«200 francs ce serait la fin»
Les employés de la RTS bravent le règlement pour sauver la redevance à 335 fr

Si la redevance TV passe de 335 à 200 francs ce 8 mars, «ce sera la fin de la RTS» met en garde un collectif de collaborateurs. Ils estiment que la direction de la RTS est «inaudible» et espèrent qu'elle intensifiera sa campagne. Leur message se veut «complémentaire»
Publié: 15:36 heures
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Dernière mise à jour: il y a 3 minutes
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Les productions romandes pourraient être centralisées à Zurich, et on aurait des contenus alémaniques sous-titrés en français, anticipe Alexandre Madrigali.
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Myret ZakiJournaliste Blick

Le sort de la Radio Télévison Suisse (RTS) va se jouer d'ici quatre mois, le 8 mars 2026, quand les Suisses voteront sur l’initiative de l'UDC, «200 francs, ça suffit !». Celle-ci veut ramener la redevance radio-TV de 335 frs à 200 francs.

A l'interne, l'angoisse est montée d'un cran depuis que les employés ont appris la date de la votation. Certains d'entre eux se mobilisent, pour la première fois, afin de mener campagne contre l'initiative. Ce jeudi, deux journalistes de la RTS, ainsi qu'une réalisatrice et un monteur ont rencontré les médias à Genève. 

La direction ne les ayant pas autorisés à mener campagne publiquement, ils se présentent à titre anonyme. A leurs côtés: Alexandre Madrigali, technicien à la RTS, seul habilité à s'exprimer à visage découvert en sa qualité de président du Syndicat suisse des médias (SSM) Genève.

Des moyens coupés en deux

«Depuis des années, constate-t-il, le service public audiovisuel subit des attaques. L’initiative dite «200 francs, ça suffit!» entend diviser par deux le budget de la SSR». La réalisatrice présente parmi le collectif ajoute: «Toutes les grosses émissions auxquelles le public est habitué, comme «Temps Présent», «A Bon Entendeur» ou «Passe-moi les jumelles», s'arrêteraient, faute de moyens». En général, le collectif estime que le sabordage des moyens mettrait fin à la pluralité, à la représentation des régions et des minorités, ainsi qu'au soutien à la culture, au sport, et à la libre formation de l’opinion. 

«La fin de la RTS»

«Disons clairement les choses: si la redevance passe à 200 francs, ce sera la fin de la RTS, a renchéri Valérie Perrin, secrétaire régionale du SSM. La direction l'a communiqué au personnel en ces termes à plusieurs reprises».

Les collègues sont tous d'accord: oui, l'initiative crée un risque majeur pour l'existence même du service public. Ils citent les effets délétères que l'initiative cause déjà à la qualité des productions et au climat de travail interne, par l'intimidation, la peur et l'autocensure qu'elle provoque, avant même d'être votée. 

Pour faire passer son message, le collectif a rédigé, au nom de quelques dizaines de collaborateurs, un manifeste appelant les Suisses à rejeter l'initiative à 200 francs. Ces prochains temps, l'engagement de ces employés prendra d'autres formes, comme des événements de campagne, même si la direction n'autorise pas cette démarche. «Peut-être que nous prenons un risque professionnel, mais si l'initiative passe, nous serons fichus de toute façon», estime une journaliste. 

Une direction tenue à la réserve

En réalité, une telle campagne parallèle, qui donne la parole aux employés, qui «prennent la responsabilité de nommer certaines choses que la direction ne peut pas nommer», n'est pas sans servir les buts de la direction. Celle-ci, astreinte à une neutralité journalistique quant au traitement des votations en général et de cette initiative en particulier, n’a pas le droit de mener de campagne politique ou d’utiliser les ondes de la SSR aux fins d'influencer le vote. 

On se souvient que durant la campagne No Billag, Gilles Marchand, alors directeur de la RTS, avait fait l'exercice délicat de donner son opinion au Télé-journal de la RTS. Son successeur, Pascal Crittin, a respecté, jusqu'à cette étape de la campagne contre l'initiative à 200 francs, une certaine réserve, celle qu'aujourd'hui même ses employés lui reprochent. 

S'ils ne sont pas venus pour «casser du sucre sur le dos de la direction», ces derniers estiment en effet que la direction est restée «assez inaudible» jusqu'ici et qu'elle est «prise dans un jeu politique». Une employée résume: «On se sent un peu seuls, parce qu'il n'y a pas beaucoup de monde qui nous défend à ce stade». Aujourd'hui, les membres du collectif disent mener une campagne «complémentaire» à celle de la direction, qu'ils espèrent néanmoins vivement voir monter en puissance ces prochains jours. 

Attaque idéologique

Le message central du manifeste des employés: l'initiative 200 francs n'a rien de technique. «Il s'agit d'une attaque idéologique d'une extrême-droite qui vise les droits démocratiques dans lequel s'inscrit le journalisme, analyse un employé, comme en témoigne l'évolution aux Etats-Unis, par exemple.» 

Il rappelle qu'à deux reprises déjà, en 2015 et en 2018, la population a plébiscité un service public fort. «Alors que 71% de la population a montré son attachement à un service de qualité en 2018, nous sommes en permanence en mesures d'économies». 

Face aux «procès en gauchisme» réguliers, le journaliste juge que ces attaques reposent sur des arguments non étayés, les opposants n'ayant jamais réussi à établir que le service public était biaisé. En outre, l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) n’a jamais sanctionné la RTS pour partialité politique systématique.

Fin de la diffusion à Genève?

Alexandre Madrigali évoque les conséquences sonnantes et trébuchantes qui guettent le service public, même si le chiffrage précis des dégâts est difficile: la SSR devra biffer 3000 postes directs, et autant de postes indirects. 

Les productions romandes pourraient être centralisées à Zurich, la diffusion pourrait s'arrêter à Genève. On pourrait se retrouver avec des contenus alémaniques sous-titrés en français. Il resterait peut-être un bureau à Lausanne qui s'occuperait de l'actualité. La couverture des régions périphériques, de même que la production culturelle, seraient quant à elles touchées de plein fouet. 

Tout cela s'ajouterait à un plan d'économies déjà drastique de 100 millions de francs prévu jusqu'en 2029, qui prévoit de supprimer 300 postes à la RTS d'ici 2029, et 1000 pour la SSR. Cela se traduira par des licenciements collectifs chaque année d'ici là.

Des «sceaux de merde»

Le pronostic des employés pour la votation du 8 mars? «Ce n'est pas gagné, souligne Alexandre Madrigali. Cette initiative est plus vicieuse que les précédentes, car on offre aux gens d'économiser 165 francs. C'est aussi pourquoi on prend la parole aujourd'hui alors que nous ne l'avons pas fait pour No Billag. Une chose est sûre, conclut-il: on va prendre des sceaux de merde sur la tête en permanence, nous les employés du service public, et il va falloir se battre. Vous pouvez me citer là-dessus.» 

Même si l'initiative était rejetée le 8 mars, le conseiller fédéral UDC Albert Rösti, par voie d’ordonnance, a imposé une baisse de la redevance de 335 à 300 francs d’ici à 2029, occasionnant une perte totale de 270 millions pour la SSR.

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