Emeutes mortelles en Indonésie
De Jakarta à Bali, pourquoi la quatrième plus grande nation plonge dans le chaos?

Depuis une semaine, l’Indonésie est en proie à des émeutes d’une rare intensité. Parties de Jakarta, elles se sont étendues à tout le pays, faisant plusieurs morts et mettant sous pression le président controversé Prabowo Subianto, arrivé au pouvoir en octobre dernier.
Publié: 01.09.2025 à 15:37 heures
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Dernière mise à jour: 01.09.2025 à 16:07 heures
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Depuis une semaine, des manifestations éclatent à travers l'Indonésie, comme ici à Surabaya. Les émeutes ont fait six morts.
Photo: Anadolu via Getty Images
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Solène MonneyJournaliste Blick

De Jakarta à Bali, la colère de la rue gronde et embrase l'Indonésie. Quatrième pays le plus peuplé du monde avec 284 millions d’habitants, l’Indonésie est secouée par des émeutes d’une ampleur inédite depuis l’arrivée au pouvoir du président controversé Prabowo Subianto en octobre dernier.

Depuis lundi 25 août, au moins six personnes ont trouvé la mort dans des violences qui rappellent aux plus anciens les heures sombres de 1998, lorsque la rue avait, au prix du sang, précipité la chute du dictateur Suharto. D’abord centrée à Jakarta, la contestation a rapidement gagné d’autres grandes villes: Makassar, Yogyakarta, Surabaya, Palembang, jusqu’à Denpasar, sur la célèbre île de Bali. Pour un pays discret, considéré jusqu’ici comme l’une des économies les plus stables d’Asie du Sud-Est, le choc est de taille. 

Le président Prabowo Subianto a choisi la fermeté face à la rue. Mais pourquoi l’Indonésie s’embrase-t-elle? Blick fait le point.

L'élément déclencheur

L'événement qui a mis le feu aux poudres est une décision du Parlement: une indemnité de logement mensuelle de 50 millions de roupies (2437 francs suisses) accordée aux députés, soit dix fois le salaire minimum de Jakarta. Dans un pays miné par la corruption et l’austérité, la mesure a cristallisé la colère d’une population déjà étranglée par l’inflation, le chômage et la menace de licenciements massifs. Des centaines de personnes ont alors manifesté dans les rues de Jakarta pour dénoncer leur situation économique. Elles réclament des salaires décents, un allègement de la pression fiscale et des mesures anti-corruption réellement appliquées.

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Le drame qui a tout changé

Le mouvement a basculé jeudi, quand un chauffeur de moto-taxi de 21 ans, Affan Kurniawan, a été mortellement écrasé par un véhicule blindé de la police. La scène, filmée et partagée en ligne, a enflammé les réseaux sociaux. «En quelques minutes, Affan est devenu une nouvelle victime de la violence des autorités», écrit le Times Indonesia. Depuis, la brutalité policière est aussi au cœur des critiques, les manifestants réclamant non seulement justice, mais aussi une réforme en profondeur des forces de l’ordre.

A partir de là, les tensions se sont exacerbées, gagnant les autres provinces. A Makassar, la plus grande ville de l'île orientale des Célèbes, un bâtiment public a été incendié vendredi par les manifestants, faisant trois morts. Le même jour, une autre personne a été battue à mort par la foule, la soupçonnant de faire partie des services de renseignement. A Yogyakarta, un étudiant a succombé lors d’un affrontement. Plusieurs maisons de députés ont aussi été pillées durant le week-end.

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La réponse du président

Dimanche, le président indonésien Prabowo Subianto a annoncé une réduction des indemnités parlementaires et un moratoire sur les voyages à l’étranger. Mais il est resté flou sur le sort des allocations de logement, cœur de la contestation. Face aux émeutes, le dirigeant a durci le ton: tout en affirmant que «le droit de réunion pacifique doit être protégé», il a accusé certains manifestants de «trahison» et de «terrorisme». Il avait déjà ordonné à l'armée et à la police indonésiennes de «prendre des mesures fermes» face aux «actions anarchiques». Ces consignes s’inscrivent dans une tendance plus large à élargir le rôle des forces armées dans la vie civile, critiquées par de nombreux défenseurs des droits humains.

Le président a également promis une enquête «transparente» sur la mort du livreur de 21 ans, tandis que sept policiers ont été arrêtés. Mais pour beaucoup, ces annonces ressemblent à de simples gestes symboliques, pas suffisants pour regagner la confiance des Indonésiens.

Les manifestants pointent aussi les zones d’ombre du passé du président. Ancien général, Prabowo Subianto est accusé d’avoir participé à l’enlèvement et à la torture de militants pro-démocratie, ainsi qu’à la répression sanglante de la résistance au Timor oriental, sous le régime de son beau-père, le dictateur Suharto. Plusieurs ONG l’accusent aujourd’hui encore de crimes contre l’humanité. Sa fortune est estimée à 140 millions de francs, rapporte «Le Monde».

L'armée en renfort

Depuis ce lundi, la police a multiplié les checkpoints dans la capitale et l’armée a été déployée, épaulée par des tireurs d’élite. Mais loin de dissuader les foules, la mobilisation continue: plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées à travers tout le pays.

«Notre objectif principal est de réformer le Parlement. Nous espérons que (les députés) viendront nous rencontrer. Nous voulons leur parler directement», confie à l'AFP Nafta Keisya Kemalia, étudiante à Jakarta. D’autres manifestants, comme Suwardi, 60 ans, vendeur de snacks, dénoncent un gouvernement déconnecté «qui n’écoute plus le peuple».

Une démocratie fragile

La colère continue de gronder à travers tout le pays. Pour de nombreux Indonésiens, la situation actuelle rappelle des souvenirs douloureux des troubles de 1998 qui avaient mis fin à trois décennies de dictature. D’autant que Prabowo Subianto avait déjà suscité la controverse en mars 2024, lorsqu’il avait qualifié la démocratie indonésienne de «chère et fatigante», laissant planer le doute sur son réel attachement au système. Si le président indonésien ne parvient pas à apaiser la rue par des réformes concrètes, la contestation pourrait bien se transformer en véritable crise de régime.

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