Des locaux flambant neufs à la route de Chavannes, des éducatrices recrutées et formées, des familles prêtes à y inscrire leur progéniture: tout était en place pour accueillir les 51 enfants d’une crèche de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM). Pourtant, le 18 septembre, à seulement douze jours de l’ouverture prévue, la nouvelle est tombée: le Centre de vie enfantine (CVE) Petit Monde ne verra pas le jour. Une information confirmée par Erich Dürst, le directeur de l’institution, dans un entretien accordé au quotidien «24 heures», le 2 octobre.
Quarante familles se retrouvent privées de solution de garde, dont quinze avaient déjà une place dans la halte-garderie transitoire ouverte cet été. Sept collaboratrices ont été licenciées.
Pour le Syndicat des services publics Vaud (SSP), qui avait appelé à un rassemblement lundi 3 novembre devant les locaux du centre, cette décision «incompréhensible et irresponsable» relève du «gâchis humain, éducatif et économique».
«Ce projet était prêt, financé, validé. Il visait à libérer du temps pour les mères hébergées par l’EVAM engagées dans un parcours d’insertion professionnelle, tout en favorisant la socialisation précoce des enfants», explique Letizia Pizzolato, secrétaire syndicale du SSP. «Aujourd’hui, deux millions de francs (1,2 million selon l’EVAM) ont été investis pour des locaux vides et pour une facture qui devra être payée par la collectivité.»
Un projet gelé
Le CVE Petit Monde devait accueillir 51 enfants, 25 issus de familles bénéficiaires de l’EVAM et le reste issu de familles habitant le quartier. L’initiative avait obtenu toutes les autorisations nécessaires ainsi que les subventions de la Fondation pour l'accueil de jour des enfants (FAJE) et de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), selon le communiqué de presse du SSP.
Dans une prise de position le Département de l'économie, de l'innovation, de l'emploi et du patrimoine (DEIEP) rappelle que le projet, lancé à l’automne 2022, «avait pour but de faciliter l’intégration des familles migrantes en leur offrant un accès à des places d’accueil pour leurs enfants, condition essentielle à leur insertion professionnelle».
Or, trois ans plus tard, alors que l’ouverture de la crèche était imminente, le Service de la population (SPOP) alerte la cheffe du département, Isabelle Moret, «sur un modèle économique nettement plus déficitaire que prévu», indique un communicant du DEIEP. Le DEIEP apprend que le Service de la petite enfance (SPE) de la Ville de Lausanne a refusé de financer, via le Réseau-L, la moitié des places prévues, soit celles destinées à des enfants hors EVAM. Raison invoquée: la localisation du futur centre, jugée trop éloignée du centre-ville, ne permettait pas, selon le SPE, de garantir un taux d’occupation suffisant.
Quand le refus du Réseau-L a-t-il été formulé? Le flou persiste. Le DEIEP renvoie la balle à l’EVAM, qui évoque « des échanges tout au long de l’élaboration du projet », sans indiquer à quel moment la décision est intervenue.
Conséquence de cet imbroglio administratif: la conseillère d’Etat ordonne «à regret» le gel du projet.
Une décision incompréhensible pour le SSP. «La pénurie de place d’accueil frappe durement les familles dans le canton. On manque de places de crèche. La localisation n’a rien d’excentré, et le projet avait obtenu toutes les validations nécessaires. Si des ajustements financiers étaient requis, il fallait les signaler bien avant, pas à douze jours de l’ouverture», déplore Letizia Pizzolato.
Interrogé sur cette décision à quelques jours de l’inauguration, l’EVAM répond qu’il ne disposait «pas des garanties nécessaires pour en assurer la viabilité», malgré les 1,2 million déjà investis.
Argent public gaspillé
L’affaire a pris une tournure politique. Le député Hadrien Buclin (Ensemble à gauche) a déposé une question au Grand Conseil vaudois le 7 octobre, demandant «Comment le Conseil d’Etat justifie-t-il un tel fiasco?»
«Nous sommes face à une très mauvaise gestion de l’argent public», dénonce le membre de la Commission des finances. «Tout avait été aménagé, les locaux étaient prêts, et des éducatrices ont été licenciées à quelques jours de l’ouverture. Je suis extrêmement choqué.»
Pour la députée verte Sylvie Podio, cosignataire du texte, «engager une telle somme, puis tout arrêter du jour au lendemain, n’est pas acceptable. On peut s’interroger sur la manière dont le Conseil d’Etat planifie et organise ses décisions.»
Economies sur le dos des plus vulnérables?
Cette polémique intervient dans un contexte de rigueur budgétaire. Le canton anticipe pour 2026 un déficit de 331 millions de francs et prévoit 305 millions d’économies, notamment dans l’action sociale (46 Mio), la santé (24), les hautes écoles (22), les transports publics (10), l’accueil de jour des enfants (10) et l’asile (20).
Pour Hadrien Buclin, cette affaire illustre une tendance qu'il qualifie d'inquiétante: «Les coupes budgétaires touchent particulièrement les populations vulnérables. On a parfois l’impression que, dans les réflexions du Conseil d’Etat, on peut taper sur les requérants d’asile, comme si de toute façon, ils n’avaient pas de poids électoral. Cette manière de s’en prendre aux plus vulnérables me révolte.»
Toujours selon le député, «cette situation découle directement de choix politiques en matière fiscale. Les baisses d’impôts en faveur des plus aisés se paient aujourd’hui sur le dos des plus précarisés». Et de tacler au passage la communication du gouvernement: «Je trouve aussi étrange que le Conseil d’Etat rejette la responsabilité sur l’EVAM, alors que le volet budgétaire ne relève pas de l'institution. On a l’impression d’une volonté de se défausser, alors que la responsabilité politique se situe clairement au niveau du Conseil d’Etat.»
Face à la polémique, la conseillère d’Etat Isabelle Moret s’est dite favorable à la réalisation d’un audit indépendant et transparent sur la gestion du dossier. Du côté de l’EVAM, on assure explorer «plusieurs pistes, y compris un redimensionnement du projet pour qu’il soit viable».