Macron l'a commandé
Le futur porte-avions français, guerre d'hier ou guerre de demain

En visite auprès des soldats français basés à Abu Dhabi, Emmanuel Macron a annonçé dimanche 21 décembre la construction d'un nouveau porte-avions nucléaire pour 10 milliards d'euros. Au risque de rater la guerre du futur.
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Emmanuel Macron a annoncé dimanche 21 décembre la construction d'un nouveau porte-avions nucléaire français.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Quel nom pour le futur porte-avions nucléaire français, qui sera livré en 2038? A peine faite à Abu Dhabi, l’annonce d’Emmanuel Macron sur la construction d’un successeur aéronaval au Charles de Gaulle a déclenché une foire aux patronymes. Deux noms se distinguent déjà: celui de Simone Veil (1927-2017), icône républicaine et ancienne ministre de la Justice, et celui de François Mitterrand (1916-1996), l’ancien chef de l’État qui présida la France de 1981 à 1995.

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Mais derrière ces noms se cache une équation bien plus complexe à résoudre: est-il sage, de la part de la République française, de se doter d’un nouveau porte-avions nucléaire dont le coût avoisinera les dix milliards d’euros, alors que la guerre du futur aura peut-être complètement changé la donne stratégique d’ici à la livraison de ce fleuron de la Marine nationale?

L’heure des drones

Le champ de bataille en Ukraine démontre l’importance des drones, de la défense antiaérienne, des drones navals et du renseignement, mais aussi le retour de la guerre de tranchées à l’ancienne. La projection de forces loin des frontières devient de plus en plus compliquée à cause de la précision des missiles à longue portée, capables de détruire une armada de navires dans les eaux internationales. Ne vaudrait-il pas mieux multiplier les sous-marins stratégiques, ou tout miser sur les avions du futur sur lesquels les Européens ont tant de mal à s’entendre? Deux projets sont aujourd’hui sur la table: le SCAF franco-allemand-espagnol et le Tempest anglo-suédois.

La guerre navale a été décisive sur le lointain front du Pacifique pour battre le Japon impérial. On pense à l’emblématique bataille de Midway en juin 1942, qui permit aux Etats-Unis de regagner la domination maritime après l’assaut qui détruisit une partie de leur flotte à Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. On sait aussi que les porte-avions constituent, en 2025, un attribut majeur de puissance. La preuve? Les Etats-Unis en comptent 11, tous à propulsion nucléaire, emmenés par le plus imposant d’entre eux, l’USS Gerald Ford, actuellement stationné au large du Venezuela.

Seul pays européen

La France est le seul pays européen à disposer d’une unité à propulsion atomique, ce qui permet au Charles de Gaulle de ne pas avoir besoin de ravitaillement en mer. La Chine a trois porte-avions, mais aucun à propulsion nucléaire. L’Inde a deux porte-avions et a promis d’en construire un à propulsion nucléaire. Plus significatif: le Royaume-Uni a renoncé à un porte-avions nucléaire, préférant opter pour des porte-aéronefs, moins lourds et moins coûteux. Londres a d’ailleurs lâché Paris en quittant le projet de porte-avions franco-britannique en 2012.

Emmanuel Macron se trompe-t-il donc de guerre? La réponse de l’armée française consiste à rappeler la spécificité du territoire national. La France, avec ses territoires d’outre-mer, conserve le second domaine maritime mondial après les Etats-Unis. Il lui faut donc disposer d’un moyen de projection de forces dans des zones géographiquement éloignées comme les Caraïbes (pour les Antilles), l’Océan Indien (pour la Réunion et Mayotte) et le Pacifique (pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie).

Sauf que la stratégie sur le papier ne rime pas toujours avec la réalité des combats et des menaces. Exemple: la Russie de Vladimir Poutine, si avide de puissance impériale, n’a plus de porte-avions après l’envoi à la casse, en novembre 2025, de l’Admiral Kouznetsov, plombé par des décennies de galères et de modernisations ratées. Les Russes misent en revanche beaucoup sur leurs missiles à longue portée et leur force sous-marine. Alors? 

Dans vingt ans, quel porte-avions?

Les défenseurs du porte-avions affirment que, d’ici 2038, les progrès de la défense antiaérienne et des navires de guerre auront intégré la nouvelle donne, comme les attaques par milliers de drones, un véritable «essaim» capable de fondre sur le navire amiral, à la manière des kamikazes japonais de la Seconde Guerre mondiale. Soit.

Mais un porte-avions ne se déplace jamais seul. Il mobilise autour de lui une flotte de soutien qui prive son pays de navires indispensables à sa protection. Ne serait-il pas plus avisé, pour la France, de construire davantage de frégates furtives multimissions, capables de se rendre plus rapidement sur un théâtre d’opérations, sans se faire repérer? Le porte-avions annoncé par Emmanuel Macron, en utilisant le «je» («J’ai décidé»), est-il une forme d’arrogance navale présidentielle?

Il faut rappeler une vulnérabilité essentielle du programme naval français. Depuis l’entrée en service du Charles de Gaulle en 2001, ce dernier n’est actif que six mois par an. Pourquoi? Parce qu’il est le seul. Il suffit donc aux éventuels ennemis de la France de viser la période de carénage du porte-avions pour que la Marine nationale se retrouve démunie.

Or le porte-avions du futur ne réglera pas cette faiblesse majeure. Il ne sera commandé qu’à un seul exemplaire. Les Britanniques, tirant les conséquences de cette impasse, ont donc préféré avoir plusieurs unités de moindre tonnage. Or, en matière maritime, les Anglais ont toujours été les experts que l’on sait…

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