Fronde contre le Service citoyen
«Comment ose-t-on demander aux femmes d'en faire encore plus?»

Pour les élues socialistes Jessica Jaccoud et Tamara Funiciello, l'initiative du Service citoyen est une attaque contre les femmes au faux prétexte de l'égalité. Elle ignore leur travail non rémunéré et risque de porter un coup à leurs conditions économiques.
Publié: 30.10.2025 à 19:37 heures
|
Dernière mise à jour: 30.10.2025 à 22:47 heures
Partager
Écouter
Photo: keystone-sda.ch
OLALLA_PROFIL_DROITE.jpg
Olalla Piñeiro TrigoJournaliste Blick

La population suisse devra se prononcer ce 30 novembre sur une initiative controversée: le Service citoyen. L'objectif: un engagement obligatoire pour tous les Suisses, hommes comme femmes – que ce soit à l'armée, à la protection civile ou au service civil. 

Un projet largement décrié à travers tout l'échiquier politique. Parmi les 246 députés des deux chambres, seuls 26 l'ont soutenu et 7 se sont abstenus. Les partis bourgeois et les milieux économiques craignent un casse-tête bureaucratique et une hausse des coûts pour le contribuable.

Mais du côté des syndicats et de la gauche, les critiques sont plus musclées. Ils dénoncent le fait qu'en étendant l'obligation de servir aux femmes, l'initiative «instrumentalise» l'égalité à des fins politiques. La gauche, des syndicats et des organisations féministes se sont réunies jeudi à Berne pour monter au front. 

Une attaque contre les femmes

Contactée par Blick, la conseillère nationale vaudoise du parti socialiste (PS) Jessica Jaccoud souligne à quel point cette initiative constitue une attaque frontale. «Elle part du principe que les femmes ne s'engagent pas pour leur pays. Mais elles réalisent déjà un service citoyen à travers le travail non rémunéré.» Largement assuré par les femmes, le travail domestique, de soin et de proches aidants représente 434 milliards annuels, selon les chiffres 2020 de l'Office fédéral de la statistique (OFS). 

Sa collègue de parti bernoise, Tamara Funiciello, abonde: «Comment ose-t-on demander aux femmes d'en faire encore plus pour la société, avec tout le poids qu'elles portent déjà sur leurs épaules? Le comité d'initiative parle d’égalité, alors que les femmes touchent encore 20% de moins que les hommes en Suisse, qu'elles sont victimes de violences, et qu'elles n'ont pas les mêmes chances.» En somme, un nouveau coup de massue porté à une population à qui on impose sans cesse «des contraintes», sans lui apporter de solutions aux «inégalités structurelles qu'elle vit tout au long de sa vie».

Les socialistes plaident pour une égalité concrète, en s'attaquant aux racines des inégalités de genre. A commencer par une reconnaissance du travail invisible accompli par les femmes, en prévoyant un aménagement de leur temps de travail qui leur dégagerait des heures sans affecter leur salaire. 

Risque de dumping salarial

Les répercussions économiques derrière l'initiative sont aussi pointées du doigt. «Le Service citoyen risque de créer du dumping salarial dans les domaines majoritairement occupés par les femmes, à savoir l'éducation et les soins. Car c'est là où il y a des besoins de main d’œuvre», dénonce Tamara Funiciello. «C'est une paupérisation qui affecte des travailleuses déjà précarisées», complète Jessica Jaccoud. Des arguments partagés par l'Union syndicale suisse (USS), qui combat aussi l'initiative. 

Les deux conseillères nationales de gauche s'inquiètent aussi des violences sexistes et sexuelles qui demeurent fréquentes au sein de l'armée. Comment s'assurer qu'une intégration massive de recrues féminines se passe sans danger pour ces dernières? Car bien qu'il existe d'autres formes d'engagement, le comité d'initiative a une priorité claire: remplir les rangs militaires. 

Un mépris envers les jeunes

La coprésidente des femmes socialistes et conseillère nationale vaudoise estime également que le projet de Service citoyen est «méprisant envers les jeunes». Elle développe: «Il présuppose que la jeunesse ne s’engage pas assez pour la communauté, mais c'est faux. Elle est très engagée, et pas que politiquement.» Elle donne l'exemple des jeunesses campagnardes vaudoises, qui s'impliquent dans la vie locale dès leur jeune âge avec l'organisation de girons par exemple. 

Selon elle, prétendre à la cohésion nationale sur la base de la contrainte est «contre-productif». L’idée que chacun pourrait choisir un domaine correspondant à ses compétences ou utile à sa carrière relève, selon elle, de l’illusion. «Il sera impossible d’intégrer 35'000 nouvelles personnes chaque année dans des structures réellement adaptées à leurs profils. Cette équation ne se résoudra pas par magie, mais par la contrainte.»

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus