Cette question concerne tous les contribuables suisses: dans quelle mesure les chercheurs et la Confédération doivent-ils avoir accès aux données fiscales détenues par les cantons? Le Conseil national en débattra lundi prochain lors de la session spéciale.
Le Conseil fédéral souhaite que les données fiscales cantonales des personnes physiques soient accessibles à des fins statistiques, de recherche et de planification. Mais une majorité du Parlement s’y oppose désormais.
La Confédération veut regarder dans la déclaration d'impôts
Chercheurs et fonctionnaires fédéraux estiment que ces données sont essentielles, notamment pour modéliser les effets de futures réformes fiscales. Dans une lettre adressée aux conseillers aux Etats concernés, la Société suisse d’économie et de statistique écrit: «Une bonne politique économique repose sur une estimation empirique aussi fiable que possible des conséquences.» Or, les données fiscales pertinentes sont conservées par les cantons, tandis que la Confédération n’y a pratiquement pas accès.
Et c'est une particularité du système suisse: l’administration fédérale ne dispose d’aucune donnée sur la richesse des contribuables, faute d’impôt fédéral sur la fortune. Si les cantons transmettaient ces informations, la Confédération pourrait mieux anticiper. Par exemple, combien de personnes seraient concernées par l’initiative des Jeunes Socialistes pour un avenir plus équitable, ou par une éventuelle réforme de l’imposition individuelle, explique Kurt Schmidheiny, professeur à l’université de Bâle. En l’absence de ces données, Berne doit se contenter d’estimations – ou supplier les cantons de les fournir.
Crainte d'un «citoyen transparent»
Une majorité de la commission économique alerte contre le risque de créer un «citoyen transparent». Dans une motion, elle demande que seules des données strictement anonymisées puissent être transmises à la Confédération. «Une transmission non anonymisée nuirait à la relation de confiance entre les contribuables et les administrations fiscales cantonales», affirme la commission dans son texte.
Autre inquiétude, la création d’un registre fiscal centralisé pourrait devenir une cible attrayante pour les cybercriminels, augmentant le risque de piratage. L’Office fédéral de la statistique, qui souhaitait collecter ces données auprès des cantons, se dit déçu par l’évolution politique du dossier. Interrogé par Blick, il insiste: les «données fiscales non anonymisées» sont la clé pour évaluer avec fiabilité les conséquences de nombreuses réformes. «Par exemple, l’étude de la pauvreté en Suisse n’est pertinente que si l’on peut combiner les données fiscales avec celles de l’aide sociale et des prestations complémentaires.»
Concrètement, l’Office fédéral souhaite pouvoir analyser les revenus des personnes touchant l’aide sociale et déterminer combien d’entre elles vivent avec des enfants. Du côté de Caritas Suisse, on souligne aussi l’importance de ces données pour dresser un portrait réaliste de la pauvreté et concevoir des mesures efficaces pour y remédier.