Volodymyr Zelensky a désespérément besoin de deux choses pour ne pas perdre la guerre face à la Russie: des armes et de la confiance. Et les deux viennent à manquer. L’exemple le plus criant sont les systèmes de défense antiaérienne Patriot, que l’Ukraine espérait recevoir rapidement pour contrer les missiles russes. Mais ils n’arriveront pas avant le printemps 2026, selon le journal «Der Spiegel».
Quant à la confiance, elle s’effrite vite en temps de guerre. Jusqu’ici, Zelensky avait réussi à maintenir le soutien de son peuple et de ses alliés. Mais cette semaine, il a commis une erreur qui pourrait lourdement coûter à l’Ukraine, voire compromettre sa victoire contre Vladimir Poutine.
Mardi, le président ukrainien a fait adopter par le Parlement la loi 12414, plaçant sous son contrôle direct deux institutions clés de la lutte contre la corruption. La NABU (Bureau national anticorruption) enquête sur les affaires visant politiciens et hauts fonctionnaires, tandis que la SAP (Parquet spécial anticorruption) est chargée de poursuivre les suspects en justice. Ces deux organes avaient été créés après les manifestations de Maïdan, en 2015, pour répondre à l’ampleur de la corruption sous le régime de Viktor Ianoukovitch.
Colère et soupçons
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Les Ukrainiens n’ont pas du tout apprécié de voir leurs «chiens de garde» anticorruption perdre leur indépendance. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans plusieurs grandes villes et exigé le retrait immédiat de la loi, une première depuis le début de la guerre il y a bientôt trois ans et demi.
«Zelensky est en train de se transformer en Ianoukovitch», a lancé un manifestant à Kiev à Blick. Pour beaucoup, la décision du président ne peut s’expliquer que par la volonté de protéger certains de ses proches. La NABU avait en effet récemment ouvert une enquête pour corruption contre Oleksy Tchernychev, un ancien ministre proche de Zelensky. Au total, 31 parlementaires ukrainiens faisaient l’objet de procédures en cours.
Retour en arrière difficile
Zelensky a-t-il risqué sa réputation, voire l’avenir de son pays, pour protéger un allié compromis? L’Union européenne, qui exige de Kiev des garanties en matière de gouvernance avant toute adhésion, a très mal réagi à cette initiative. La nouvelle loi donnait au président le pouvoir de suspendre, à tout moment et sans justification, toute procédure anticorruption en cours.
Les critiques sont aussi venues des Etats-Unis. Lindsey Graham, sénateur républicain influent et soutien de l’Ukraine, a dénoncé «une atteinte grave aux efforts de lutte contre la corruption», rappelant que l’Ukraine reste l’un des pays les plus corrompus d’Europe selon Transparency International – juste devant la Turquie, la Biélorussie, la Bosnie et la Russie.
Zelensky a tenté de justifier sa décision en affirmant que les agences anticorruption avaient été infiltrées par les services russes et qu’elles ne faisaient pas correctement leur travail. Sur ce dernier point, Transparency International lui donne en partie raison, décrivant la NABU comme «moyennement efficace» dans un rapport récent.
L'adhésion à l'UE menacée
Face à la contestation massive et aux pressions de plusieurs capitales européennes, Zelensky a fait marche arrière jeudi. Il a annoncé, en accord avec les dirigeants de la NABU et de la SAP, une nouvelle proposition de loi qui garantirait de nouveau l’indépendance des deux institutions.
Mais est-ce suffisant pour éteindre la crise? Pas du tout, selon Klemens Fischer, professeur en relations internationales à l’Université de Cologne. «L'Ukraine et Zelensky lui-même sont durablement lésés. La question de savoir pourquoi il n'a jamais supprimé l'indépendance de l'autorité anti-corruption se pose toujours, même s'il l'a rétablie avec la nouvelle loi.» Il n'a présenté aucune preuve pour étayer l'affirmation selon laquelle l'autorité était infiltrée par les Russes.
Pour lui, cet épisode est un signal inquiétant à l’heure où l’Ukraine espère rejoindre l’Union européenne: «Comment accorder sa confiance à un pays qui supprime l’indépendance d’une institution-clé un jour, pour la rétablir le lendemain? L’UE doit se demander si Kiev est réellement prêt à devenir un Etat stable, démocratique et digne de faire partie du bloc.»