Madame Fischer, vous avez auparavant effectué des contrôles de sécurité pour des cadres supérieurs en tant que Risk Profiler. Qu'est-ce qui est le plus passionnant: la vie sexuelle des hauts fonctionnaires ou le Service de renseignement de la Confédération (SRC)?
Prisca Fischer: Les deux jobs sont passionnants et reposent sur le fait que je découvre des problèmes lors d'entretiens et que j'enquête sur des indices.
En tant que cheffe des services secrets, devez-vous espionner les espions?
Je ne suis pas une espionne, mais une simple juriste (rires). Cela ne m'amuse pas lorsque mes collaborateurs débarquent au SRC sans prévenir et saisissent du matériel. Mais cela n'arrive que rarement. Nous posons tous les jours des questions dérangeantes – et pas seulement au SRC, mais aussi au service de renseignement militaire. La plupart des collaborateurs veulent faire du bon travail et coopèrent avec l'Autorité de surveillance.
Vous constatez des faiblesses dans le renseignement en lien avec les milieux d'extrême gauche. Le SRC ferme-t-il les yeux sur ce qui se passe tout à gauche?
Non, le SRC ne ferme pas les yeux sur ce qui se passe dans les milieux d'extrême gauche. Il observe, en collaboration avec les cantons, l'évolution des groupuscules violents. Nous avons constaté dans un audit que les ressources disponibles ne suffisaient pas pour remplir cette mission de manière optimale et pour utiliser de manière efficace et appropriée tous les moyens prévus par la loi.
Pourquoi la Suisse n'a-t-elle pas de James Bond ?
Le législateur fixe des limites claires au SRC. Malgré cela, le Service de renseignement peut tout de même travailler sous couverture et se procurer des informations. Il peut même lui arriver de collaborer avec des criminels. Toutefois, non, les collaborateurs du SRC ne sont pas des James Bond.
Le SRC est engagé depuis des années dans une restructuration interne. Est-il encore performant?
Le SRC se heurte à ses limites. Mais nous n'avons jamais constaté que cela l'empêchait d'assumer sa mission ou qu'il échouait complètement dans ses tâches.
Des diplomates me disent que des représentants du SRC se vantent de prétendues informations secrètes qui ont été publiées depuis longtemps dans les journaux. Qu'est-ce que vous en dites?
Je peux en partie comprendre cette critique. La méthode de travail du SRC est différente de celle du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Avant que le SRC ne communique quelque chose, il a besoin de nombreuses confirmations. Le DFAE peut plus travailler avec des hypothèses. La culture du SRC pourrait toutefois devenir plus ouverte.
Qu'entendez-vous par «culture plus ouverte»?
Le SRC n'aime pas échanger avec des tiers. Les agents de renseignement préfèrent rester entre eux. Ils ont appris à bien peser chaque mot. Cela entrave parfois la circulation de l'information, notamment vis-à-vis de l'Autorité de surveillance. Nous devons parfois poser trois fois la même question avant d'obtenir une réponse.
Pälvi Pulli, vice-chef du Secrétariat d'Etat à la politique de sécurité, aurait déclaré en interne que la plupart des rapports du SRC étaient inutilisables.
Je ne sais pas ce que vous avez entendu au sujet de Madame Pulli. Mon impression est que tous les rendus du SRC n'ont pas une valeur ajoutée ponctuelle en matière de renseignement. Le SRC a de très nombreux clients et ne peut pas tous les satisfaire en tout temps. Nous entendons plusieurs clients dire que les résultats du SRC doivent être améliorés. Nous pensons qu'il faut agir dans ce domaine et souhaitons faire un audit rapidement dans ce sens.
Christian Dussey quitte son poste de directeur du Service de renseignement de la Confédération. Etait-ce une erreur de casting?
Le SRC avait déjà de nombreux problèmes avant Christian Dussey. Il a récupéré une organisation en difficulté, les dysfonctionnements ne peuvent pas lui être imputés. Mais le fait est que le SRC n'a pas retrouvé la sérénité sous ses ordres. Il doit être renforcé.
Regrettez-vous que Marc Siegenthaler, suppléant du secrétaire général du Département fédéral de la défense, ne devienne pas le chef du Service de renseignement? Il dirige la restructuration du SRC et connaît parfaitement ses problèmes.
J'espère que Marc Siegenthaler restera au service du DDPS. Grâce à son expérience, ses interventions auprès du SRC ont débouché sur des réformes plus concrètes. J'attends du SRC qu'il devienne plus professionnel et plus efficace. Lors de plusieurs audits, nous avons déploré un manque de connaissances juridiques. Celui qui s'approche d'une ligne rouge a besoin de réponses rapides de la part du service juridique. La gestion du personnel doit également être améliorée. Même si, dans ce domaine, les choses ont évolué. Les nouveaux collaborateurs sont mieux intégrés.
Les demandes du SRC pour une augmentation de son nombre de collaborateurs sont-elles justifiées?
Oui. Si les menaces à l'échelle mondiale augmentent, il faut plus de personnes pour les analyser.
La Suisse est considérée comme un nid d'espions, provenant par exemple de Russie ou de Chine. Le SRC en fait-il trop peu?
Nous nous penchons actuellement sur la question de savoir comment les nouveaux collaborateurs du SRC sont passés au crible. En raison de la forte fluctuation, il y a beaucoup de nouveaux employés et c'est un risque, car les services secrets étrangers pourraient essayer d'infiltrer un agent double au sein du SRC.
Quel conseil donneriez-vous au nouveau directeur du SRC, Serge Bavaud?
Soignez le fonctionnement organisationnel, les gens seront plus satisfaits!
Qu'entendez-vous exactement par là ?
C'est une illusion de croire que tout ira mieux si on va voir les gens pour leur demander ce qu'ils veulent. Le fonctionnement organisationnel doit être efficace, car cela garantit une bonne ambiance, la satisfaction des collaborateurs, l'enthousiasme et la créativité.