Une imposture amoureuse, une escroquerie à l’amour, un viol de l’âme... Valérie* et Aurora* peinent à trouver des mots suffisamment percutants pour qualifier l’incroyable et inqualifiable manipulation que leur a fait subir de longs mois durant celui qu’elles croyaient toutes deux être leur fiancé, que nous appellerons Bernard*.
L’objectif de ces deux femmes bafouées n’est pas la vengeance. Non, ce qu’elles veulent, c’est que ce consommateur effréné de femmes ne fasse plus de victimes. En brisant l’omerta, les deux amies espèrent aussi attirer l’attention sur les dégâts provoqués par les pervers narcissiques, une pathologie qu’elles ne connaissent désormais que trop bien (voir encadré).
«C’est une coquille vide, un grand malade, et une sorte de mauvais génie de la manipulation.» Pendant respectivement deux et trois ans, ces deux femmes croyaient vraiment que leur fiancé était fou amoureux et déterminé à fonder une famille. La réalité était tout autre.
Cet homme menait une double, voire triple ou quadruple vie, basée sur le mensonge. L’enquête fouillée de nos deux témoins a mis au jour pas moins de 13 autres femmes, dupées de manière similaire, dont une mineure. La plupart des victimes sont originaires d’Europe du Sud-Est, tout comme leur bourreau. L’homme jouait d’ailleurs de cette proximité culturelle, où la pudeur et la fidélité restent des valeurs cardinales.
Un parfait Don Juan
«Il nous trompait toutes effrontément et dans tous les sens du terme. Pas seulement à la manière d’un mari volage ou d’un libertin, précise Valérie, comptable de profession dans la trentaine. Il se comportait comme un Don Juan et nous mentait en nous laissant croire que c’était un homme droit qui désirait s’engager alors qu’il ne cherchait tout simplement qu’à asseoir son pouvoir au travers de relations sexuelles et de manipulations émotionnelles.»
Son avocate, Me Véronique Fontana, souligne de son côté: «Ce genre de prédateur émotionnel crée une emprise sur ses victimes et génère d’énormes souffrances.»
Flash-back: nous sommes début février 2022. Valérie est approchée par Bernard sur Instagram. «Le feeling passe bien. On a tchatté toute la nuit, puis, quelques semaines plus tard, nous nous sommes vus. Il ne correspondait pas vraiment à mon style, mais les valeurs familiales, de fidélité et religieuses qu’il défendait m’ont plu. Cinq mois plus tard, Bernard m’a déclaré sa flamme et on s’est mis ensemble. Il m’offrait des cadeaux, était attentionné et présent. Il ressemblait à bien des égards à mon homme idéal...»
Les ravages du Love bombing
Sauf que, insidieusement, le trentenaire instaure un contrôle coercitif. Il interdit à sa compagne d’avoir des contacts avec d’autres hommes, s’arroge un droit de regard sur ses habits, l’isole de ses amies et pratique à profusion ce que l’on appelle le love bombing, une technique de manipulation qui consiste à souffler le chaud et le froid et parfois, lorsque la rupture se fait sentir, à verser quelques larmes.
Valérie est une femme éduquée, bien dans sa peau et ayant du caractère, mais elle perd sa confiance en elle et sa joie de vivre au contact de Bernard. Leur histoire durera trois ans, dont deux au cours desquels Bernard mènera en parallèle une autre relation avec Aurora.
Pour cette séduisante professionnelle de la santé, dans la vingtaine, bien dans ses baskets, la virginité avant le mariage est un prérequis culturel et religieux indiscutable. Bernard, voulant la mettre dans son lit, dit qu’il la considère comme sa fiancée. Mais il ne parvient pas à la convaincre de coucher avec lui, alors il la rabaisse et lui parle de son poids... Elle aussi a rencontré Bernard sur Instagram en février 2023.
Avec elle aussi, il avait pris le temps de tisser sa toile, se calant habilement sur ses attentes de fidélité et d’engagement sérieux, durable et romantique, avant de jouer les amoureux fougueux. «Il m’envoyait des mots doux et des photos de lui avec sa nièce, à la mosquée ou dans un appartement qu’il visitait pour après notre mariage. J’étais sur un petit nuage. J’avais l’impression d’avoir rencontré l’homme que j’avais cherché toute ma vie...»
Un «outing» qui le secoue
Mais Valérie découvre des messages d’Aurora sur le natel de Bernard. Ce dernier nie cependant avec des mensonges si bien construits que la jeune femme finit par le croire. Valérie enregistre tout de même les coordonnées de sa rivale potentielle... En parallèle, le temps fait son œuvre.
Lassé de sa chasteté persistante, à l’orée de leurs fiançailles que la famille d’Aurora avait déjà commencé à organiser, Bernard la quitte. «En réalité, comme je l’ai appris plus tard, il était fiancé à une troisième fille, que sa famille, qui n’avait jamais entendu parler de moi, approuvait. Je me suis sentie si humiliée. Tout le monde croyait qu’on allait se marier, et lui qui me faisait culpabiliser de ne pas m’être donnée à lui...» résume Aurora.
Finalement, Aurora et Valérie se contactent et reconstituent ensemble patiemment le double jeu de leur partenaire en retrouvant de vieux messages WhatsApp et des photos datées. Elles montent un dossier bien ficelé qui, en 20 pages de faits et de documents, lève le voile sur les agissements de Bernard. En mars 2025, ce document est distribué en une dizaine d’exemplaires au fitness et à la mosquée qu'il fréquente, mais aussi à son travail, car elles craignent de ne pas être les seules victimes.
L'accusé porte plainte
Paniqué, le trentenaire porte plainte illico pour diffamation, atteinte illicite à ses droits de la personnalité et atteinte à l’honneur. Contacté, son avocat, Me Benjamin Schwab, nous a répondu ne pas être en mesure de parler de cette affaire à ce stade. En août, Valérie, de son côté, dépose plainte pour lésions corporelles graves et contraintes sexuelles.
«L’exemple de Bernard* relève du cas tristement classique de manipulation égocentrique et de manipulation perverse, à savoir que le manipulateur tire un avantage de l’autre pour nourrir ses besoins et tente délibérément de lui nuire pour pouvoir maintenir son pouvoir», vulgarise Christel Chappatte. La quadragénaire est la fondatrice d’Au-delà des masques. C’est par cette association romande de lutte contre les violences perverses, fondée en 2016 et basée à Tavannes (Jura bernois), qu’Aurora* et Valérie* ont transité pour se reconstruire. La spécialiste souligne que ce type de violence passe sous les radars, car il ne correspond pas à nos préjugés sur la violence. «Il concerne souvent des gens éduqués, et touche indistinctement hommes et femmes côté victime comme côté bourreau.
C’est un ensemble de comportements visant à prendre le pouvoir sur l’autre, pas à pas, de manière détournée et sur la durée, mais qui malheureusement ne correspondent pas à des infractions pénales spécifiques.» Notons d’ailleurs qu’en mars dernier la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD) avait demandé au Conseil fédéral d’inscrire la notion de «contrôle coercitif» dans le Code pénal et le Code civil suisses, mais que cela avait finalement été refusé. Depuis 2018, en revanche, la Suisse reconnaît les violences psychologiques, via la Convention d’Istanbul, que bien peu d’avocats cependant connaissent et mettent en avant.
Selon Christel Chappatte, la personne manipulatrice s’adapte aux failles spécifiques de sa victime, «laquelle est généralement une personne avec de la ressource, que l’on peut vampiriser». «Pour cela, elle adopte quatre sortes de comportement: la victimisation, la culpabilisation, l’intimidation et la séduction. La personne manipulatrice est généralement enfermée dans un mécanisme de déni. Souffrant d’un trouble d’ordre narcissique, ces gens sont incapables de reconnaître quoi que ce soit, ni de modifier leurs agissements. Mais ce sont aussi des personnes très rusées et dotées d’une grande sensibilité à l’autre.» Pour se libérer de leur emprise, il faut prendre pleinement conscience de leurs manœuvres, sortir de la honte, de l’isolement et de l’ambivalence vis-à-vis d’eux et trancher le lien le plus complètement possible, avec l’aide d’un professionnel de la santé mentale si besoin.
«L’exemple de Bernard* relève du cas tristement classique de manipulation égocentrique et de manipulation perverse, à savoir que le manipulateur tire un avantage de l’autre pour nourrir ses besoins et tente délibérément de lui nuire pour pouvoir maintenir son pouvoir», vulgarise Christel Chappatte. La quadragénaire est la fondatrice d’Au-delà des masques. C’est par cette association romande de lutte contre les violences perverses, fondée en 2016 et basée à Tavannes (Jura bernois), qu’Aurora* et Valérie* ont transité pour se reconstruire. La spécialiste souligne que ce type de violence passe sous les radars, car il ne correspond pas à nos préjugés sur la violence. «Il concerne souvent des gens éduqués, et touche indistinctement hommes et femmes côté victime comme côté bourreau.
C’est un ensemble de comportements visant à prendre le pouvoir sur l’autre, pas à pas, de manière détournée et sur la durée, mais qui malheureusement ne correspondent pas à des infractions pénales spécifiques.» Notons d’ailleurs qu’en mars dernier la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD) avait demandé au Conseil fédéral d’inscrire la notion de «contrôle coercitif» dans le Code pénal et le Code civil suisses, mais que cela avait finalement été refusé. Depuis 2018, en revanche, la Suisse reconnaît les violences psychologiques, via la Convention d’Istanbul, que bien peu d’avocats cependant connaissent et mettent en avant.
Selon Christel Chappatte, la personne manipulatrice s’adapte aux failles spécifiques de sa victime, «laquelle est généralement une personne avec de la ressource, que l’on peut vampiriser». «Pour cela, elle adopte quatre sortes de comportement: la victimisation, la culpabilisation, l’intimidation et la séduction. La personne manipulatrice est généralement enfermée dans un mécanisme de déni. Souffrant d’un trouble d’ordre narcissique, ces gens sont incapables de reconnaître quoi que ce soit, ni de modifier leurs agissements. Mais ce sont aussi des personnes très rusées et dotées d’une grande sensibilité à l’autre.» Pour se libérer de leur emprise, il faut prendre pleinement conscience de leurs manœuvres, sortir de la honte, de l’isolement et de l’ambivalence vis-à-vis d’eux et trancher le lien le plus complètement possible, avec l’aide d’un professionnel de la santé mentale si besoin.
Au final, les deux victimes restent convaincues d’une chose: «Bernard faisait semblant d’être amoureux pour jouir de sa puissance sur nous et se nourrir de notre attention comme un vampire. Au fond, c’est un homme malade, même si cela n’excuse en rien ses agissements... Notre plus grand souhait est que notre témoignage aide d’autres femmes à démasquer les sales types dans son genre, en espérant aussi qu’il réalise au passage le mal qu’il a fait!»
* Noms connus de la rédaction.
Cet article a été publié initialement dans le n°42 de «L'illustré», paru en kiosque le 16 octobre 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°42 de «L'illustré», paru en kiosque le 16 octobre 2025.