La France ne retournera pas aux urnes tout de suite. Et elle pourrait même, sous le gouvernement dirigé par Sébastien Lecornu, accoucher d'un compromis politique historique entre la droite traditionnelle, le centre et le Parti socialiste (PS).
Point fort de cette journée marquée par la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre: l'accord de principe arraché par ce dernier au PS, à force de concessions politiques budgétaires. Les socialistes ne voteront pas d'emblée la censure, contrairement au Rassemblement national (RN, droite nationale populiste) et La France Insoumise (Gauche radicale). Le pays se retrouve donc avec un gouvernement susceptible de tenir ces prochains mois, au moins durant le débat sur le projet de loi de finances pour 2026 présenté ce mardi 14 octobre. La durée de ce débat sera de 70 jours, et l'on sait déjà qu'il ne s'achèvera pas par le recours au vote bloqué prévu par l'article 49.3 de la constitution. Une procédure à laquelle Sébastien Lecornu a renoncé, comme l'exigeaient les socialistes.
Compromis politique enfin, dans une France fracturée obsédée par la présidentielle? Attention aux illusions. Si l’on se fie au discours de politique générale prononcé par Sébastien Lecornu devant le Parlement, ce mardi 14 octobre, le pays risque plutôt, entrer dans une phase de relative léthargie, loin de cette «transformation» promise jadis par Emmanuel Macron. La réforme des retraites entrée en vigueur en 2023 sera en effet suspendue jusqu’à la prochaine élection présidentielle de mai 2027 pour faire place, peut-être, à une renégociation complète et au retour du projet de réforme «à points» qui figurait dans le programme présidentiel de Macron en 2017. 29 nouvelles mesures fiscales sont annoncées, preuve que les impôts augmenteront. Trois mille postes des fonctionnaires seulement seront supprimés, dans un pays qui accuse une dette publique record de 3345 milliards d’euros. Des mesures favorables au pouvoir d'achat ont été esquissées.
L’objectif de ce discours était connu: satisfaire le Parti socialiste pour empêcher qu’il vote la censure, et condamne ce gouvernement tout juste né à la démission. Sauf contrordre, cela devrait fonctionner. Les annonces de Sébastien Lecornu sont en partie conformes à ce que le PS attendait, en particulier son ouverture affichée en faveur d’une taxation des plus riches. Suspension de la réforme des retraites et justice fiscale: cette combinaison s'appliquera à coup sûr au détriment des efforts budgétaires indispensables dans un pays où la croissance économique pour 2025 devrait plafonner à 0,8%. L'actuel projet de budget pour 2026, avec ses trente milliards d'euros de coupes dans les dépenses publiques (contre 44 milliards dans le texte défendu par l'ancien Premier ministre François Bayrou, forçé à la démission le 8 septembre) a été jugé «insupportable» par le PS. Lequel a préparé un contre-projet avec seulement 20 milliards d'euros d'économies.
Ce qui reste de la volonté de réforme s'est logé ce mardi 14 octobre dans deux domaines: la décentralisation et l'avenir de la lointaine Nouvelle Calédonie. Sur ces deux sujets, le normand Sébastien Lecornu (il était maire de Vernon, dans l'Eure) veut avancer. Comment? Jusqu’où? Pas clair. En Nouvelle Calédonie, l'idée semble être de retenter un référendum (le quatrième) sur les accords de Bougival rejetés par une partie des politiciens kanaks.
Il s’agit maintenant, pour Sébastien Lecornu, de gouverner à pas comptés. Car sous chacun de ses pas, la droite traditionnelle et le Parti socialiste poseront sans doute des mines susceptibles d'exploser.
La force de Sébastien Lecornu est toutefois qu’il a reçu l’aval d’Emmanuel Macron. Ce président qui a déjà aggravé la dette de mille milliards d’euros durant ses huit années de pouvoir a choisi la fuite en avant, faute d’alternative, donnant «carte blanche» à son poulain.
Le principe de responsabilité budgétaire est sacrifié sur celui du réalisme politique. Avec un pari à la clef: parvenir à un projet de budget acceptable et crédible sans disposer de l’article 49.3 qui permet au gouvernement, in fine, un vote bloqué. Le Premier ministre a promis de ne pas l’utiliser. Le budget 2026 de la France, dont le projet a été présenté aujourd’hui, sera donc celui de ses députés et de ses sénateurs. Le moyen, peut-être, de les responsabiliser face au coût croissant de la dette?
Les socialistes se retrouvent maintenant le dos au mur. Certes, les reculades sociales et fiscales de Lecornu III sont des «victoires» qu'ils vont brandir. Mais leur refus de retourner aux urnes va nourrir les attaques de la France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, et du Rassemblement national, au risque de rendre très difficile la vie de leurs élus locaux lors des élections municipales de mars 2026.
L’Elysée comme Matignon, s'étaient fixés pour objectifs, après une semaine de crise politique, d'empêcher et d’éviter le vote d'une motion de censure. Mission accomplie. Sans que l'on sache vraiment si cette nouvelle ère politique sera celle d'un compromis durable, coalisés contre les extrêmes.