Un gouvernement «insensible»
En Indonésie, les concessions du président ne calment pas la colère du peuple

Des manifestations violentes secouent l'Indonésie suite à la colère contre les privilèges des députés et la crise économique qui frappe la population. Malgré les concessions du président Prabowo, les inégalités continuent d’alimenter un fort ressentiment populaire.
Publié: 02.09.2025 à 12:14 heures
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Des chauffeurs de motos-taxis défilent lors d'un rassemblement pacifique à Jakarta le 2 septembre 2025.
Photo: AFP
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AFP Agence France-Presse

Bâtiments publics incendiés, maisons de politiciens pillées et manifestants tués: devant la violence des protestations, le président Prabowo Subianto a accordé des concessions mais les causes profondes du malaise demeurent, selon des experts, faisant craindre la persistance d'un fort ressentiment au sein de la population. Les pires violences que le pays ait connues depuis des décennies ont fait au moins six morts et, selon une ONG, au moins vingt disparus.

A l'origine, un mécontentement général face à des avantages considérés comme excessifs, accordés aux députés. La situation a dégénéré après la mort jeudi à Jakarta d'un chauffeur de moto-taxi écrasé par un fourgon de police. Les Indonésiens ordinaires espéraient toucher les dividendes de la forte croissance économique enregistrée notamment au deuxième trimestre de l'année grâce à la demande manufacturière et à l'exportation et saluée par le président Prabowo Subianto.

Mais ils n'ont rien vu venir et au contraire, Prabowo, promettant de faire grimper la croissance de 5 à 8%, a décrété de nombreuses coupes budgétaires pour financer notamment un coûteux programme de repas gratuits pour les scolaires. Dans le même temps, la population voit une classe politique souvent corrompue s'enrichir, sur fond d'inégalités qui se creusent entre riches et pauvres.

«A l'origine, il y a des problèmes économiques. Certaines politiques économiques ont suscité un agacement, voire une certaine colère», estime Nailul Huda, économiste au Centre d'études économiques et juridiques (CELIOS) de Jakarta. «Si la croissance économique est réelle, elle se fera sentir dans les classes populaires», prévoit-il. Mais pour le moment, «les licenciements sont monnaie courante».

«Le gouvernement semble insensible aux préoccupations»

Les généreux avantages accordés aux députés, notamment une augmentation des allocations de logement, représentant près de dix fois le salaire minimum dans la capitale Jakarta, ont déclenché la colère des manifestants. Avant que la mort d'un chauffeur de moto-taxi ne mette le feu aux poudres. Les manifestations ont conduit Prabowo à promettre la suppression de cette augmentation de l'allocation des députés.

Mais ces annonces ne vont probablement pas assez loin, selon les experts. Pour Nailul Huda, «le gouvernement semble insensible aux préoccupations» de la population. Prabowo avait déjà été confronté en février à des manifestations, de moindre ampleur, contre des coupes budgétaires généralisées destinées à financer son dispendieux programme de repas gratuits et le nouveau fonds souverain Danantara.

Aux licenciements en hausse de +32% sur un an entre janvier et juin, selon le ministère du Travail, s'ajoute une crise du coût de la vie, explique Jahen Fachrul Rezki, chercheur en économie à l'Université d'Indonésie. «Notre économie est peut-être en phase d'expansion, mais les gains sont en grande partie captés par les détenteurs de capitaux, ce qui soulève de sérieuses inquiétudes quant à savoir qui bénéficie réellement de cette croissance», ajoute-t-il.

A peine un franc par jour

Alors que le gouvernement annonce une hausse de la production de riz, le prix de l'aliment de base des Indonésiens a augmenté de plus de 6% sur un an. Autre signe d'inquiétude, selon des chiffres officiels, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (à peine un franc suisse par jour) à Jakarta, mégalopole de 11 millions d'habitants, est passé de 362'000 en 2019 à près de 450'000 en septembre 2024, de source officielle.

L'une des premières mesures de Prabowo a été d'annoncer un relèvement de 11 à 12% de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), avant de revenir sur sa décision face aux réactions négatives et de déclarer que cette hausse se limiterait aux produits de luxe. «Il n'est ni faisable ni judicieux pour le gouvernement d'augmenter la TVA alors que le pouvoir d'achat des gens diminue», juge Nailul Huda.

La mort du chauffeur-livreur de 21 ans a également suscité la colère au sein d'un groupe social qui subit des déductions salariales plus importantes et des heures de travail plus longues, mais qui attendait beaucoup des promesses de prospérité. «Il y a eu des promesses concernant l'emploi et l'éducation», souligne encore Nailul Huda. «Cela a suscité de grandes attentes mais le gouvernement ne parvient pas à les satisfaire. C'est ce qui met les gens en colère». 

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