«Laisser-faire» sur le campus?
Le salut nazi d'un étudiant met le feu à la faculté de médecine de l'Université de Lausanne

Auteur d'un salut nazi, un étudiant a présenté ses excuses et assuré que cela ne représentait pas ses convictions. Mais l'affaire agite les esprits, sur fond de montée des extrêmes droites et d'une situation géopolitique explosive qui secoue aussi les universités.
Publié: 12:00 heures
1/2
Le 20 février 2025, un étudiant en médecine fait un salut nazi sur une photo de groupe.
Photo: renverse.co
Camille Krafft_Blick_DSC_1396 (1) copie.JPG
Camille KrafftJournaliste Blick RP

La photographie a été prise le 20 février, dernier jour de cours pour les étudiants en cinquième année de médecine à l’Université de Lausanne (UNIL). Devant un bâtiment de la rue César-Roux, au centre-ville, ils posent en mode joyeux lurons, lunettes de ski sur la tête et bouteille de champagne au premier plan. Alors que beaucoup lèvent une main en l’air, l’un d’entre eux (en vert) oriente son bras d’une manière qui laisse peu de place au doute: c’est un salut nazi, un geste que le principal intéressé n’a, semble-t-il, pas cherché à nier. 

Selon le directeur de l’Ecole de médecine de Lausanne Pierre-Alexandre Bart, joint par téléphone, l’étudiant en question a expliqué avoir agi sous le coup de «l'émulation de la toute fin des cours en auditoire». Il a présenté ses excuses à ses camarades dans la foulée de son geste, qu’il a qualifié d’«inacceptable» et sans lien avec ses convictions ni aucune idéologie. 

Mais sur fond de montée des extrêmes droites au niveau international et de situation géopolitique explosive, l’affaire pouvait difficilement en rester là. D’autant plus que la faculté de médecine de l’UNIL s’était déjà illustrée en 2019 lorsque quatre étudiants s’étaient grimés en «Africains» (blackface), suscitant des réactions scandalisées. 

«Laisser-faire» dénoncé

Sous le titre «Un salut nazi passé sous silence à l’Université de Lausanne», le site d'information collectif d'extrême gauche renverse.co dénonce, dans un post publié le 6 mai, le «laisser-faire» de l’alma mater, jugé «inacceptable dans le contexte actuel marqué par une augmentation des incidents et agressions racistes en Suisse comme ailleurs.» 

Regrettant que «les membres de la communauté universitaire impliqué–es dans le mouvement de solidarité envers le peuple palestinien subissent sévèrement la répression» au contraire de l’auteur du salut nazi, les militants de renverse.co jugent l’Université «complaisante envers l’extrême droite décomplexée». En effet, l'auteur du salut nazi n'a toujours pas été sanctionné à ce jour.

Contactée, la Direction de l’UNIL estime quant à elle que «le Décanat de la faculté de biologie et de médecine et la Direction de l’Ecole de médecine ont réagi de manière appropriée pour ce qui relève de leurs compétences en affirmant nos valeurs en rencontrant les personnes concernées par cette situation.»

«Banalisation de l'extrême droite»

Le geste de l’étudiant est en effet rapidement remonté jusqu’aux responsables en question. Une semaine après l’incident, l’Association des étudiantes en médecine de Lausanne (AEML), qui se décrit comme politiquement et religieusement indépendante, a fait suivre à la Direction de l'Ecole de médecine une prise de position non signée dénonçant «la banalisation de l’extrême droite, en médecine, comme ailleurs». L'association est composée d'hommes et de femmes mais utilise le féminin générique dans ses statuts pour promouvoir l'égalité des sexes et des genres.

Les auteures du texte se décrivaient comme «de futur·e·x·s soignant·e·x·s» préoccupées par «le démantèlement des solidarités» induit par la montée en puissance de l’extrême droite et «toutes les formes d’oppression qu’elle amplifie». Elles relevaient «les récentes attaques par Donald Trump contre le monde de la recherche académique et contre le système de santé américain et mondial». 

Relations entre médecine et fascisme

Rappelant que «plusieurs exemples historiques illustrent le soutien et la participation de médecins à des régimes fascistes et nazis», la missive demandait notamment à l’UNIL et à la Faculté de biologie et de médecine d’organiser un cours sur les relations entre fascisme et médecine dans une perspective historique. Par ailleurs, ses auteures exhortaient l’alma mater à soutenir la mise sur pied d’une «conférence publique, organisée par les étudiant·x·e·s, sur les liens entre fascisme et médecine». Quelque 400 étudiants auraient soutenu la démarche.

Le directeur de l’Ecole de médecine, Pierre-Alexandre Bart, a répondu par retour de mail le 10 mars, explique-t-il, en indiquant notamment qu'il désapprouvait «totalement ce geste inacceptable.» Il a ensuite rencontré des représentantes des étudiantes le 22 avril. «C’est une période très chargée pour la Direction de l'Ecole de médecine. Par ailleurs, je ne pouvais pas répondre de manière épidermique à une affaire aussi délicate. Une analyse détaillée s'imposait», indique le professeur.

«
Je n’ai jamais connu une époque aussi agitée au niveau géopolitique et sociétal. Je comprends que cela puisse déstabiliser les étudiants
Pierre-Alexandre Bart, directeur de l'Ecole de médecine de l'Université de Lausanne
»

La demande d’organiser une conférence publique n’a par contre pas été retenue. «L’idée n’est pas mauvaise, mais nous craignions ainsi de mettre de l’huile sur le feu en cette période agitée», relève Pierre-Alexandre Bart. Afin de tout de même «transformer ce geste inadmissible en une opportunité de rediscuter de liens entre la médecine, le fascisme et le nazisme», il indique avoir contacté Ralf J. Jox, directeur de l’Institut des humanités en médecine, pour organiser une intervention sur cette problématique sous un angle historique et éthique. 

«Je suis très sensible à cette thématique, d’autant plus que le monde commémore cette année les 80 ans de la libération d’Auschwitz», relève Pierre-Alexandre Bart. Le directeur de l’Ecole de médecine ajoute: «Je n’ai jamais connu une époque aussi agitée au niveau géopolitique et sociétal. Je comprends que cela puisse déstabiliser les étudiants.» 

En attente d'une sanction?

Quant à l’auteur du salut nazi, il attend toujours une éventuelle sanction. Pierre-Alexandre Bart et le vice-doyen de la Faculté de biologie et de médecine, Patrick Bodenmann, ont rencontré le 29 avril cet étudiant, qui ne s'était jamais fait remarquer jusque-là, assurent-ils. «Nous avons passé une heure avec lui», raconte Pierre-Alexandre Bart. «Nous avons été sévères, parce que nous voulions marquer le coup. Il semblait très, très affecté – ce qui n’excuse en rien son geste.» 

Ni la faculté, ni l'Ecole de médecine ne pouvant prendre directement de sanctions, l’affaire a été annoncée officieusement le 9 mai et transmise officiellement en début de semaine au vice-recteur de l’Université de Lausanne en charge de l’enseignement, le professeur Giorgio Zanetti. Le conseil de discipline de l’alma mater pourrait être mobilisé, avec à la clé, des sanctions comme un avertissement, une suspension ou une exclusion. 

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la