Objectifs de décarbonation en périle
L'énergie fossile au coeur du deal entre l'UE et Trump

L'UE s'engage à importer massivement de l'énergie américaine pour éviter une guerre commerciale avec Trump. Cette décision, visant à remplacer les importations russes, soulève des inquiétudes environnementales et des doutes sur sa faisabilité.
Publié: 29.07.2025 à 14:02 heures
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Une bonne partie des milliards promis aux Etats-Unis serait consacrée au gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par navire, déchargé dans des ports, regazéifié puis injecté dans le réseau européen.
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AFP Agence France-Presse

Et pour quelques 750 milliards de dollars de plus. L'Union européenne s'est engagée à importer d'énormes quantités d'énergie américaine pour éviter une guerre commerciale avec Donald Trump, mais ces commandes de gaz naturel liquéfié et de pétrole alarment les défenseurs du climat. Bruxelles l'assure, ce montant massif n'a pas simplement été affiché pour contenter le milliardaire américain. L'Union européenne dit avoir «évalué» ses besoins, au moment où elle compte renoncer à toutes ses importations d'énergie russe d'ici fin 2027, en raison de la guerre en Ukraine.

Mais le calcul est sujet à caution. Car ce n'est pas l'UE qui achète cette énergie, mais des entreprises privées. Tout dépendra de leurs carnets de commandes et il faudra des «infrastructures» face à une telle hausse des approvisionnements, convient un fonctionnaire de la Commission européenne. Durant trois ans, l'Europe table sur des achats d'énergie américaine - surtout du pétrole et du gaz - de 250 milliards de dollars chaque année, plus de trois fois supérieur aux importations actuelles en provenance des Etats-Unis (environ 70 milliards de dollars en 2024).

Importations en baisse en 2024

Cela représenterait plus de la moitié de tout ce que l'UE a dépensé pour importer de l'énergie en 2024 - 375,9 milliards d'euros soit environ 435,5 milliards USD - selon Eurostat. Si bien que plusieurs spécialistes jugent l'objectif irréaliste, tant du côté de l'offre que de la demande. Car trois ans ne suffiraient pas aux Etats-Unis pour développer de telles capacités d'exportation, estime Simone Tagliapietra, analyste au centre de réflexion européen Bruegel.

Et côté demande, ce «sont les dynamiques du marché qui déterminent les choix des entreprises énergétiques» et pas des annonces de la Commission européenne, rappelle cet expert, alors que les importations ont baissé en 2024. «La demande de gaz en Europe est en baisse», et le marché «peu susceptible d'absorber les volumes excédentaires», affirme aussi Ana Maria Jaller-Makarewicz, de l'institut IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis).

Contradiction avec la politique climatique de l'UE

Une bonne partie des milliards promis aux Etats-Unis serait consacrée au gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par navire, déchargé dans des ports, regazéifié puis injecté dans le réseau européen. Les Etats-Unis représentent environ la moitié du GNL importé dans l'Union européenne actuellement, devant la Russie (20% des importations), à qui Bruxelles veut couper le robinet. Des défenseurs de l'environnement redoutent une arrivée massive de GNL américain, en partie produit à partir du procédé controversé de la fracturation hydraulique.

Ils pointent la contradiction avec les ambitions climatiques de l'UE, qui prévoit de réduire sa dépendance aux combustibles fossiles. «La Commission risque de remplacer une dépendance désastreuse par une autre - débrancher le gaz de Poutine et brancher celui de Trump», fulminait l'ONG Greenpeace dès le mois de mai.

Cela «compromet la stratégie de sécurité énergétique»

François Gemenne, chercheur belge en politique du climat et coauteur du 6e rapport du Giec, dénonce une «soumission à la politique fossile de Donald Trump», qui a profité du rendez-vous dimanche avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pour s'en prendre comme il le fait souvent aux éoliennes. Le «deal» conclu avec Trump «met en péril» les «objectifs de décarbonation» de l'UE, abonde Aymeric Kouam, chez Strategic Perspectives, un autre centre de réflexion sur la transition énergétique.

Selon lui, cela «compromet la stratégie de sécurité énergétique» de l'Europe «qui repose sur la diversification des approvisionnements, le développement des renouvelables et l'amélioration de l'efficacité énergétique». La Commission rétorque que les importations ne concernent que les trois ans à venir pour pallier la fin du gaz russe. «Cela ne contredit en aucun cas nos objectifs climatiques» de long terme, a assuré une porte-parole.

Bruxelles indique aussi que l'enveloppe pourrait comprendre des commandes de «réacteurs nucléaires», probablement des SMR, des petits réacteurs modulaires. Cet accord intervient alors que l'Union européenne débat de sa trajectoire climatique pour 2040. La Commission a récemment proposé de maintenir son objectif de réduction de 90% des émissions de gaz à effet de serre en 2040 par rapport à 1990, mais en introduisant des «flexibilités» dans le mode de calcul, pour tenter de rallier les Etats les plus réticents.

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