Aujourd'hui, l'épisode de février 2023 fait l'effet d'un avertissement. Nadine Olivieri Lozano, l'ambassadrice de Suisse en Iran, s'était alors rendue en voile intégral sur un site religieux du lieu de pèlerinage chiite de Ghom et y avait échangé avec les ayatollahs.
Les photos avaient alors fait le tour du monde et provoqué l'irritation générale – après tout, le régime des mollahs iraniens était à l'époque en train de réprimer dans le sang le mouvement de protestation qui s'était formé dans le pays après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, en septembre 2022. Les Iraniennes qui s'opposent à l'obligation de porter le voile sont, depuis, arrêtées, battues, humiliées et violées.
Dans l'ombre des événements au Proche-Orient et en Ukraine, la répression continue pourtant de monter en puissance. La militante des droits des femmes Narges Mohammadi, récemment récompensée par le prix Nobel de la paix, a dû suivre l'annonce de sa distinction depuis sa cellule de prison début décembre.
Les organisations de défense des droits de l'homme tirent la sonnette d'alarme sur les nombreuses exécutions. Il y a trois semaines, un jeune de 17 ans a été exécuté.
Les dirigeants iraniens maintiennent le cap
Pour les dirigeants, tout va également pour le mieux en matière de politique étrangère: avec la milice libanaise du Hezbollah, les Houthis yéménites et le régime syrien d'Assad, ils disposent d'importants piliers dans la région. Les liens avec la Russie et la Chine se sont encore renforcés.
Pour ne rien arranger, l'Europe est trop faible pour s'y opposer – contrairement aux Etats-Unis et au Canada, l'UE n'a même pas réussi à placer les Gardiens de la révolution sur la liste des organisations terroristes. Ils sont le moteur de la politique intérieure et extérieure agressive de Téhéran.
Toutes les tentatives pour isoler l'Etat iranien ont échoué. Le 7 octobre, le Hamas, soutenu par l'Iran, a perpétré une attaque terroriste contre Israël qui a fait 1200 morts et a ainsi réussi à entraîner le gouvernement de Netanyahu dans une nouvelle guerre qui a fait près de 20'000 victimes palestiniennes. Des représentants des Gardiens de la révolution se vantent d'avoir entraîné le Hamas à l'approche du 7 octobre.
Lorsque l'ambassadrice Nadine Olivieri Lozano a entrepris son voyage à Ghom en février, le département du ministre des Affaires étrangères PLR Ignazio Cassis annonçait fièrement que la visite d'une université en vue d'un «échange interreligieux» était également au programme. Cela correspondait très bien au motif des bons offices mis en avant par l'administration fédérale.
En tant que puissance protectrice, la Suisse défend les intérêts des Etats-Unis en Iran et veut être un médiateur sur la scène mondiale, ce qui implique aussi des engagements de la société civile de tous les côtés. Ce que l'on ignorait alors en Suisse, c'est que l'université mentionnée était l'University of Religions and Denominations (URD), en français l'Université des religions et des confessions.
L'université, bras armé des ayatollahs
L'URD est étroitement liée à l'appareil du pouvoir iranien. Lors de sa fondation en 2005, des représentants des Gardiens de la révolution étaient présents. L'un d'entre eux est le partisan de la ligne dure Mohammad Taghi Shahcheraghi, vice-ministre de l'Intérieur depuis cet été. Un autre est l'ayatollah Alireza Arafi, membre du Conseil des gardiens et confident du guide de la révolution Ali Khamenei.
Arafi a déjà rencontré à plusieurs reprises le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. En 2018, le vice-président du Hezbollah Naim Kassim, qui appelle publiquement à la destruction d'Israël, est apparu à l'URD. De telles ramifications de l'URD avec le régime des mollahs et ses alliés internationaux ont notamment été mises en évidence par l'ONG américaine United Against Nuclear Iran dans un rapport détaillé publié le 5 novembre.
Le rapport d'un portail proche du régime daté du 24 février 2023, que Blick s'est procuré, est explosif. On y voit Nadine Olivieri Lozano en train de discuter avec le chef de l'URD. Selon le reportage en persan, l'invité suisse semble avoir fait preuve de tout sauf de distance critique, bien au contraire.
Nadine Olivieri Lozano est cité en ces termes: «Nous sommes très intéressés par l'extension de la coopération entre les universités suisses et l'URD.» Et il est «très réjouissant» que l'URD, «en tant qu'université internationale, offre aux étudiants du monde entier la possibilité d'y étudier». L'ambassadrice est favorable à «la coopération scientifique entre les universités des deux pays».
Contrairement à ce que laissent entendre les déclarations de Berne, l'URD n'est pas une université pour les Iraniens ordinaires. L'Islamic World Science Citation Database ne mentionne même pas l'université. On n'y accède pas par un examen d'entrée; la direction recrute elle-même ses étudiants, à 85% de l'étranger selon ses propres indications.
L'URD est très bien connectée
Sur le site Internet, on ne se donne même pas la peine de simuler une quelconque distance par rapport au régime qui contrôle l'Iran depuis plus de quatre décennies. Le président de l'université qualifie ouvertement l'URD de «capital pour la politique étrangère de la République islamique»; sur le site web, on peut voir comment il félicite le chef de la brigade Qods pour sa nomination. Il s'agit de la branche étrangère des Gardiens de la révolution.
Le général d'unité Qassem Soleimani (1957-2020), assassiné par les Etats-Unis en 2020, jouit dans ces milieux d'un statut de martyr – dans un discours, le recteur de l'URD qualifie son université de «pionnière» au sujet de ce que Soleimani a «mis en pratique».
Comme l'a révélé le rapport de United Against Nuclear Iran, cette même université controversée entretenait une collaboration avec plusieurs universités allemandes. Les journaux «Taz» et «Bild» ont rapporté l'information. Selon le groupe, l'infiltration des institutions occidentales constitue un important instrument de soft power du régime des mollahs.
Les universités de Paderborn, Münster et l'université libre de Berlin ont entre-temps mis fin à leur coopération avec l'URD. Le travail de lobbying des mollahs est toutefois très efficace. Les représentants de haut rang de l'intelligentsia occidentale sont courtisés. En mars 2023, le pape François a reçu une délégation de l'URD au Vatican.
L'«école des cadres» des mollahs («Taz») entretient également ses relations en Suisse. Il y a trois semaines, la «NZZ am Sonntag» a publié un article sur Saida Mirsadri, une professeure iranienne de philosophie de la religion invitée à l'université de Zurich et liée à l'URD.
Contradictions chez la professeure invitée
Ce qui a attiré l'attention, c'est un podcast assez indulgent de Saida Mirsadri avec la doyenne du séminaire de sciences religieuses le 14 octobre 2022 («Le corps féminin comme champ de bataille»). Alors que le mouvement de libération en Iran était à son apogée, Saida Mirsadri a exprimé son mécontentement de voir les dirigeants iraniens qualifiés d'islamistes.
L'université de Zurich a alors fait savoir que Saida Mirsadri n'avait été «affiliée que de mars 2023 au 6 novembre 2023 par le biais d'un titre ('Research Chair')». De plus, elle n'y était pas employée, «ne recevait pas de salaire et n'a jamais enseigné à l'URD».
Toutefois, l'université elle-même semble avoir hésité – le «seulement» a ensuite disparu de la prise de position, et Saida Mirsadri parle elle-même franchement dans une autre interview du fait qu'elle a travaillé pendant huit ans comme traductrice pour l'URD.
En réponse à l'article de la «NZZ», Reinhold Bernhardt, professeur de théologie systématique à l'université de Bâle, a rédigé une lettre de lecteur enflammée. Il y a qualifié Saida Mirsadri de «bras long de Téhéran», avec ses «insinuation grotesque, avec des citations sorties de leur contexte, des informations à moitié vraies et des interprétations tendancieuses». Le professeur Bernhardt a lui-même déjà eu affaire à l'URD: en 2015, il y a animé un atelier d'une semaine sur le thème du «théisme ouvert» et des théories postcoloniales.
Dans le milieu des théologiens suisses, on relativise et on évoque les circonstances particulières qui s'appliquent aux citoyens des Etats totalitaires - on ne peut pas tout dire en public. Ainsi, Mirsadri a lui-même perdu des membres de sa famille à cause de la répression, dit-on. La critique a lieu dans le cadre du possible.
«Une sorte de lieu de pèlerinage pour les scientifiques occidentaux»
Interrogé par Blick, Reinhold Bernhardt nuance: «La critique acerbe des déclarations du président de l'URD est tout à fait justifiée», dit-il. «Je les partage.» Mais on ne peut pas déduire de ces déclarations «l'orientation politique ou religieuse de l'URD dans son ensemble» et encore moins l'attitude de Mirsadri. Lui-même s'y serait rendu quatre fois entre 2014 et 2018, où il aurait donné des cours et des séminaires et participé à des manifestations.
Selon Reinhold Bernhardt, les étudiants ne partagent pas non plus du tout la position de la haute direction. «Pour autant que je puisse en juger, certaines de ces personnes sont très critiques à l'égard du régime et ne sont pas du tout dans la ligne de ce que le président a dit.»
Pour lui, il ne s'agit «en aucun cas» d'une université conservatrice ou même extrémiste, au contraire: «Pendant de nombreuses années, l'URD a été une sorte de lieu de pèlerinage pour les scientifiques occidentaux et les représentants religieux éminents intéressés par le dialogue avec l'islam chiite.» Par ailleurs, le recteur de l'université de Zurich a également été invité une fois avec un groupe de professeurs zurichois. Reinhold Bernhardt entretient ces contacts avec l'URD uniquement pour le bien des étudiants. Il le souligne. «Je ne le regrette pas du tout.»
Les détracteurs du régime sont déçus par la Suisse
Et que dit-on au Département des affaires étrangères de Cassis? «Pour pouvoir exercer leur fonction, nos ambassadeurs doivent connaître le pays d'accueil dans son ensemble, sa culture et sa population», fait savoir un porte-parole du DFAE à Blick. «Cela implique aussi des visites dans des institutions académiques dans les différentes parties du pays.»
Lors de la visite de l'URD, les droits de l'homme auraient également été abordés. Pour l'ambassadrice Olivieri Lozano – considérée comme une diplomate talentueuse – la visite a été «l'occasion d'une prise de contact avec cette institution académique dans le domaine du dialogue interreligieux». Une collaboration entre l'URD et les universités suisses n'est pas prévue en 2024.
Les opposants au régime d'origine iranienne observent avec amertume toute cette histoire. «Les autorités suisses ont affirmé en février que l'ambassadrice Olivieri Lozano entretenait des contacts avec tous les groupes en Iran», déclare la politologue Saghi Gholipour, cofondatrice du mouvement «Free Iran Switzerland». «Mais je n'ai jamais lu qu'il avait rendu visite à la famille de Jina Mahsa Amini. Ou une visite aux survivants des 700 personnes exécutées l'année dernière.»
Selon lui, la Suisse encourage par ses signes les mollahs à poursuivre leurs crimes. «La Constitution stipule que nous encourageons le respect des droits de l'homme dans le monde entier. Ce qu'a fait notre ambassadrice contribue au contraire.»
Gholipour attend toujours de la Confédération qu'elle change enfin d'attitude et qu'elle devienne plus critique envers le régime iranien et son travail de relations publiques.