Il a remporté le César du meilleur film documentaire en 2022 avec La panthère des neiges, un long métrage qui emmène le spectateur au cœur des hauts plateaux tibétains. Vincent Munier, l’un des plus grands photographes animaliers de sa génération, revient aujourd’hui avec «Le chant des forêts», un film très personnel consacré aux étendues boisées vosgiennes, terrain de jeu de sa prime enfance. Là où il a tout appris grâce à son père, Michel, un naturaliste qui a passé sa vie à l’affût dans les bois. Pourquoi maintenant?
«Je ne me suis pas trop posé la question, répond Vincent Munier dans un sourire. C’était ce moment-là, c’est tout. Mon père a 78 ans, il commence un peu à fatiguer en restant longtemps sur le terrain et je me suis dit qu’il fallait le faire avant qu’il ne puisse plus. Et puis après le succès de La panthère des neiges, c’est vraiment le film qui m’importait. Une transmission, une envie de partager avec le plus grand nombre cette expérience de l’affût que j’ai eue, parce qu’elle est quand même assez privilégiée.»
C’est donc accompagné de Simon, le fils de Vincent, que le binôme s’est lancé dans le tournage de ce nouveau film. Trois regards, trois générations et une même fascination pour le monde sauvage, avec pour fil rouge le grand tétras, animal totem de Michel.
L’oiseau ayant aujourd’hui disparu de la forêt vosgienne, le trio est parti à sa rencontre en Norvège. Un choix qui peut paraître étonnant, l’animal étant encore observable ailleurs en France et en Suisse. «Dans les Pyrénées, il s’agit d’une sous-espèce, précise le photographe. Nous aurions pu aller dans le Jura, mais les populations sont tellement fragiles qu’on n’ose plus trop, même sur la pointe des pieds et en faisant attention. Mieux vaut les laisser tranquilles.»
Un problème qui n’existe pas en Norvège, où la population de grands tétras est encore importante. Et par souci d’écologie, l’équipe s’y est rendue en train. En dehors de cet oiseau emblématique, de nombreuses autres espèces sont présentées dans le film, notamment des cerfs, des renards et des lynx, filmés dans leur habitat naturel, en toute discrétion.
Volonté du réalisateur d’emmener le spectateur à l’affût avec lui, au risque de le perdre, tant le commentaire est parfois rare. «C’est vrai, on est un peu prisonnier dans cette chambre noire qu’est une salle de cinéma, s’amuse-t-il. On ne peut pas scroller. Là, j’impose un rythme, une ambiance, justement pour montrer que dans la nature tout ne va pas vite. Il faut prendre le temps et voir les choses telles qu’elles sont montrées, ça se mérite un peu.»
Côté images, beaucoup de clairs-obscurs, de la neige, de la brume. Là encore, un parti pris. «Je trouve que ça donne une part de mystère, souligne Vincent Munier. Parce que ce sont vraiment les forêts comme je les ressens. Chez moi, elles sont un peu austères, il y a beaucoup d’humidité, beaucoup de brume, de froid. Et puis, c’est entre chien et loup que les bêtes sortent, qu’il se passe souvent des choses. Je me calque sur elles.»
Quant à l’ambiance sonore, elle joue un rôle prépondérant dans cette proposition atypique. La pose des micros a d’ailleurs représenté un gros travail lors des tournages. «Le son, c’est presque un personnage du film, confirme le photographe. Il est tellement puissant, évocateur. L’ouïe est primordiale, c’est une manière de réveiller nos sens.»
Au final, ce sont des heures de film qu’il a fallu trier et assembler. Huit mois d’efforts auront été nécessaires pour monter Le chant des forêts. «C’était long d’être enfermé tout ce temps, confie le réalisateur. En 2026, je vais me consacrer au terrain. Je ne sais pas encore sous quelle forme. Et peut-être me lancer dans l’écriture d’un livre. De la littérature, c’est un grand mot, mais j’aimerais raconter des choses.»
Père et fils pratiquent l’affût depuis toujours ou presque. «Il y a aussi un message un petit peu militant dans le film, reconnaît Vincent Munier. Quand mon père dit «Forêt vivante, forêt qui chante», c’est montrer ce qu’est la vraie forêt, très diversifiée, avec des arbres noirs au sol, des essences d’arbres différents, d’âges différents. Ça foisonne de vie, donc c’est beaucoup plus résistant face à tout ce qui est maladies et catastrophes comme les incendies.»
Une martre des pins, dans la forêt vosgienne. La majorité du documentaire est filmée en hiver et quelques scènes au début du printemps. «C’est un peu ma patte, reconnaît le cinéaste. L’été, ce n’est pas ma saison favorite. J’aime beaucoup toutes ces brumes. C’est magnifique et très fantomatique. En fait, il s’agit vraiment d’appuyer sur le côté mystérieux, qui amène la magie. Sur le fait qu’on n’est sûr de rien et qu’il y a beaucoup de choses qui nous échappent.»
Un lynx boréal, dans les Vosges. «Il y a des plans un peu longs dans le film, reconnaît Vincent Munier. Mais c’est bien pour amener la notion de temps, de se poser, que tout n’est pas gratuit, qu’il faut chercher. J’essaie de titiller un peu les sens du spectateur. Le lynx est un bon exemple. Quelques personnes le voient au tout début. Il est là. Et quand on voit le film plusieurs fois, il y a des choses qu’on va redécouvrir.»
Un écureuil roux, dans les Vosges. «J’aime les clairsobscurs, c’est mon côté un peu hainardien (ndlr: en référence à l’artiste, naturaliste et écrivain suisse Robert Hainard), confie Vincent Munier. Après, on passe quand même de brumes assez noires et blanches au début à des brumes très lumineuses à la fin, qui sont plutôt en contre-jour.»
«Simon ne sera pas aussi acharné que nous à faire des affûts, reconnaît Vincent Munier. Mais il a cette curiosité de regarder tout ce qui est autour, de vraiment observer et d’avoir de l’empathie, aussi.»
Simon et Michel grillent des guimauves pendant le feu de camp. «La Norvège constitue vraiment le moment de bascule du film, souligne le cinéaste. C’est une espèce de voyage initiatique pour Simon. Etre un peu en retrait derrière la caméra pour filmer mon père et mon fils était important pour moi.»
Une poule et un coq de grand tétras, animal totem de Michel Munier, le père de Vincent, en Norvège. «L’instant où on montre à Simon un grand tétras pour la première fois est vraiment marquant, parce que ce n’était pas gagné, se souvient le photographe. Nous étions cinq, il y avait deux amis cadreurs derrière nous, et on était tous les trois devant. Vivre ce moment-là, c’était génial. Il avait beau être écrit, il fallait quand même le mettre en œuvre.»
Cet article a été publié initialement dans le n°50 de «L'illustré», paru en kiosque le 11 décembre 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°50 de «L'illustré», paru en kiosque le 11 décembre 2025.