Alors que L’Obs s’interroge sur le réseau préféré des ados, à l’origine d’une «nouvelle révolution littéraire chez les jeunes» selon l’hebdomadaire, le romancier et critique prend le contre-pied.
«Je crois qu’il faudrait arriver à dissocier la beauté en littérature de l’envie de faire du bien. Ce n’est pas la mission de l’art. L’art n’est pas un Xanax», lance-t-il, interrogé par l’AFP.
Les livres les plus aimés des «Booktokers», très majoritairement des jeunes femmes, ont une tendance nette à exalter les sentiments positifs, l’amour en tête, l’estime de soi, la bienveillance.
L’Obs citait «Mille Baisers pour un garçon», romance de la Britannique Tillie Cole. D’autres chouchous de ce segment de la critique s’appellent «Burn after writing», un questionnaire de Proust géant, ou «La Chronique des Bridgerton», saga de l’Américaine Julia Quinn se déroulant au début du XIXe siècle, à l’origine d’une série Netflix.
Pour Frédéric Beigbeder, qui s’est attiré les foudres pour un article acerbe sur le livre de la youtubeuse Lena Situations, «attention à cette idée que tous les livres doivent aller dans le sens de la bonté».
«C’est le début de l’Union soviétique, ça. Les Russes ont décidé qu’il fallait interdire tous les livres où il y avait une phrase pessimiste. C’est arrivé! Vous écriviez une phrase pessimiste et vous partiez en camp de rééducation», rappelle l’écrivain.
«Des incultes»
Il a publié lors de cette rentrée littéraire de janvier «Un barrage contre l’Atlantique» (éditions Grasset), un autoportrait où affleure un certain pessimisme sur soi et l’avenir de la planète.
«Je fais une dépression nerveuse comme tous les héros de roman contemporains», y lit-on. Il s’y qualifie de dilettante «qui a tellement tout tourné en ridicule qu’il ne sait même plus comment retrouver le sérieux».
Mais avec l’exigence en littérature, en revanche, il ne plaisante pas, précise-t-il à l’AFP. «Pour moi, ceux qui admirent des guides de développement personnel ou des feel-good books, ça s’appelle des incultes. Qu’ils étudient l’histoire de la littérature et ensuite on discutera».
Frédéric Beigbeder se dit interpellé par la prise de position d’un autre romancier, le plus célèbre d’entre eux, Michel Houellebecq, qui a déclaré au journal Le Monde: «Je pense que c’est avec les bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature».
«Provocation: il part d’un certain haut niveau de solitude et de malheur», estime le critique du Figaro et de l’émission de radio Le Masque et la Plume.
Et de lui répondre: «Ça devient un débat fort, c’est un vrai sujet pour le bac de français et il faut choisir son camp, camarade! Et, moi, je dois confesser que j’ai une attirance plutôt, dans les livres, pour le Mal. Ça me fascine. Je suis tortueux, un peu pervers, j’aime bien les histoires sombres, compliquées, ambiguës, et qu’on aille chercher les sujets douloureux, qu’on gratte les plaies».
«Beaucoup de jeunes disent qu’ils n’ont pas le courage de lire A la recherche du temps perdu (de Marcel Proust). Et je comprends, c’est intimidant, des milliers de pages écrites tout petit. Mais, en même temps, ils lisent des milliers de SMS, de textos, de tweets… Donc ce n’est pas la lecture qui les gêne. C’est simplement l’espacement entre les phrases», constate-t-il.
À 18 ans, au début des années 1980, époque où l’émission télévisée «Apostrophes» faisait vendre, lui s’enthousiasmait pour l’Américain Charles Bukowski. «Parce que c’est simple, c’est marrant, ça parle de biture, d’amour, de vomi. Il y a un côté un peu puéril. Je pense qu’il faut accepter d’aller à la littérature pour de mauvaises raisons au départ».
(AFP)