Depuis plusieurs mois, des assurés qui ont cotisé des années ne sont plus remboursés pour leurs hospitalisations en divisions privées et semi-privées dans plusieurs cliniques genevoises. Cette affaire qu'a suivie Blick est due aux désaccords entre médecins indépendants et assureurs au sujet des couvertures complémentaires. Les assurés se retrouvent désormais pris en otage.
Dans ce contexte, le Conseiller d'Etat Pierre Maudet a pris l'initiative, à la demande des cliniques privées, de réunir ces acteurs. Les négociations, démarrées le 31 mars, se poursuivent d'heure en heure. Objectif du Ministre de la santé: arriver à un accord sur une grille tarifaire entre médecins, assureurs et cliniques. Sans quoi, il voit un risque de report de patients sur les hôpitaux publics, déjà surchargés.
Pour l'heure, le dialogue est difficile, comme l'a expliqué Pierre Maudet mardi sur Léman Bleu. Les médecins indépendants ont proposé un modèle tarifaire appelé «Atypik». Swica, Groupe Mutuel et Assura y seraient ouverts, contrairement à Helsana. De son côté, CSS y serait disposé mais pas pour toutes ses prestations. Blick fait le point avec Pierre Maudet.
A ce jour, est-ce que votre médiation est un succès?
Pierre Maudet: C'est un premier pas. On partait d’une situation dans laquelle les acteurs de la santé ne se parlaient plus. On les a réunis, on a restauré le dialogue et à ce stade on a déjà réussi deux choses. Les médecins ont établi un modèle («Atypik») qui donne davantage de transparence sur leur activité privée. Ce n’est pas rien de la part d’une profession très attachée à son indépendance. La faîtière des assurances a reconnu les progrès de ce modèle, une partie des assureurs l’a déjà accepté et les autres se disent prêts à l’examiner.
Ce modèle «Atypik» n'est donc pas accepté par tous?
Non, et c’est bien cela qui prend du temps. Même si la faîtière des assurances reconnaît les progrès du modèle proposé par l’Association des médecins genevois (AMGe), chaque assureur veut garder la possibilité de l’examiner et le valider. Je plaide pour ma part pour l'ouverture à un deuxième modèle transitoire, déjà reconnu par les assureurs, pour couvrir une part beaucoup plus large d'assurés.
Les patients concernés savent-ils à ce jour s'ils seront remboursés?
Les patients sont pris en otage. Ils ne savent pas si leurs frais seront remboursés, alors que de leur côté, ils remplissent leur part du contrat en continuant de cotiser chaque mois auprès d’assurances complémentaires qui ne remplissent plus leurs promesses.
Pourquoi est-ce si compliqué de trouver un accord entre médecins et assurances?
S’agissant de l’assurance complémentaire, ce qui est en jeu est d’une part l’indépendance des médecins genevois qui refusent un modèle de salarié des cliniques privées, et d’autre part la tarification de certains actes médicaux, jugée excessive par les assureurs. L’AMGe a affirmé que les tarifications selon les modèles existants et validés impliquerait des diminutions de 20 à 40%.
Avez-vous constaté que les médecins surfacturent réellement, ou quelques moutons noirs sont-ils pris comme «norme» par les assureurs?
Il n'est pas question de désigner des moutons noirs mais de faire preuve de transparence. C'est aussi comme ça qu'on construit la confiance dans le système de santé. Entre une opération facturée à l’Assurance obligatoire des soins (AOS) et le même geste réalisé en «privé», la facture peut passer du simple au double ou au triple, voire plus. Comment le justifier? Il était nécessaire de reconsidérer la manière de facturer des médecins, et de séparer les actes imputables aux assurances complémentaires de ceux à l'AOS.
Qu'est-ce qui bloque du côté des assureurs?
Les assurances sentent bien que la majorité politique au niveau national penche en leur faveur, comme le vote visant à augmenter la franchise l’a prouvé. Ici, elles avancent la crainte de la validation par la FINMA, mais on peut s’interroger sur les raisons de fond de cette prudence extrême. Difficile de comprendre cette attitude qui nuit grandement au système dans son ensemble et aux patients assurés en complémentaire en premier lieu.
Est-ce que les cliniques sont d’accord entre elles ou est-ce qu’il y a des désaccords entre Hirslanden et les autres?
Je n’ai pas d’informations en ce sens.
Et si un accord est trouvé, les Genevois ayant des complémentaires vont-ils être remboursés normalement?
Il faut être clair: malheureusement pas. Pour ceux qui sont assurés chez Assura, le Groupe Mutuel et Swica, oui. Pour les autres, tout dépend de la décision que prendra chaque assureur. La difficulté est que les assureurs ne peuvent pas parler d'une seule voix.
Combien de Genevois ne sont toujours pas remboursés par leur complémentaire?
Des milliers, mais on ne sait pas exactement combien, car on se situe dans le champ des contrats privés, sans entremise de l'Etat. C'est paradoxal dans la mesure où les acteurs privés me demandent en même temps d'intervenir comme médiateur. J'ai relancé du reste un nouveau round de négociations. En effet, on ne peut absolument pas se satisfaire du statu quo qui touche durement une classe moyenne déjà mise sous pression. Ce qui est certain, c'est que chaque Genevois non remboursé fera un assuré mécontent de plus… et probablement un partisan de plus pour l'expérience de la caisse publique.