«America first». Deux mots, un dogme. A Washington, ce principe s'applique à la lettre. Mais à l'autre bout du monde, les conséquences sont désastreuses. Près de la ville de Cox's Bazar, au sud du Bangladesh, non loin de la frontière avec le Myanmar, 1,3 million de personnes attendent. Ce sont des réfugiés rohingyas, dont on ne parle presque plus. En ces temps de crise, ils passent inaperçus. Pourtant, les Rohingyas font partie des minorités les plus persécutées au monde. Et un nouveau coup du sort les menace plus que jamais.
«Je n'ai jamais rien vu de tel», déclare Martin Swinchatt, travailleur humanitaire qui oeuvre depuis 35 ans pour des organisations non gouvernementales (ONG). «C'est choquant, c'est vraiment choquant», affirme-t-il. Actuellement, il dirige des projets au Bangladesh pour Terre des hommes Lausanne, la plus grande organisation suisse de défense des droits de l'enfant. Son équipe gère deux centres de santé dans les camps 26 et 27. Chaque jour, elle soigne 700 patientes et patients.
Les collaborateurs de Martin Swinchatt assurent également l'approvisionnement en eau potable. Ils distribuent 130'000 litres par jour grâce à leur système de pompage. Ils entretiennent également les latrines du camp, éliminent les excréments, empêchent l'apparition d'épidémies. Ils font fonctionner le système. Pour l'instant. Car l'argent qui finance tout ça pourrait bien disparaitre. La raison? Donald Trump a réduit l'aide au développement dès son retour à la Maison Blanche. L'Amérique d'abord.
Dépendants de l'aide humanitaire
Les Rohingyas vivent depuis huit ans dans les camps de Cox's Bazar. Ils ont fui le pays voisin, le Myanmar. Le régime militaire local commet un «nettoyage ethnique» à leur encontre, comme le décrit le bureau des droits de l'homme de l'ONU. Arrivés au Bangladesh, les Rohingyas n'ont pas le droit de travailler, ni même de quitter le camp. Les autorités locales l'interdisent. Ils sont donc complètement dépendants de l'aide humanitaire.
Mais cette aide n'est plus garantie. Pour faire fonctionner l'ensemble du système, il faudrait 934,5 millions de dollars par an, selon le programme de l'équipe «Rohingya Refugee Response». Début août, seuls 35% étaient couverts. Plusieurs projets d'aide sont menacés d'effondrement, notamment ceux de Terre des hommes. Depuis février, Martin Swinchatt a déjà dû licencier 61 employés dans le domaine de la santé. Il ne lui reste plus que 99 collaborateurs. Bientôt, il pourrait ne plus en avoir du tout.
Son principal sponsor jusqu'à présent? Le Bureau of Population, Refugees and Migration (BPRM), département du gouvernement américain. Ce dernier a gelé tous ses fonds en début d'année. Puis l'administration Trump en a débloqué une partie, mais uniquement pour des «mesures visant à sauver des vies». Martin Swinchatt a dû fermer certains services comme l'ophtalmologie, la dermatologie ou la dentisterie. D'autres licenciements sont imminents.
Il faut «un millionnaire ou milliardaire»
Fin août, le cycle de financement de trois ans du BPRM arrivera à échéance. Lors d'une rencontre il y a quelques jours, l'ambassade américaine a fait comprendre qu'il n'y aurait pas de nouveaux financements dans un avenir proche. Dans l'urgence, Terre des hommes a demandé et obtenu une prolongation de trois mois du programme, mais avec un budget réduit. Martin Swinchatt pourra ainsi gérer les centres de santé, avec une offre fortement réduite et encore moins de personnel, jusqu'à fin novembre. Ensuite, ce sera définitivement terminé si personne n'intervient.
«Nous avons besoin de deux millions de francs immédiatement, s'il vous plaît!», implore Martin Swinchatt en s'adressant aux lecteurs de Blick. Il s'est adressé à tout le monde: aux ambassades, aux hommes d'affaires fortunés du Bangladesh, aux organisations partenaires. La plupart du temps, il n'a reçu aucune réponse. Ou un simple «pas d'argent». Mais même si l'Union européenne ou l'ONU intervenaient, les processus sont trop lents et la situation financière trop dramatique, explique-t-il. «Tant que l'argent n'aura pas afflué, nos portes seront fermées.» Seul un financement privé d'«un millionnaire ou un milliardaire» pourrait aider à sortir rapidement de cette crise.
Une rencontre avec l'ambassade de Suisse au Bangladesh doit avoir lieu le 13 août. Toutefois, la Suisse prévoit de supprimer la plus grande partie de son aide au Bangladesh d'ici fin 2028. Les réfugiés rohingyas doivent pourtant être soutenus au-delà de cette date. Mais la question est de savoir avec quel argent. Au début de l'année, le Parlement a lui aussi massivement réduit le budget de l'aide au développement.
La misère augmente, tout comme le nombre de réfugiés
Le problème est global. L'UE ou certains Etats tels la Grande-Bretagne modifient leurs priorités et réaffectent leurs budgets, de l'humanitaire à la dissuasion contre la Russie. En même temps, des crises font rage à Gaza, au Soudan, au Yémen, autant de foyers de conflits pour lesquels des fonds d'aide sont nécessaires. Les ONG comme Terre des hommes ont donc de plus en plus de mal à trouver de nouveaux donateurs.
A Cox's Bazar, certains centres de santé ont déjà dû fermer, rapporte Martin Swinchatt. La pression sur les centres encore existants s'est donc accrue. Même de grandes organisations comme Médecins sans frontières (MSF) en souffrent. Dans les camps, elles traitent jusqu'à 1800 patients par jour. «Le système de santé est surchargé», écrit Antonino Caradonna, le chef de la mission MSF au Bangladesh, lorsqu'on l'interroge.
La détresse s'accroît, tout comme le nombre de réfugiés. D'ici la fin de l'année, 200'000 Rohingyas supplémentaires sont attendus dans les camps. Les besoins augmentent, mais les moyens financiers disparaissent. «C'est un mélange mortel», déplore Martin Swinchatt. «Nous évoluons jour après jour», explique-t-il. Nous essayons de continuer avec le peu d'argent qu'il nous reste.». Aussi longtemps que possible...