«Ce serait une rupture de digue»
Si Pokrovsk tombe, l'Ukraine redoute un effet domino dans l’est du pays

La ville ukrainienne de Pokrovsk est sur le point de tomber. Un parlementaire ukrainien prévient que les troupes russes ont déjà pénétré dans la ville. La perte de Pokrovsk serait un revers stratégique pour l'Ukraine dans le conflit du Donbass.
Publié: 20:18 heures
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L'unité spéciale «Timur» se trouve à Pokrovsk.
Photo: X @1team1fight_org
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Janine Enderli

Depuis plus d'un an, l'armée ukrainienne se bat pour Pokrovsk. La situation se détériore de jour en jour. Il est désormais clair pour beaucoup que la ville, qui comptait autrefois 60'000 habitants, ne tiendra plus très longtemps. Pokrovsk paraît aujourd'hui presque déserte. Là où des restaurants et des cafés internationaux bordaient autrefois les rues, ce sont désormais des soldats qui patrouillent.

Un post du parlementaire ukrainien Oleksiy Hontcharenko illustre la gravité de la séquence. Dans la nuit de lundi à mardi, il a écrit sur Telegram: «Nous perdons Pokrovsk. Les Russes sont entrés dans la ville.» Des blogueurs militaires évoquent la présence de 300 à 500 soldats russes sur place.

«Ce serait une rupture de digue»

Que signifierait la chute de Pokrovsk? «Si la ville est prise, l'horizon s'assombrit pour l'Ukraine», explique Klemens Fischer à Blick. L'expert en géopolitique de l'université de Cologne esquisse ce que cela signifierait pour la poursuite de la guerre en Ukraine. «La chute de Pokrovsk serait comparable à une rupture de digue. Les Russes pourraient ainsi conquérir la région en continuant vers l'ouest jusqu'au fleuve Dniepr.» Cette avancée se ferait toutefois lentement.

Les regards se tourneraient alors vers la «ceinture fortifiée» ukrainienne avec les villes de Slaviansk, Kramatorsk et Droujkivka plus au sud. Même Zaporijjia serait à portée de main. Un scénario tout à fait réaliste selon Klemens Fischer. «Si les choses continuent ainsi, les troupes russes pourraient avancer sur un front plus large d'ici Noël.»

Les conséquences seraient de grande ampleur: «Les Etats d'Europe occidentale devraient se préparer à une grande vague de réfugiés avec des millions de personnes qui fuient.» Dans un tel cas, selon l'expert, l'Ukraine aurait de facto perdu la guerre sur le plan militaire.

Voilà pourquoi Pokrovsk est si importante

Klemens Fischer poursuit: «La prise de la ville serait une grande victoire pour la Russie car la force symbolique est énorme. Kiev a toujours laissé entendre que cette forteresse ne tomberait pas», souligne l'Autrichien, ancien diplomate. La ville pourrait aussi servir de quartier d'hiver pour les forces armées russes.

A cela s'ajoute le fait que Pokrovsk se trouve sur la route d'approvisionnement de l'armée ukrainienne et est considérée comme un centre logistique important. Sa défense est donc déterminante. De plus, la ville du Donbass abrite une cokerie, indispensable à la production d'acier.

La région de Donetsk a déjà été le théâtre de plusieurs batailles sanglantes. En septembre 2022, la Russie a revendiqué le contrôle de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijjia et les a déclarés unilatéralement annexées.

Zelensky s'est toujours montré combatif.

Ces dernières semaines, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'est toujours montré combatif à propos de Pokrovsk. Les informations selon lesquelles la ville est encerclée ont été démenties à plusieurs reprises. Selon Klemens Fischer, une défaite serait catastrophique pour le moral de l'Ukraine, car la crédibilité de la direction autour de Zelensky serait fortement atteinte.

Pour défendre la ville, l'unité spéciale «Timur» a été envoyée dans la région. Selon Klemens Fischer, ce n'était pas forcément une bonne idée: «La dernière unité spéciale restante a été envoyée. L'Ukraine n'a désormais plus de défense forte.»

Il ajoute: «De telles unités d'élite ont déjà été en quelque sorte sacrifiées à Marioupol et à Koursk, sans que le cours de la guerre ne puisse être modifié durablement en faveur de l'Ukraine. De telles troupes manqueront dans les prochaines semaines sur les prochains points chauds.»

«Cela ne conduira pas à un effondrement définitif»

L'ultranationaliste russe Igor Girkin, qui a déclenché la guerre dans le Donbass en 2014, ne voit pas les choses de manière aussi dramatique que Klemens Fischer. Incarcéré depuis deux ans pour avoir critiqué Poutine – non pas pour l'invasion elle-même, mais pour son manque d'efficacité – il nuance depuis sa cellule: selon lui, le succès tactique à Pokrovsk sera certainement présenté comme une «victoire décisive».

Mais c'est un mensonge, au fond rien ne changera, même si l'armée russe avance encore de 50 ou 100 kilomètres: «Cela ne conduira pas à l'effondrement définitif du front des forces armées ukrainiennes.» Le Britannique Shaun Pinner, ex-soldat ukrainien et ancien prisonnier de guerre des Russes, analyse ainsi la bataille: «Pokrovsk est un endroit où la Russie a le sentiment de devoir gagner, et où l'armée ukrainienne fait payer cher à l'adversaire le fait d'essayer.»

600'000 contre 200'000 soldats

Malgré ses récents succès, la Russie est toutefois également sous pression. L'offensive engloutit d'énormes ressources et les pertes matérielles et humaines sont élevées. Du point de vue du Kremlin, un relâchement des troupes serait toutefois dangereux: «Tout retard coûte des forces et ouvre à l'Ukraine des opportunités de stabilisation.»

Il n'en reste pas moins que l'armée russe, qui compte environ 600'000 soldats de première ligne, est confrontée à environ 200'000 défenseurs ukrainiens sur 1200 kilomètres de front. Pour Klemens Fischer, c'est un indice supplémentaire qu'une décision militaire se rapproche.

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