’est peut-être même ce mardi 25 avril, dans une déclaration enregistrée, que le président des États-Unis pourrait annoncer sa candidature pour un second mandat.
S’il le fait, comme de nombreux médias américains l’affirment, la route sera pour lui dégagée au sein du Parti démocrate. Donald Trump, toujours donné favori au sein du Parti républicain, tiendra donc la revanche dont il rêve après sa défaite de novembre 2020, même si sa propre candidature est loin d’être acquise, au vu de ses difficultés judiciaires.
Et les Européens? Quelles conséquences, de ce côté-ci de l’Atlantique, d’une possible réélection du locataire de la Maison-Blanche, qui se représentera devant les électeurs à 82 ans? Ce scénario de la continuité vaut-il mieux qu’un retour de Trump aux affaires, ou que la victoire d'un autre candidat républicain ? Voici, en tout cas, ce que les partenaires des États-Unis sur le Vieux Continent doivent bien comprendre, Suisse incluse.
La bonne nouvelle: Joe Biden reste un «Européen»
Cette formule mettra en colère tous ceux que la puissance américaine insupporte. Elle sera même perçue comme une insulte par tous ceux qui estiment aujourd’hui que les Européens n’ont aucune marge de manœuvre à propos de l’Ukraine, ligotés par l’OTAN, l’alliance militaire dominée par les États-Unis. Mais attention à ne pas mélanger les sujets. La puissance de l’Oncle Sam et la manière dont l’administration Biden défend ses intérêts depuis le début du conflit constituent, en effet, un défi pour le Vieux Continent, et en particulier pour l’Union européenne. Soit. Mais une autre réalité doit être prise en compte: la personnalité et la culture politique de Joe Biden.
Élu au Sénat (pour le Delaware) depuis 1972, ex-président de la Commission des affaires étrangères, l’actuel président des États-Unis reste aussi «Biden l’Irlandais». Sa visite officielle à la mi-avril à Dublin puis à Belfast, au pays de ses ancêtres, a confirmé cet ancrage que beaucoup d’experts américains des questions internationales soulignent comme essentiel.
Barack Obama, éduqué à Hawaï, avait l’Asie en ligne de mire. Donald Trump, d’origine allemande, ne pense qu’au commerce. Joe Biden, lui, comprend la construction européenne. Il l’a vu évoluer. Il a suivi le processus d’élargissement de l’UE vers l’est. Oublier cet aspect serait une grave erreur. Biden est un interlocuteur qui connaît l’Europe. Ce qui le rend plus difficile à affronter, car il est familier des faiblesses et des divisions du continent. Mais c'est ce qui facilite les partenariats.
La mauvaise nouvelle: Joe Biden mène une guerre économique
De nombreux pays de l’Union européenne regardent aujourd’hui en priorité du côté de Washington pour presque tout. Bien au-delà des questions de défense, la Pologne, les Pays Baltes, mais aussi l’Italie et surtout l’Allemagne estiment que leur destin est lié à celui des États-Unis face à la Russie, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Pour eux, comme pour le Royaume-Uni qui est de longue date aligné sur la Maison-Blanche, l’alliance militaire américaine ne se discute pas. L’OTAN est leur référence. La France, qui défend avec de bons arguments la nécessité d’une «autonomie stratégique européenne», est de facto isolée, voir presque seule sur les questions de défense.
Le problème est que l’Amérique de Biden est en guerre économique. Depuis l’adoption de la législation IRA (Inflation Reduction Act) qui autorise des subventions massives pour rapatrier les industries et accélérer la transformation écologique, les firmes européennes mondialisées sont sous pression. «Nos grands patrons reçoivent des coups de téléphone en direct de la Maison-Blanche. C’est du débauchage XXL, sans vergogne», confiait à Blick cette semaine un commissaire européen.
L’industrie de défense américaine utilise aussi à fond la guerre en Ukraine, et les besoins sécuritaires urgents des alliés, pour vendre ses matériels. La Commission européenne a riposté à l’IRA avec l’adoption, en février 2023, d’un «plan industriel du pacte vert», prônant la réorientation de 225 milliards d’euros (sur 750) du plan de relance de juillet 2020, et la création d’un fonds européen de souveraineté.
Cette guerre économique est cruciale pour Joe Biden, qui a promis d’entamer la réindustrialisation de son pays, pour reconquérir les classes moyennes. Elle constitue, bien sûr, le cœur de l’affrontement entre les États-Unis et la Chine. Tout le danger, pour les Européens, est donc de se diviser face à une administration Biden qui voit le conflit en Ukraine comme une opportunité pour consolider la puissance militaire, énergétique et industrielle américaine. Donald Trump, avec ses méthodes brutales et son agenda erratique, a servi la cause de l’unité européenne entre 2016 et 2020. D’où le refrain entendu parfois en France: Trump président en 2024 serait meilleur pour l’Europe. Rien ne le garantit. Mais l’argument dit le désarroi ambiant.
La leçon à retenir: l’Amérique de Joe Biden a besoin des Européens
S’il se représente en 2024 à l’âge de 82 ans, Joe Biden aura, sur le plan international, un défi principal, voire unique: faire face à la Chine. Biden le sait. La chance des Européens, s’ils restent unis dans la défense de leur meilleure arme qu’est le marché intérieur, se trouve dans ce duel Washington-Pékin. Sur le plan diplomatique et économique, cela veut dire que l’Union européenne doit préserver à tout prix ses liens avec les pays du sud, très intéressés par leurs exportations vers le Vieux Continent et par les transferts de technologie.
Sur le plan de l’innovation et du numérique, après la défaite sur le marché des données personnelles (aujourd’hui contrôlé par les géants américains, les fameux GAFAM), l’Europe doit jouer sa partition dans la bataille pour les données industrielles et l’intelligence artificielle. Contrairement à Donald Trump, Joe Biden n’est pas isolationniste. Il croit à une alliance des démocraties. Il sait que l’Amérique du 21ᵉ siècle a besoin d’alliés.
C’est cet enjeu que les Européens ne doivent pas rater si ce président octogénaire décide de se représenter. C’est cette carte que les Européens doivent abattre, pour amener les États-Unis à s’engager davantage pour le retour de la paix en Ukraine. Joe Biden a, on le sait, une relation étroite et compliquée avec ce pays où son fils Hunter a fait des affaires qui ont nourri la polémique. En juillet à Vilnius (Lituanie), un nouveau secrétaire général de l’OTAN devrait être désigné pour remplacer le Norvégien Jens Stoltenberg. Au même moment, suite aux élections européennes de mai 2024, les 27 chefs d’État ou de gouvernement désigneront le successeur d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne, à moins qu’elle soit reconduite. À chacune de ces étapes, les pays européens peuvent faire valoir leurs préférences, leurs choix, leurs demandes.
Avantage? Biden est en capacité de les écouter. Alors que Trump…