La guerre en Ukraine a aggravé l’évolution, déjà tendue, des prix de l’énergie. L’annonce d’éventuelles sanctions énergétiques ou d’interdictions d’importation de gaz russe fait grimper les prix du commerce de record en record.
En Suisse, les questions de l’approvisionnement énergique et de la durabilité sont, en conséquence, de plus en plus intenses. Car miser sur l’indépendance énergique n’a pas seulement des conséquences pour les fournisseurs d’énergie, mais aussi pour les consommateurs. De nombreux propriétaires souhaitent abandonner le gaz et le pétrole et passer à un autre mode de chauffage.
Objectif climatique neutre
La question a aussi été abordée au Conseil national, en mars dernier, dans la foulée de l’invasion russe. «Nous devons développer les énergies renouvelables de toutes nos forces et prévenir le gaspillage d’énergie», a déclaré la ministre de l’Énergie Simonetta Sommaruga.
Selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), l’approvisionnement en chaleur des bâtiments génère aujourd’hui environ un tiers des émissions de CO2 de Suisse. L’idéal serait d’atteindre un bilan neutre en CO2 au cours des prochaines décennies. C’est la seule façon pour la Suisse d’atteindre son objectif climatique de zéro émission nette d’ici 2050.
Des projets de longue haleine
Lorsqu’on parle de production énergétique durable, on pense rapidement à l’eau, au soleil et au vent. Mais il faut souvent attendre très longtemps avant de pouvoir construire de grandes installations éoliennes et hydrauliques. Les associations de protection de la nature et de l’environnement font souvent opposition au projet. Parfois, c’est aussi une question de protection des monuments historiques. Des années s’écoulent souvent avant la réalisation d’un projet.
C’est ce que montre par exemple le cas du parc éolien prévu depuis plus de dix ans à Grenchenberg, à la frontière entre le Jura bernois et le canton de Soleure. En raison de la nidification d’un couple de faucons pèlerins, seules quatre des six éoliennes prévues sur la montagne, sur la localité de Granges, peuvent être construites. C’est ce qu’a décidé le Tribunal fédéral l’année dernière.
De plus en plus populaire en Suisse
L’idée d’utiliser les excédents de chaleur des grandes centrales énergétiques et des usines d’incinération des ordures ménagères pour le chauffage et les besoins en chaleur des lotissements et autres établissements professionnels est de plus en plus attrayante. En Suisse, plus de 1000 réseaux de chaleur fournissent déjà de l’énergie pour le chauffage. Et celui-ci est pauvre en CO2.
Le chauffage à distance est produit dans une installation centrale, par exemple une centrale thermique, une installation d’incinération des déchets ou des copeaux de bois. La chaleur est acheminée vers les clients sous forme d’eau chaude via un réseau de canalisations. L’eau refroidie retourne ensuite à la centrale de chauffage, où elle est à nouveau chauffée. L’ensemble constitue un circuit fermé.
Les bâtiments raccordés au chauffage à distance n’ont plus besoin de chaudières à combustibles fossiles, au mazout ou au gaz naturel. De plus, contrairement à une pompe à chaleur, le raccordement au chauffage à distance ne nécessite pas d’électricité.
Un potentiel pas encore épuisé
Selon les statistiques de l’OFEN, les grands réseaux de chauffage à distance en Suisse ont fourni en 2020 environ six térawattheures (TWh) de chaleur. C’est presque deux fois plus qu’en 1995 (3,3 TWh). Près de 80% de cette énergie provient des rejets thermiques des usines de traitement des ordures ménagères. Pour la même période, l’association Chauffage à distance Suisse fait même état d’environ 8,4 TWh de chaleur transportée vers les utilisateurs de chaleur via tous les types de réseaux thermiques.
A l’avenir, le chauffage à distance permettra de mettre à disposition beaucoup plus d’énergie thermique en Suisse. Différentes études estiment le potentiel de production de chaleur à distance sans CO2 entre 17 et 22 TWh par an.
A titre de comparaison, selon l’Office fédéral de l’énergie, les centrales nucléaires produisent environ 25 TWh d’énergie par an, l’énergie hydraulique environ 37 TWh, le photovoltaïque près de 2 TWh et les éoliennes 0,13 TWh. Toutefois, la production de chaleur ne représente pas la totalité de cette énergie.
Objectif 25% à Zurich
L’extension des réseaux de chauffage à distance est encouragée dans toute la Suisse. A Zurich, par exemple, la ville s’est fixée pour objectif de réduire à zéro les émissions directes de gaz à effet de serre sur son territoire d’ici 2040. En novembre 2021, les électeurs ont clairement dit oui, à près de 84%, à un crédit cadre de 330 millions de francs pour l’extension du chauffage urbain.
La principale source de chaleur pour le chauffage urbain de la ville de Zurich est la chaleur résiduelle de l’usine de traitement des ordures ménagères de Hagenholz, neutre en CO2. C’est là que sont produits les deux tiers de l’eau chaude nécessaire à l’approvisionnement en chauffage urbain.
L’eau chaude est ensuite acheminée vers les immeubles raccordés au chauffage urbain par des canalisations. Le réseau fait 160 kilomètres de long au total. Les besoins en chaleur d’environ 170’000 logements sont couverts, soit environ 16% de la zone d’habitation de la ville. A l’avenir, ce chiffre devrait atteindre 25%.
Près de 200’000 tonnes de CO2 économisées
«L’extension de l’approvisionnement en chauffage à distance devrait permettre d’alimenter 50’000 à 60’000 logements supplémentaires en chauffage à distance», explique Daniel Ponca, chef de projet du chauffage à distance au sein des services de la ville.
Par rapport à une utilisation purement pétrolière, le chauffage urbain permet d’éviter l’émission d’environ 200’000 tonnes de CO2 par an. L’extension du chauffage urbain permettra d’économiser encore 36’000 tonnes de CO2 par an d’ici 2040.
Daniel Ponca affirme que la puissance générée par l’incinération des déchets dans la ville de Zurich correspond à environ 20% de l’énergie produite par la centrale nucléaire de Leibstadt.
Bâle s’y met aussi
Bâle-Ville a également des objectifs ambitieux. Au cours des 15 prochaines années, l’approvisionnement en chaleur doit y être entièrement transformé. Près d’un demi-milliard de francs sont prévus pour l’extension du réseau de chauffage urbain. Chaque année, environ 400 raccordements au chauffage à distance et quatre à cinq kilomètres de réseau devraient ainsi être réalisés. Cette extension permettra de doubler le nombre de bâtiments raccordés, de 6000 à 12’000. Selon les calculs, 70’000 tonnes de CO2 seraient ainsi émises en moins à partir de 2035.
De plus, des projets plus ou moins importants sont également prévus à Berne, Frauenfeld, Winterthour et dans d’autres villes et communes. La sécurité d’approvisionnement est élevée car les sources d’énergie sont disponibles localement.
(Adaptation par Alexandre Cudré)