C’est devenu la priorité des Etats proches de la Russie et du Bélarus: construire un «mur antidrone», invisible mais redoutable. Après des incursions signalées en Pologne, Estonie, Roumanie, au Danemark et en Norvège, l’Union européenne a placé la sécurisation de son espace aérien au cœur des discussions lors du sommet informel de Copenhague, mercredi 1er octobre.
Les épisodes à répétition ont mis en lumière une évidence: le retard de l'OTAN face à une menace émergente. Les défenses actuelles ne sont pas taillées pour la menace à basse altitude que représentent aujourd’hui des appareils souvent bon marché et très mobiles. En Pologne, le 9 septembre, des F-16 et F-35 ont dû intervenir pour abattre — à l’aide de missiles, trois des 19 drones détectés.
Un coût opérationnel et financier que le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, juge insoutenable : «Il n'est pas viable de détruire des drones coûtant un à deux mille dollars avec des missiles qui valent peut-être un demi-million, voire un million.» Mais alors, à quoi pourrait ressembler ce «mur»?
Des yeux et des oreilles
Au contraire de la ligne Maginot ou du rideau de fer, ce «mur» n’aura rien de physique. Pas de béton, pas de barbelés, mais un bouclier technologique invisible, reposant sur un réseau dense de radars, capteurs acoustiques, caméras et satellites. Il pourrait alors «voir» et «entendre» chaque appareil suspect. La Pologne, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Finlande, la Hongrie, la Bulgarie et le Danemark veulent déployer d’ici un an ce réseau de surveillance, capable de tracer les drones en temps réel et de déclencher une riposte immédiate.
Une fois détectés, plusieurs options s’offrent aux Européens. La méthode douce consiste à brouiller les signaux pour dévier l’engin ou le forcer à atterrir. Peu coûteuse, elle a toutefois ses limites. En effet, de plus en plus de drones sont autonomes, équipés de navigation inertielle ou de fréquences sautantes qui résistent aux interférences.
La méthode forte
Reste alors, la méthode forte, c'est-à-dire la destruction physique du drone. L’Europe mise notamment sur l’«Oerlikon Skyranger», développé en Suisse, un canon automatique doté de munitions éclatantes capables de faucher des essaims à courte portée, jusqu’à 4 km. A moyenne distance, les missiles IRIS-T allemands ou NASAMS norvégiens offrent une réponse pour des appareils plus rapides. Pour les menaces lourdes, les systèmes Patriot américains ou SAMP/T franco-italiens restent des options, mais au coût prohibitif.
Parallèlement, plusieurs pays investissent dans les armes laser. Elles séduisent par leur promesse de tirs illimités, et leur précision chirurgicale. Problème: leur efficacité est réduite par la pluie, le brouillard ou la poussière. Autre innovation: les drones intercepteurs, capables de percuter ou détruire un appareil ennemi pour quelques milliers d’euros. Déjà testés en Ukraine, ils exigent toutefois des pilotes aguerris ou des systèmes autonomes avancés, ce qui limite leur déploiement massif.
Un chantier colossal
Protéger la frontière orientale de l’UE, longue de plus de 3000 km, représente un défi logistique et financier colossal. D’autant que la menace peut aussi venir de l'intérieur. En effet, des drones peuvent être dissimulés dans des véhicules à l’intérieur du territoire, ou encore lancés depuis des navires, à l’image d’un bâtiment russe aperçu récemment au large des côtes françaises.
L’Ukraine, riche de son expérience, propose de partager son savoir-faire en matière de lutte antidrone. Mais l’Europe doit surtout réussir un double pari: coordonner des systèmes disparates entre pays membres et bâtir une défense financièrement soutenable. Les premiers jalons devraient être posés dès cette année, mais il faudra probablement une décennie pour que le «mur antidrone» devienne une réalité opérationnelle.