Une sorte de «caisse noire légale»
Les cantons piochent sans retenue dans les caisses de la loterie

Les fonds issus des loteries doivent servir le bien commun. Pourtant, les cantons puisent régulièrement dans ces caisses bien remplies. Ainsi, des événements politiques ou des rénovations de luxe sont financés – et bien d’autres choses encore.
Publié: 16:09 heures
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Selon la Constitution fédérale, les bénéfices des jeux de hasard ne peuvent être utilisés qu'à des fins d'utilité publique.
Photo: Mike Scheiwiller
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Sven Altermatt

Conflit autour de l’argent des loteries à Zoug: Le canton a débloqué 5000 francs pour la fête anniversaire d’une organisation à orientation politique – comptabilisée comme «d’utilité publique», révèle Blick ce lundi. Le responsable de l’attribution à l’«Aktion für vernünftige Energiepolitik Schweiz» (Aves) n'est autre que le conseiller d’Etat UDC Heinz Tännler. Les Vert-e-s jugent «choquant que le lobby atomique encaisse ces fonds», d’autant plus que d’autres demandes de fonds de loterie pour des événements anniversaires de partis ou des forums non partisans ont été refusées.

Les fonds de loterie proviennent des gains des jeux de hasard de Swisslos – selon la Constitution fédérale, ils ne doivent être utilisés que pour des causes d’utilité publique. Les projets à caractère politique ou idéologique sont exclus. Pourtant, la définition précise de ce qui est considéré comme d’utilité publique laisse une grande marge de manœuvre.

Les caisses sont pleines à craquer

Que peuvent bien avoir en commun des festivals, la renaturation d’un étang et des participations à la Fête du printemps à Zurich? A première vue: peu de choses. Pourtant, ils ont tous reçu des fonds provenant d’un fonds de loterie.

Ont également été financés grâce à ces fonds des fêtes électorales, des œuvres d’artistes locaux, des fêtes amateurs de lutte suisse — ainsi que de nombreux spectacles de clubs sportifs et de sociétés musicales. Un mélange varié, uni sous le label «d’utilité publique».

Les fonds de loterie sont généreusement alimentés. Les moyens sont souvent attribués directement par les gouvernements cantonaux. Sans ces fonds, de nombreux projets culturels et sportifs existeraient à peine. Rien que pour 2024, plus de 660 millions de francs ont été versés aux cantons, et les réserves des fonds s’élèvent à plus d’un milliard.

Mais certains cantons semblent considérer les fonds de loterie davantage comme des vaches à lait. Il y a 15 ans déjà, une étude commandée par la Confédération avait révélé à quel point l’attribution des fonds peut parfois manquer de transparence. En clair, il est souvent «impossible de comprendre pourquoi une institution reçoit quelque chose et une autre non».

Conflits délicats, critiques acerbes

Le spécialiste du droit constitutionnel Etienne Grisel a un jour qualifié les fonds de loterie de «caisse noire légale» – une expression qui marque encore le débat aujourd’hui. Dans une analyse juridique, Etienne Grisel mettait en garde contre les conflits d’intérêts, car les gouvernements cantonaux décident souvent aussi d'attributions qui les concernent eux-mêmes.

Le think tank Avenir Suisse critique depuis des années le fait que les cantons détournent les fonds de loterie de leur usage prévu. C’est particulièrement problématique lorsqu’ils financent ainsi leurs propres projets ou comblent des trous dans leur budget. Rien que ces trois dernières années, plusieurs cas ont fait débat:

  • Par ce biais, certains cantons ont financé la construction de la caserne de la Garde suisse à Rome avec des fonds de loterie.
  • A Soleure, le gouvernement a utilisé le fonds pour la promotion précoce des langues, bien que ce soit une tâche étatique, comme l’a rapporté la «Solothurner Zeitung».
  • Selon la «SonntagsZeitung», dans le canton de Thurgovie, des fonds de loterie ont été versés à la restauration d’une villa classée appartenant au groupe PCS de l’entrepreneur Peter Spuhler, tandis qu’à Nidwald, des travaux similaires ont été réalisés sur des bâtiments des hôtels Bürgenstock.
  • Dans d’autres cantons, les autorités ont puisé dans les fonds de loterie pour des tâches normalement assumées par le Canton. Par exemple, la Thurgovie a versé plus de 125’200 francs à la commune de Sirnach pour la rénovation de la maison communale.
  • L’école hôtelière de Lucerne a touché des millions de fonds de loterie pour un projet de construction. Cela a suscité des critiques, car il s’agit d’une institution privée.

Les interventions sont rares

Et les interventions des organes de surveillance font plutôt figure d'exception. Comme l’a rapporté Blick, l’Autorité intercantonale de surveillance des jeux d’argent n’a critiqué que 7 demandes sur plus de 27'700 approuvées en 2023 – dans certains cas, les versements ont été annulés.

Des vérifications menées dans les cantons ont révélé que, par exemple, dans le canton d’Uri, un forum économique extra-cantonal a été financé à tort par le fonds de loterie. Le canton de Zoug a également été concerné: pendant des années, plus de 160'000 francs ont été versés à une crèche, alors que ces contributions auraient normalement dû être prises en charge par le canton lui-même. Les autorités ont corrigé cette erreur.

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