Pas de quoi convaincre les syndicats suisses et tous ceux qui redoutent, comme Pierre-Yves Maillard, «un affaiblissement de la protection salariale» en cas d’un accord institutionnel mal négocié entre la Confédération et l’Union européenne (UE).
Survenu lundi 6 juin à Strasbourg, l’accord politique indispensable entre la Commission, le Conseil (l’instance qui représente les 27 États membres de l’UE) et le parlement européen sur la mise en œuvre du projet de directive communautaire pour un «salaire minimum adéquat» ne présente aucune garantie susceptible de protéger du «dumping social» les travailleurs des pays au niveau de vie et de rémunération les plus élevés du continent. Cette inquiétude sociale helvétique a largement contribué au rejet, le 26 mai 2021 par le Conseil fédéral, du projet d’accord-cadre entre Berne et Bruxelles.
Pas d’obligation de salaire minimum pour les 27 États membres de l’UE
L’accord européen, promis par la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen, porte en effet sur «un instrument juridique pour garantir un salaire minimum équitable à travers l’Union». Le texte est en revanche clair: il n’oblige pas les États membres «à introduire des salaires minimums légaux et ne fixe pas non plus un niveau de salaire minimum commun dans toute l’UE».
Faut-il néanmoins y voir une avancée sociale de la part d’une Union européenne souvent accusée d’être dominée par une pensée libérale favorable à la flexibilité maximale du marché du travail, et à une libre circulation des travailleurs avant tout favorable aux entreprises qui peuvent délocaliser ou employer des salariés moins bien payés en provenance, par exemple, des pays d’Europe de l’est? La réponse est oui.
Une très utile «boite à outils» sociale
Ce texte, lorsqu’il sera définitivement adopté, puis ratifié par chaque État-membre (ce qui peut prendre des années) offrira «un cadre pour fixer des salaires minimums légaux, pour promouvoir la négociation collective sur la fixation des salaires et pour améliorer l’accès effectif des travailleurs à la protection du salaire minimum». Il imposera aux pays de l’UE où le salaire minimum est inscrit dans la loi (21 pays sur 27) de prendre en compte «le pouvoir d’achat compte tenu du coût de la vie, le taux de croissance général des salaires et la productivité nationale. Le projet de directive exige aussi «la mise à jour régulière et en temps utile des salaires minimaux et la création d’organes consultatifs associant les partenaires sociaux». Bref, une très utile «boite à outils» sociale pour les syndicats face au patronat et à l’administration.
Promotion de la négociation collective
Autre avancée sociale européenne actée par ce texte, au moins en théorie: la promotion de la négociation collective. «Les pays où la couverture de la négociation collective est élevée tendent à avoir une proportion plus faible de travailleurs à bas salaire, une inégalité salariale moindre et des salaires plus élevés» s’est aussitôt félicitée la Commission européenne, après l’accord politique de lundi. Et de rappeler que la directive «demande aux États membres où le taux de couverture de la négociation collective est inférieur à 80% d’établir un plan d’action pour promouvoir celle-ci».
Restent les faits, et ils sont, vus de Suisse, à des années-lumière des garanties souhaitées par les syndicats helvétiques. Le projet de directive ne contient aucun objectif chiffré de rémunération alors que le salaire mensuel moyen varie de un à sept dans l’Union européenne, et que treize pays membres de l’UE affichent un niveau de rémunération minimum légal en dessous du seuil des 1000 euros mensuels (avant impôts).
332 euros par mois pour un travailleur bulgare
Au tableau du moins disant social le plus criant, selon Eurostat: la Bulgarie (332 euros par mois), la Lettonie (500) et la Roumanie (515). À l’inverse, seuls six pays disposent d’un salaire minimum brut mensuel supérieur à 1500 euros: le Luxembourg (2257), l’Irlande (1775), les Pays-Bas (1725), l’Allemagne (1621), la Belgique (1658) et la France (1603 depuis le 1er mai 2022).
L’économie Suisse, en comparaison, paie ses travailleurs les plus mal rémunérés environ 3000 francs mensuels. Le 18 mai 2014, le peuple et tous les cantons ont rejeté l’initiative populaire «Pour la protection de salaires équitables» qui aurait abouti à un niveau de salaire minimum autour de 4000 francs par mois.
Retrouvez ici les explications de la Commission européenne sur la directive pour un «salaire minimum adéquat».