Dans ce drame devenu une tragédie mondiale, une question se pose: qui se cache derrière ce mystérieux groupe qui se fait appeler Rebecca? C'est ce groupe qui, le mercredi 16 avril à 5h05 du matin, a envoyé aux 23 membres du conseil de fondation du World Economic Forum (WEF) un courriel de neuf pages, avec pour objet: «Echecs de gouvernance et abus de pouvoirs au WEF». L'adresse mail de l'expéditeur était Rebecca.a.staedler@gmail.com, qui avait déjà envoyé un premier mail aux membres du conseil de fondation il y a quelques mois avec ces mêmes accusations. Selon ce mystérieux groupe, la culture de l'organisation comptant 1000 collaborateurs serait pourrie à cause de son fondateur, Klaus Schwab.
Mais à la différence du premier, ce deuxième courriel était particulièrement violent. «En tant qu'actuels et anciens employés du World Economic Forum, nous vous écrivons une nouvelle fois à cause d'un profond sentiment de responsabilité et de détresse», pouvait-on lire. La lettre d'accusation visait non seulement le fondateur mais aussi, et pour la première fois, son épouse Hilde. L'email contenait aussi un ultimatum: si les membres du conseil ne réalisaient pas la «responsabilité claire de Klaus Schwab et ne le poussaient pas à démissionner d'ici le mercredi 23 avril», la lettre serait rendue publique.
En juin 2024, le «Wall Street Journal» a rendu publique une enquête de huit mois sur Klaus Schwab et toute l'organisation, relatant pour la première fois une grande partie des accusations du groupe Rebecca. Cependant, cette enquête avait blanchi le Forum de toute infraction à la loi et entièrement disculpé son fondateur. Mais cet ennemi anonyme a frappé une deuxième fois et exige de Klaus Schwab qu'il démissionne.
Inquiet à l'idée que cette Rebecca paralyse toute l'organisation, Klaus Schwab a porté plainte contre son accusatrice, car les autorités publiques possèdent des outils d'enquête plus puissants que ceux des entreprises mandatées par le WEF. Avant que les membres du conseil reçoivent ce courriel, Klaus Schwab avait appelé l'un des membres, Thomas Buberl, chef du géant français de l'assurance Axa et responsable de la dernière enquête en tant que directeur du comité d'audit et des risques. A la suite de leur discussion, les deux hommes étaient censés s'appeler samedi pour un autre entretien téléphonique.
Des accusations louches
Mais cet appel n'a pas eu lieu. Thomas Buberl a décidé, après avoir consulté ses trois collègues du comité, de lancer une enquête indépendante. Au vu de «l'ampleur, de la spécificité et de l'état des preuves», il n'y a pas d'autre choix que de procéder avec «le plus haut degré d'indépendance, de transparence et d'urgence», a-t-il écrit jeudi à 13h56 à l'ensemble du conseil de fondation, y compris à Klaus Schwab et au PDG Borge Brende, seulement 33 heures après avoir reçu la lettre d'accusations. Thomas Buberl avait déjà attribué le mandat de l'enquête au cabinet d'avocats zurichois Homburger, déjà responsable de la première enquête avec le cabinet américain Covington. Ainsi, par sa réaction rapide, Thomas Buberl a notifié Klaus Schwab et le conseil de fondation de cette nouvelle enquête.
En apprenant la nouvelle, Klaus Schwab est sorti de ses gonds: se trompait-on de cible? L'accusait-on lui, qui avait fondé le Forum 55 ans auparavant avec ses propres capitaux et en prenant de gros risques, forgeant ainsi une organisation unique au monde avec une brillante situation financière? Ou des snipers anonymes qui menaient une campagne de diffamation contre lui, alors que leurs accusations s'étaient avérées infondées la première fois?
De plus, les faits reprochés à Klaus Schwab dans le courriel lui semblent bien flous. Même si la lettre a été soigneusement rédigée dans un anglais soutenu, en y regardant de plus près, son aspect était moins professionnel. La lettre listait onze accusations, dont une grande partie concernait les négligences présumées de lutte contre le harcèlement et la discrimination, desquelles Klaus Schwab a déjà été acquitté. En d'autres termes, environ 40% de la lettre d'accusation n'était pas pertinent pour l'enquête.
Quant au reste, la première accusation aurait pu éveiller les soupçons de Thomas Buberl et de ses collègues du comité. Selon celle-ci, Klaus Schwab aurait manipulé le «Global Competitiveness Report» du WEF pour avantager certains pays, par exemple, en faisant sauter le rapport qu'il avait lancé n 1979 suite à la plainte d'un pays. Pourtant jusqu'en 2019, Klaus Schwab n'avait jamais été mis en défaut. Ce n'est qu'avec Covid que le rapport a été abandonné.
L'affaire du bouton
Les autres accusations auraient aussi pu être facilement réfutées. Klaus Schwab a entièrement facturé ses propres livres via le Forum, et l'extension de la plateforme tech Metaverse a été approuvée par le conseil de fondation.
De plus, la Villa Mundi acquise par le WEF en 2018 n'est pas la propriété privée d'Hilde Schwab. Le bâtiment dispose d'un appartement classé comme monument historique, conçu pour loger le successeur de son mari et qui n'a jamais été utilisé à titre privé par le couple.
Par ailleurs, cet étrange recueil d'accusations contient même une anecdote vieille de plusieurs décennies, selon laquelle dans les années 70, lors de l'ouverture d'une conférence à Paris, Klaus Schwab aurait arraché le bouton de sa veste et demandé à une collaboratrice de le recoudre. L'employée en question a toujours raconté cette anecdote avec humour.
Au-delà des anecdotes peu pertinentes, il reste donc les accusations financières. D'après la lettre, le WEF aurait payé «des centaines de milliers de dollars» au fil des années pour l'assurance maladie de Hilde Schwab, qui aurrait accumulé «plusieurs millions de dollars» de frais de vol pour le compte du WEF au cours de la «dernière décennie».
Le fait que Klaus Schwab ait renoncé à ses droits à l'assurance maladie et que sa femme n'ait jamais été formellement employée, mais mis gratuitement son emploi à 50% à la disposition du Forum pendant 55 ans, est traçable grâce au système RH. En tant que chef de la fondation pour l'entrepreneuriat social, Hilde Schwab accompagnait parfois son mari lors de voyages à l'étranger, mais des frais d'avion d'un tel montant étaient absurdes.
Surtout qu'elle avait demandé à son assistante de dresser une liste précise de toutes les dépenses privées et de les déclarer. Ces dépenses ont été soumises à révision, et dépendent de celui qui exige une deuxième enquête avec tant de zèle: Thomas Buberl, le chef de l'audit et du comité des risques.
Il semblerait même que Klaus Schwab était plus méticuleux que de nombreux chefs d'entreprise. Lorsqu'il s'est envolé pour les Seychelles en février après une conférence à Dubaï, son vol était réservé comme étant privé, alors qu'il était en déplacement professionnel. Même ses séances massages après ses journées de réunion à New York ou à Singapour, dans le spa et non dans la chambre d'hôtel, étaient comptabilisées à titre privé.
Renoncer à 5 millions
De plus, tous ses compagnons de route confirment que le fondateur du WEF n'a jamais été motivé par l'argent. Après avoir pris la direction du Forum en 1998 et sa retraite de professeur à Genève, il s'est mis d'accord avec le conseil de fondation sur un salaire qui, selon lui, se basait sur celui du chef de la Banque nationale, à savoir 980'000 francs par an.
Pour son travail de mise en place, le comité, dirigé à l'époque par le directeur de Nestlé Helmut Maucher, lui a accordé un versement unique de cinq millions de francs. Mais Klaus Shwab n'en a jamais profité. Lorsque l'université de Tel Aviv lui a décerné le prestigieux prix Dan David en 2004, il a investi l'argent du prix, soit un million de dollars, dans le développement des «Young Global Leaders», alors que la plupart des lauréats ont gardé cet argent.
Les accusations de la mystérieuse Rebecca semblaient donc mesquines. «Je mettrais ma main au feu pour Klaus Schwab», a déclaré l'ex-patron de la Deutsche Bank Josef Ackermann, vice-président du conseil de fondation jusqu'en 2014, dans l'émission «Gredig direkt» de la SRF.
Des relations brisées
Face à ces accusations, les hommes forts du conseil d'administration que sont Klaus Schwab, Thomas Buberl et le vice-président Peter Brabeck auraient pu élaborer une procédure commune, voir même rendre ce chantage public. Mais ce n'est pas du tout ce qui c'est passé.
Thomas Buberl a été plus rapide que l'éclair en lançant cette enquête, alors qu'il était probablement conscient des ses conséquences. En effet, ces derniers mois, des informations internes du conseil de fondation ont été publiées à plusieurs reprises dans le «Wall Street Journal», cette enquête allait donc y figurer tôt ou tard et avoir des conséquences désastreuses sur la réputation de Klaus Schwab et l'ensemble du WEF.
Car l'enjeu est de taille. Klaus Schwab a été une force motrice, une machine à idées, un homme de réseau et une figure de proue avec une influence discrète mais puissante. La preuve: c'est lui qui a organisé les négociations commerciales entre le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et le vice-premier ministre chinois He Lifeng début mai à Genève. Autre exemple, il a fait venir Trump à Davos par le biais d'un intermédiaire, via un message vidéo, trois jours après son investiture. Dans un monde de plus en plus fragmenté, le WEF serait prédestiné à jouer un rôle de médiateur comme aucune autre institution. Mais alors que l'Occident se fracture, le WEF implose.
Certes, face à ces accusations de négligence, Peter Brabeck et Thomas Buberl auraient pu avoir été soupçonnés de manquer d'impartialité s'ils avaient prévenu Klaus Schwab de cette enquête. En parallèle, la directrice d'Accenture, Julie Sweet, grand soutien de Thomas Buberl lors de sa première enquête et membre du comité, a insisté sur une application très stricte des règles. Mais ces deux vétérans, Peter Brabeck et Thomas Buberl, auraient pu passer outre les objections des avocats face au risque de destruction de la réputation de Klaus Schwab et de l'ensemble de l'organisation.
Victime d'une campagne de haine
De plus, Klaus Schwab a lui-même porté plainte contre le mystérieux groupe Rebecca, ce qui aurait pu être une preuve suffisante qu'il n'avait rien à cacher. «Il me semble que le conseil de fondation a opté pour une approche très conflictuelle», a souligné la légende du barreau Peter Nobel dans la «Schweiz am Wochenende» après la démission de Klaus Schwab, avant que le fondateur du WEF ne l'engage. «Un entretien préalable avec Klaus Schwab aurait été plus judicieux.» Mais Thomas Buberl et Peter Brabeck ont sauté cette étape évidente, et ce pour une raison particulière: leur relation avec Klaus Schwab était brisée.
C'est justement ce qui rend cette affaire si particulière. Il semble que le fondateur du WEF ait fini par être la victime d'une campagne de haine mondiale. «Il y a énormément de gens en colère qui veulent détruire sa réputation», confie un ex-membre de la direction du WEF.
En 2019, l'Américaine Cheryl Martin a quitté le Forum. Klaus Schwab avait fait venir cette chimiste et ancienne collaboratrice de haut niveau du ministère américain de l'énergie en 2016 pour diriger le Centre for Global Industries. Mais le fondateur du WEF n'était pas satisfait de ses performances et les collaborateurs ont remarqué qu'elle pleurait souvent au bureau le soir.
C'est alors que le côté dur de Klaus Schwab a fait surface, un côté qu'il a dissimulé avec charme, comme tant d'autres dirigeants d'entreprise à succès. Il a été très exigeant, parfois même volatile, et dirigé son équipe d'une main de fer. Il a été un moteur pour le forum, et ses collaborateurs le lui ont bien rendu. Mais beaucoup en ont souffert et de nombreuses frustrations se sont accumulées au cours de son long mandat.
Cheryl Martin a quitté le WEF avec rancœur, et depuis son départ, les collaborateurs sortants ont systématiquement reçu des demandes LinkedIn du «Wall Street Journal» les priant de raconter en toute confidentialité leurs conditions de travail au WEF. Le bureau de New York, qui compte plus de 100 collaborateurs, a été une source particulièrement riche car son personnel était plus jeune et moins loyal, son taux de fluctuation plus élevé, et la noble exigence morale du forum a augmenté la hauteur de chute dans la nouvelle ère MeToo.
De plus, le débat permanent sur la succession a attisé les frustrations au sein du conseil de fondation. Klaus Schwab avait prévu de se retirer pour le 50ème WEF en 2020. Et c'est une femme qui l'accompagnait déjà de près au sein du conseil de fondation qui a été choisie: Christine Lagarde, alors encore directrice du FMI à Washington. La Française a accepté, même son logement au sein de la Villa Mundi était déjà prévu.
Risque de fuites
Mais le président français a ensuite envoyé Christine Lagarde à la tête de la Banque centrale européenne en juillet 2019. Le mandat unique était de huit ans et Klaus Schwab a discuté avec elle d'un départ anticipé, par exemple après cinq ans. Mais cet accord ne pouvait pas être contraignant et le fondateur du WEF se trouvait dans une impasse: il avait trouvé son successeur, mais ne pouvait pas l'annoncer, même au sein de son conseil de fondation surdimensionné car le risque de fuites était trop grand.
Pendant ce temps, la pression institutionnelle augmentait: le WEF avait été déclaré organisation internationale en 2015, Klaus Schwab avait installé un PDG en la personne du Norvégien Børge Brende. Désormais, le conseil de fondation, jusqu'ici plus un organe de façade qu'une réelle instance de contrôle, devait aussi être professionnalisé, y compris la solution de succession. C'est là que Thomas Buberl s'est imposé parmi les autres membres.
Peu après son entrée en fonction en 2020, il a rejoint le comité d'audit et de risque, et dès la deuxième année, il a accédé à la centrale de pilotage, le Governing Board, composé de six membres, notamment Klaus Schwab et Peter Brabeck, le vice-président de Roche André Hoffmann. Pour les uns, Thomas Buberl était apportait un vent de fraîcheur sur la gouvernance d'entreprise. Pour les autres, c'était un ambitieux assoifé de pouvoir. La tension montait et Klaus Schwab devait se décider.
Le revers de la médaille
Malgré tout, le fondateur du WEF avait encore les pleins pouvoirs. Il a choisi chaque membre du conseil de fondation, et tous savaient que ce mandat de prestige était lié à la fonction. En d'autres termes, celui qui perdait son emploi devait partir. Ceux qui ont perdu leur fonction auparavant, comme l'ex-président de l'UE José Manuel Barroso ou le directeur de la Banque mondiale Jim Yong Kim, n'ont plus été invités ensuite. Dans de nombreux cas, Klaus Schwab a aussi coupé des liens personnels, sauf une fois avec un homme qui l'a fait tomber de son piédestal: Peter Brabeck.
De nombreux egos surdimensionnés ont été durement touchés, et beaucoup ont cultivé une rancœur envers Klaus Schwab. La colère s'est également accumulée parmi la jeune génération des Young Global Leaders. Thomas Buberl en faisait partie dans ses jeunes années, mais il n'a plus été invité par manque de place, comme presque tous les anciens élèves. L'un d'entre eux était l'Anglais Mark Turrell, qui avait attaqué le WEF si violemment avec son initiative «UnDavos» qu'il a été rayé de la liste des alumni. Pour des raisons institutionnelles, Klaus Schwab a donc semé l'hostilité parmi les mâles alphas mondiaux comme personne d'autre.
La crise du coronavirus en a rajouté une couche. La pandémie a été pour le WEF son plus grand test depuis sa création. Klaus Schwab s'est battu de toutes ses forces pour l'œuvre de sa vie. Il a fait installer un studio de télévision juste à côté de son bureau au rez-de-chaussée du bâtiment en verre et était tous les jours en contact avec des chefs d'Etat, des spécialistes et des sponsors. Même si l'événement a été annulé en 2021 et que seul un Davos tronqué a été organisé en mai 2022, les grands sponsors, notamment les groupes américains, sont restés à bord.
Klaus Schwab, très agité, a réagi à sa manière à ce changement d'époque. Il a publié son livre «The Great Reset» et s'est attiré la haine d'Internet. Il a été vu comme le seigneur des ténèbres qui cherche à dominer le monde. Des vidéos grotesques et des posts sur les réseaux sociaux ont circulé, selon lesquels Klaus Schwab voulait implanter des puces électroniques à tous les citoyens ou planifiait une extermination massive de l'humanité. Le WEF a dû mettre sur le coup des collaborateurs de la communication pour démentir ces fausses informations. Les auteurs de ces posts n'ont pas eu être retracés complètement, mais les pistes menaient toujours vers la même direction: la Russie.
L'acte final
L'attaque de Poutine contre l'Ukraine n'a rien arrangé. Klaus Schwab avait coupé tous les liens avec la Russie à Davos. Ce faisant, il est devenu l'ennemi numéro un des détracteurs de la mondialisation à Moscou. «Pour Poutine, le terroriste mondial Klaus Schwab est une cible militaire légitime», titrait le site web «The People's Voice» en décembre 2023. Reuters a démenti cette information, mais la démarche du site ressemblait aux usines à trolls russes. Peu après une interview dans laquelle Klaus Schwab s'était exprimé sur sa longue relation avec Poutine, il a été aperçu à New York. «You can kill him now», disaient des appels anonymes. Klaus Schwab a donc retiré ses propos et sa sécurité a été renforcée. L'oligarque Konstantin Malofejew s'est ensuite ouvertement félicité de son départ, selon le magazine «Spiegel». Selon lui, il était «un idéologue majeur du mondialisme».
L'acte final de la tragédie de Klaus Schwab a commencé avec le WEF 2023. Le «Wall Street Journal» n'avait encore rien publié, mais deux autres publications ont tiré à boulets rouges. «Politico» a thématisé dans une analyse «la frustration liée à l'absence d'un plan de succession parmi les collaborateurs et les sponsors». Et le «Guardian» de Londres a fait état d'un groupe anonyme de «collaborateurs actuels et anciens» qui se sont plaints de l'absence de plan de succession de Klaus Schwab et de son prétendu comportement de pouvoir. La pression montait dans la verrerie genevoise.
Bombardement
En automne 2023, des collaborateurs anciens et actuels ont été contactés par le «Wall Street Journal». Pour le département des médias, cela était dû au changement de rédactrice en chef, l'Anglaise Emma Tucker, qui travaillait auparavant au «Sunday Times». Au printemps 2024, le Forum a reçu pour la première fois une liste officielle de requêtes sur le sujet. L'article a plané sur le WEF comme une épée de Damoclès, sans savoir quand elle allait s'abbatre sur lui.
L'article est arrivé le 29 juin sous le titre «Behind Davos, Claims of a Toxic Workplace». Cheryl Martin, qui avait quitté le forum six ans plus tôt, a été citée comme un témoin clé de la présumée culture du travail empoisonnée. Plusieurs femmes se sont exprimées de manière anonyme sur des incidents qu'elles avaient ressentis comme du harcèlement, remontant parfois jusqu'aux années 1980.
Certaines plaintes étaient justifiées, les instances internes n'ont pas toujours été assez sévères. Mais il s'agissait seulement de cas isolés, 3500 personnes avaient quitté le WEF depuis sa création, et plus de 600 depuis 2020 seulement. Les employés qui avaient démissioné ont été systématiquement contactés pendant cinq ans et l'article en a peu parlé, Peter Brabeck et Thomas Buberl devaient le savoir. Mais le WEF était une institution mondiale avec de nobles prétentions morales et des sponsors nerveux, notamment les Etats-Unis, et les reproches venaient du journal personnel de la scène économique locale. Une non-réaction était impensable.
Note de protestation
C'est alors qu'une chose intéressante s'est produite. Le duo Brabeck/Buberl a profité de l'incident pour démettre progressivement le fondateur de ses fonctions. Un comité spécial de quatre personnes a été mis en place. Officiellement, Klaus Schwab était encore président, mais de facto, Peter Brabeck et Thomas Buberl ont pris le pouvoir, encouragés par le fait que Klaus Schwab avait démissionné du poste de président exécutif quelques semaines auparavant et que le travail du conseil de fondation devait être réparti entre quatre comités. Ceux-ci ont pu être pourvus.
Le rapport d'enquête n'a pas été distribué au conseil de fondation, par crainte de fuites, et Klaus Schwab ne l'a jamais vu non plus. Mais l'acquittement était total, ce dont Brende a informé les sponsors à la mi-mars. Toutefois, les collaborateurs ont remarqué à quel point il s'est peu présenté devant le fondateur. Les mécanismes peu efficaces dans le domaine des RH étaient d'abord sa responsabilité. Les membres du conseil de fondation l'ont néanmoins chargé d'une réorganisation. L'Américain Jeremy Jurgens, l'homme le plus important sur le plan commercial en tant que responsable des contrats avec les grandes multinationales américaines, a été mis de côté, tout comme Saadia Zahidi, une fidèle de longue date de Klaus Schwab.
Le fondateur du WEF a appris ces plans par e-mail et écrit une note de protestation à Peter Brabeck: le Forum risquait d'être affaibli. Le vice-président l'a sèchement rejeté. Il s'est fait «rembarrer», devait-il dire dans son cercle de confiance. C'était la rupture définitive. Apparemment, Thomas Buberl a même demandé à Klaus Schwab de démissionner immédiatement fin mars, un président intermédiaire Peter Brabeck ne serait-il pas une bonne solution? Klaus Schwab, visiblement démoralisé, s'est montré si conciliant que début avril, il a pour la première fois indiqué en interne la date de son départ déjà prévu: 2027, soit la fin du mandat de Christine Lagarde.
Mais le duo de direction a été freiné : l'autorité de surveillance des fondations s'est opposée au remaniement du conseil de fondation - elle a émis douze réserves. Particulièrement grave : le CEO Brende devait faire partie du nouveau comité de gouvernance - une erreur de débutant. C'était le sujet que Schwab voulait aborder avec Buberl le samedi de Pâques. Mais le mercredi, l'e-mail de Rebecca est arrivé - et Buberl a immédiatement lancé l'enquête.
Son manteau était encore dans le bureau
S'en est suivi un combat rapproché. Vendredi, Klaus Schwab a écrit à Thomas Buberl une lettre accusatrice dans laquelle il lui demandait de retirer l'enquête dans les 24 heures. Pour justifier sa décision, il pouvait se référer à la plainte pénale qu'il avait déposée contre le groupe Rebecca. Le «Wall Street Journal» a présenté cette plainte comme une menace contre le conseil de fondation, ce qui était faux.
Même si la lettre n'était destinée qu'à lui, Thomas Buberl l'a transmise au conseil de fondation et a annoncé sa démission pour lundi si la situation n'était pas clarifiée. Samedi matin, Peter Brabeck a convoqué une réunion extraordinaire du conseil de fondation, arguant que si elle n'avait pas lieu avant lundi, il démissionnerait lui aussi. Klaus Schwab voulait reporter la réunion à vendredi et ne voulait pas se plier à l'ultimatum de Rebecca.
Malgré tout, samedi soir, il a renoncé. Il n'a pas eu de contact verbal avec Thomas Buberl en ces jours difficiles, mais un autre membre du comité des risques et un autre proche du conseil de fondation l'ont contacté et l'ont calmé. Il avait déjà annoncé son retrait et, pour éviter de nuire à l'œuvre de sa vie, il devait l'anticiper. Klaus Schwab a informé Peter Brabeck par lettre de sa démission immédiate. Il ne participait déjà plus à la réunion de dimanche soir, les membres du conseil de fondation ont formellement approuvé l'enquête. Klaus Schwab n'avait jamais fait valoir son point de vue. Le lendemain, les choses se sont corsées: Peter Brabeck l'a informé par WhatsApp qu'à cause de l'enquête en cours, il ne pouvait pas entrer dans son bureau ni utiliser les ressources du forum. Son manteau était encore accroché dans le bureau.
Une démarche irrespectueuse
A 80 ans, Peter Brabeck, l'éternel mâle alpha, est de retour sur la grande scène en tant que président du WEF. Si l'image de Christine Lagarde devait être trop endommagée, Thomas Buberl aurait une option sur le fauteuil présidentiel. Il n'aurait pas pu succéder directement à Klaus Schwab, plus grand que nature, mais Peter Brabeck, oui. En tant que Chairman non exécutif, il pourrait même conserver son poste bien rémunéré de chef d'Axa.
Tout dépend maintenant de l'enquête. L'élection de Philipp Hildebrand au conseil de fondation avait été organisée par Klaus Schwab après la consultation du Conseil fédéral. L'ex-patron de la Banque nationale doit garder le contact avec Berne. Avec le vice-président de Roche Hoffmann, il constitue le contact de Klaus Schwab avec le conseil de fondation. Si l'enquête ne révèle aucune infraction, un départ honorable lors de la prochaine réunion de Davos serait envisageable. Mais même si certaines des accusations mesquines devaient être confirmées, compte tenu de la contribution de Klaus Schwab tout au long de sa vie, elles ne justifieront jamais un procédé aussi irrespectueux.
Et le groupe Rebecca? Bien que Klaus Schwab ait démissionné avant son ultimatum, les accusations ont quand même fini dans le «Wall Street Journal». Le groupe a réussi son coup: faire tomber le monument Schwab et entacher la réputation du WEF. Le procureur genevois Olivier Jornot, à qui Klaus Schwab a adressé sa plainte pénale, doit maintenant retrouver son identité. Au vu du professionalisme de cette campagne, il est peu probable que des collaborateurs du WEF soient à l'origine de ce complot. Alors qui sont-ils? La question reste entière.