Au sommet à 66 ans
Jamie Lee Curtis, la revanche d’une vieille

L’actrice révélée par la saga «Halloween», est à l’affiche de «Freaky Friday 2». Avec ses rides, ses positions politiques fortes et une carrière qui résiste au temps, elle fait figure d’exception à Hollywood.
Publié: 10:18 heures
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Jamie Lee Curtis, est à l’affiche de «Freaky Friday 2».
Photo: keystone-sda.ch
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Margaux BaralonJournaliste Blick

L’image est gravée si fort dans les rétines qu’il n’y a même plus besoin du titre du film pour le reconnaître. Côte à côte, une jeune femme et une autre plus âgée se tiennent le visage dans les mains, en hurlant. Ces femmes, ce sont Lindsay Lohan et Jamie Lee Curtis, actrices de leur état. Le cliché est extrait du film «Freaky Friday», sorti en 2003, et illustre le moment précis où les personnages du long-métrage, une fille et sa mère, réalisent qu’elles ont échangé de corps l’une avec l’autre. 

Immense succès populaire il y a vingt-deux ans, cette comédie ne pouvait pas échapper à la stratégie de Disney consistant à recycler tout ce qui peut l’être à coups de prequel, sequel et autres spin-off. La suite, «Freakier Friday», vient donc d’arriver sur les grands écrans.

La pose est identique, l’image est la même et pourtant, quelque chose a changé. La première n’est plus une ado rebelle, la seconde n’est plus quadragénaire, mais affiche de longs cheveux gris. Les actrices, elles aussi, ont changé. En pleine ascension en 2003, lorsqu’elle passe de l’écurie Disney pour très jeunes filles au cinéma, le vrai, Lindsay Lohan a depuis connu une carrière en dents de scie et de nombreux déboires judiciaires, enchaînant les cures de désintoxication et la une des tabloïds. 

Jamie Lee Curtis, elle aussi, a traversé des hauts et des bas, avant une stupéfiante remontada professionnelle. Depuis 2018 et le reboot du film d’horreur «Halloween», la sexagénaire est partout, mais surtout là où on ne l’attendait plus. Et s’affirme de plus en plus comme un électron libre du système hollywoodien d’ordinaire très corseté.

La «scream queen» qui rêvait d’autre chose

Si le «Halloween» de 2018 l’a si bien remise sur orbite, c’est que la carrière de la comédienne est intimement liée à cette saga. En 1978, c’est dans le film original de John Carpenter, le tout premier d’une carrière amorcée par de petits rôles à la télévision, que Jamie Lee Curtis explose. Elle incarne Laurie Strode, jeune étudiante baby-sitter et seule survivante parmi celles et ceux qui croisent la route du psychopathe masqué Michael Myers. 

Repérée pour son physique androgyne, la jeune femme de 20 ans à peine décide de creuser le sillon du cinéma d’horreur et enchaîne alors une petite demi-douzaine de films, dont «The Fog», «Le Bal de l’horreur» et «Le Monstre du train», qui lui valent bientôt un surnom. La voilà désignée comme la scream queen du cinéma américain, la reine du cri de terreur.

Polyvalente à la peine

Secrètement pourtant, Jamie Lee Curtis rêve d’autre chose. Après tout, elle a de qui tenir. Sa mère, Janet Leigh, inoubliable Marion Crane dans «Psychose», d’Alfred Hitchcock, a su passer de la comédie au western. Son père, Tony Curtis, fut aussi bien la moitié du duo iconique de «Certains l’aiment chaud» que la vedette de films policiers. La nepo baby, à l’époque où personne n’utilise encore ce terme pour désigner les «fils de», décide donc de s’affirmer et, après avoir rempilé pour un deuxième épisode de «Halloween» à l’aube des années 1980, se détourne du genre.

Drame ou comédie, Jamie Lee Curtis se frotte à tout. Parfois, cela fonctionne, notamment avec «Un poisson nommé Wanda», succès public et critique qui lui vaut d’être nommée au Golden Globe. Souvent, cela passe inaperçu. En réalité, il manque toujours quelque chose à ses projets pour qu’ils fassent mouche. De longs-métrages ratés en films réussis, mais qui se plantent au box-office, Jamie Lee Curtis voit sa carrière patiner.

Accro aux médicaments et à l’alcool

Il n’y a pas que la carrière qui patine. Côté coulisses aussi, l’actrice est en train de sombrer sans que le public s’en aperçoive. En 1984, alors qu’elle n’a que 26 ans, elle tourne «Perfect», son premier drame, avec John Travolta. Un matin sur le plateau, le directeur de la photographie refuse de se mettre derrière la caméra. «Je ne peux pas la filmer, elle a des poches sous les yeux», balance-t-il à propos de la jeune femme… qui s’empresse, une fois le film terminé, de passer sur le billard pour une blépharoplastie. «Ce n’était pas la bonne chose à faire», explique-t-elle aujourd’hui dans l’émission américaine «60 Minutes».

On lui prescrit des opioïdes pour la douleur. Elle devient accro au Vicodin, un puissant médicament, et se met à boire. «Il n’y a jamais eu de débordements publics, mais je suis devenue dépendante.» Pendant plus de dix ans, l’actrice avale ses pilules à l’insu de tout le monde. Lorsqu’un ami, puis sa sœur, s’en rendent compte, et qu’elle tombe en 1999 sur un témoignage de l’auteur Tom Chiarella, lui-même addict, Jamie Lee Curtis décide d’entamer une cure de désintoxication. Elle est sobre depuis, comme l’a raconté à «Variety».

«Une génération de femmes défigurées»

Que tout cela soit parti d’une opération de chirurgie esthétique est une grinçante ironie du sort. Car aujourd’hui, Jamie Lee Curtis fait figure d’exception dans une industrie du cinéma qui ne supporte pas la vieillesse de ses stars. Avec sa coupe à la garçonne grisonnante – elle a accepté, pour Disney, de se laisser pousser les cheveux et d’adopter une coiffure plus conforme aux canons féminins traditionnels dans «Freaky Friday 2» – et ses rides, l’actrice détonne.

C’est que le sujet est pour elle devenu un combat. Photographiée par le «Guardian», elle arrive même avec une énorme bouche en cire pour dénoncer les ravages de la chirurgie esthétique. «J’ai souvent parlé du génocide commis par l’industrie cosmétique contre une génération de femmes, qui se sont défigurées», explique-t-elle au journal britannique. Avant d’expliquer l’utilisation délicate du terme «génocide»: «Je l’utilise précisément parce que c’est un mot fort. Je pense que nous avons effacé une génération ou deux d’êtres humains naturels. Il y a une défiguration de générations entières, surtout des femmes. Et c’est encouragé par l’intelligence artificielle parce que maintenant, les gens veulent avoir un visage comme celui créé par les filtres sur les téléphones.»

Dans les colonnes du magazine «Elle», la comédienne enfonce le clou: «Comment ne pas finir par se haïr? C’est toxique. Et moi, même si je suis une vieille dame, je continuerai à me battre contre ça.» Difficile de ne pas songer à sa partenaire de jeu dans «Freaky Friday», Lindsay Lohan, qui, si elle a toujours nié l’usage de chirurgie esthétique tout en admettant l’injection de botox, n’a pas du tout le même visage vingt-deux ans après le premier volet, et semble figée dans une éternelle jeunesse conférant à la bizarrerie.

Une actrice en contrôle

Pour contrer la pression hollywoodienne, Jamie Lee Curtis semble avoir trouvé la méthode: garder le contrôle et imposer sa volonté. Parfois, il suffit d’une photo. En 2002, à 44 ans, elle fait la couverture du magazine «More» et les convainc de la laisser poser sans maquillage, en sous-vêtements, alors que son corps n’est pas celui d’une mannequin. «Ils ne sont pas venus en me disant ‘Hey Jamie, tu devrais enlever tes vêtements et montrer à l’Amérique que tu es grassouillette.’ Cela s’est produit parce que j’ai dit que cela devait se produire», lance-t-elle au «Guardian». «Et j’ai même choisi le titre, ‘True Thighs’ [un jeu de mot entre «True Lies», le titre de l’un de ses films, que l’on peut traduire par «Vraies cuisses»].

«Cela fait 30 ans que je me prépare à quitter la scène», assure-t-elle, toujours au quotidien britannique. «Je veux quitter la fête avant qu’on ne m’y invite plus.» Cette peur du vide, de la fin, lui vient là aussi de ses parents. «L’industrie les a rejetés à partir d’un certain âge. Je les ai vus atteindre un succès inimaginable, qui s’est ensuite érodé jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. C’est très douloureux.»

L’heure de la reconnaissance…

La fête, pourtant, se poursuit plus que jamais. Alors que Jamie Lee Curtis n’a jusqu’ici jamais fait partie de la «A-list», cette catégorie d’acteurs et actrices de tout premier plan, alors que sa carrière a connu des trous d’air dans les années 1990 puis de nouveau après «Freaky Friday» du milieu des années 2000 jusqu’en 2018, la voilà sollicitée de tous les côtés. On l’a vue en matriarche insupportable dans «A couteaux tirés», comédie policière au succès inattendu. Elle a marqué, en l’espace d’un seul épisode, la saison 2 de la série «The Bear», là aussi en mère inadaptée (et alcoolique). Et surtout, en 2023, on la voit pleurer à chaudes larmes lorsqu’elle reçoit son premier Oscar, pour son second rôle dans le film «Everything Everywhere All at once», sorti l’année précédente.

Outre une actrice reconnue, Jamie Lee Curtis a atteint aujourd’hui le statut de modèle. Ce qui s’explique au moins autant pour son retour au cinéma que pour ses positions politiques fortes. Mère de deux filles, dont l’une est trans, la sexagénaire s’oppose frontalement à Donald Trump. «On avait progressé, [les conservateurs] nous font reculer, on reprendra du terrain, ils nous referont reculer, c’est comme ça», prédit-elle dans «Elle». «Mais on ne doit pas perdre espoir.»

…et de l’épanouissement

Celle qui est aujourd’hui également productrice travaille activement sur des projets de séries et de films en pagaille. Comme une revanche sur les années de disette, de stéréotypes et d’étiquettes qui collent à la peau. «Ce qui est traumatisant, c’est de ne pas être capable de montrer l’éventail de ce dont vous êtes capable en tant qu’artiste», souffle-t-elle au «Guardian». «De passer l’intégralité de votre vie publique à retenir ces capacités. Cette profondeur. Cette complexité. Cette contradiction. Cette rage. Cette douleur. Cette peine. D’avoir été limitée à une palette bien plus étroite de votre travail créatif et émotionnel.»

S’il ne fallait retenir de cette Jamie Lee Curtis au sommet qu’une image, sûrement serait-ce celle d’Annette, la meilleure amie du personnage principal incarné par Pamela Anderson dans «The Last Showgirl», sorti un peu plus tôt cette année. Ancienne vedette de cabaret devenue serveuse dans un casino, Annette porte un body échancré ridicule sur le corps d’une sexagénaire. Et finit par danser tristement sur une barre de pole dance. Image pathétique, sublimée par le talent de son interprète, qui insuffle à son personnage autant de douleur que de dignité. A 66 ans, Jamie Lee Curtis n’est plus une scream queen, mais une queen tout court. Et n’est plus obligée de retenir son talent.

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