La scène aurait tapé dans l’œil de la caméra de TF1. Et Tao, 10 ans à peine, le sait. Le môme interpelle d’ailleurs Dimitri Nassisi, le photographe de ce reportage: «Si jamais, il est en train de faire sa crise!» Damian, sept ans, hurle et larmoie parce qu’il «déteste la plage».
Ce 3 août, à l’heure du coucher du soleil à Koh Samui, leur mère – visage et corps sculptés pour les réseaux sociaux – le console. Leur père – les abdos désormais attaqués par la quarantaine bronzée – attendra le marché de nuit avant d’exploser. Vous voulez du drama? Vous êtes au bon endroit.
Les deux frères ont grandi dans un écran plat. Depuis 2021, avec leurs vieux, les deux têtes blondes font partie des coqueluches de l’émission populaire «Mamans et célèbres» sur TFX. Sarah est directrice RH pour un magnat de l’immobilier avant d’être influenceuse. Benjamin Machet est une grande gueule star de la télé-réalité (vainqueur de «La Belle et ses princes presque charmants» en 2012, vu dans «Les Anges» saisons 5 et 6, et plus encore).
Près de 550’000 personnes les suivent sur Instagram. Impossible de se balader à Festi’Neuch ou Marseille sans se faire remarquer.
Deux semaines luxueuses au Vietnam gratuites
Après deux semaines de vadrouille luxueuse au Vietnam, la tribu du bout du Léman est arrivée sur la mythique île thaïlandaise et ses airs de Rimini le 2 août. Ce mois, la Suissesse indique cumuler 10 millions de vues sur la plateforme de Mark Zuckerberg. Mais que se cache-t-il derrière les filtres et les faux cils? Quelles sommes? Quels privilèges? Quelle réalité familiale? Quelles réflexions sur le surtourisme ou l’écologie?
Durant 24 heures, Blick a pu tout entendre, tout écouter, interroger, observer pour immortaliser la vie de cette joyeuse équipe. Attachante, simple, authentique, souvent loin des clichés. Au menu: gros sous, confidences funèbres, deuils en cours, pleurs, rires, punchlines, selfies, scooter, teints halés et insectes avalés.
Plongeon rafraîchissant. Une piscine émeraude. Hoppérienne, comme la villa livide et sa gigantesque baie vitrée. Ses rideaux strient le carrelage du salon-cuisine ouverte quand les UV les giflent. 1200 francs pour huit nuits dans cette maison de trois chambres. «Le Vietnam – beaux hôtels, chauffeurs privés, guides et vols compris – ne nous a rien coûté: on est partis avec Circuits du Monde, qui a tout organisé pour nous, gratuitement.»
Huit jours de tournage, un gros salaire suisse
«Ils voulaient même nous payer, surenchérit son… chéri. Mais on a refusé, on aurait eu l’impression de les voler.» En échange, Sarah – surtout – et son mec («nous vivons dans le péché, nous ne sommes pas mariés») partagent leurs aventures en ligne, en mentionnant parfois l’agence romande, dont les publications n’engrangent habituellement pas plus de quelques dizaines de «j’aime». Avec les Machet, c’est entre 5000 et près de 9000 «likes»!
«J’ai un poste à responsabilités à 100%. Le reste, c’est un à-côté, de l’argent de poche – jamais moins de 1500 francs par mois, avoue la native de Puerto Escondido, au Mexique. J’ai le luxe de pouvoir dire non. Shein (ndlr: site chinois de fast fashion controversé) m’a contactée pour la troisième fois. La proposition? 4000 francs pour trois Stories. J’ai refusé parce qu’éthiquement, je ne suis pas OK avec ce qu’ils font, avec leur façon de traiter leurs employés.»
Ces derniers temps, à part un partenariat avec une clinique en Turquie, lui n’est plus très actif. Parce que ça le «gave» et parce que le restaurant de smash burgers pour lequel il donne tout, Stack’em, en face du Jet d’eau, fonctionne bien.
Et le petit écran alors? «Les tournages sont en pause depuis fin 2024. On nous a promis qu’ils reprendraient. Le groupe M6/W9 nous a aussi approchés. On a renoncé: avec nos boulots, ç’aurait été trop compliqué.» Quatre week-ends de tournage pour «Mamans & Célèbres», c’est «un gros salaire suisse». De l’ordre de 10’000 francs? «A peu près, oui.»
«Bonjour les amis, alors aujourd’hui…»
Première mise en scène suggérée pour le shooting: une partie de UNO. «Non, allez, on joue au ‘tas de merde’.» Les frangins ont parlé. La quadra en profite pour poser son iPhone sur un petit trépied portable, histoire de filmer en accéléré. Du contenu à diffuser plus tard. Rebelote pour la séance au bord de la piscine, puis dedans. Moi, je tiens le flash.
Direction la mer en scooter, avec un casque, pour l’objectif. Le convoi est retardé par la perte de la tong du cadet sur la route. La binationale a déjà le pouce sur l’écran de son natel. Très vite, les garçons volent dans les airs. Benjamin est une bonne catapulte. Plouf. Complicité heureuse. Moi, j’ai de l’eau jusqu’au slip. Je tiens toujours le flash.
Comme chaque jour, Sarah empoigne trois minutes de ses longs ongles pour narrer sa journée face cam. Un journal de bord filmé pour ces fans. «Bonjour les amis, alors aujourd’hui…» Une prise suffit. Après la crise de nerfs du petit, maman et premier fils «bitchent» gentiment sur le second. «C’est une terreur, plaisante son sourire dans sa robe neigeuse. Il va finir chef de gang!»
«J’ai plus faim. Ils m’ont saoulé, là»
Au marché de nuit de Si Khao, l’ex-sportif s’apprête à perdre son appétit. Mais d’abord des insectes grillés, sous l’impulsion de Thomas, son beauf en visite de Londres. Soudain, une chamaillerie, des ciclées. C’est la goutte. Intervention paternelle. «Damian m’a marché sur le pied, je lui ai remarché sur le pied et c’est moi qui me fais punir», quinte son aîné.
Son géniteur ventile sur un banc, à distance respectable. «J’ai plus faim. Ils m’ont saoulé, là.» Quelques minutes plus tard, le boute-en-train est redescendu dans les tours. «Ouais, ils sont relous tous les jours, c’est des gamins, quoi.» Soupir taquin, affectif. Quelques instants plus tard: «Je ne sais pas ce que je bouffe, mais c’est bon!»
Demain, l’ex-aspirant mannequin reviendra sur cette soirée gastronomique: «Le Mandarin Oriental, c’est le même partout, mais manger des couilles de buffles dans la rue…» Précision: c’est de la rhétorique et personne n’a mangé des testicules d’origine bovine. De la langue, oui.
Benjamin tire le portrait de sa bonne amie pendant qu’elle croque. Elle sait exactement comment faire pour que l’image soit glamour. Une pub pour du chocolat, avec une brochette de crevettes.
Suicide assisté et assassinat
L’atmosphère s’assombrit. «Ma grand-mère de 96 ans était tout pour moi. Après une chute, elle habitait chez nous. Et elle a décidé de faire appel à Exit en septembre. Ça m’a brisée de vivre ces derniers instants en connaissant la date et l’heure de son futur trépas. Elle est partie dans mes bras, appuyée sur mon épaule. En attendant que la police arrive, j’ai dû rester dans cette position. Le suicide assisté lui a offert une mort digne, chez elle, mais j’étais au fond du trou pendant des mois après ça. Pour ne rien arranger, une amie a perdu son fils de 18 ans dans un accident de moto ensuite et on a appris après que ma mère est atteinte d’un cancer…» Très subtil tremblement dans la voix.
D’autres blessures peinent à cicatriser. «Son papa s’est fait dead quand elle était petite», balance Tao. «Oui, il s’est fait assassiner au Mexique, où j’ai grandi. J’avais sept ans.» Il évoluait «dans des sphères illicites», me confiera-t-elle plus tard.
Retour à la baraque après un arrêt glaces au 7-Eleven, chaîne de supermarchés japonaise iconique qui submerge la Thaïlande. Sarah dépend le linge. Son bien-aimé vient l’aider. 22h30. Sur une chaise-longue, elle prend une demi-heure pour poster ses Stories.
«J’aime raconter ce que je vis. Un nombre impressionnant de gens me remercient de les faire voyager. D’autres me demandent des conseils sur les destinations, les activités, comment gérer les enfants.» Extinction des feux en approche. Les pourparlers pour dormir avec la daronne ou le daron sont lancés. «Depuis le début des vacances, on n'a pas dormi une seule nuit dans le même lit avec Ben…»
«Je voyais ça plus sauvage»
8h30 le lendemain matin. La maison se réveille. Damian est dans le canapé avec Benjamin, au calme. Sa dulcinée se lève. Tao dort encore. La nuit s’est passée comme les précédentes. «J’avais pensé aller voir les éléphants dans un sanctuaire, mais c’est impossible de s’assurer que leur bien-être est garanti, donc je renonce», tranche la Sud-Américaine. Pour aujourd’hui, ce sera massage et baignade.
Adultes cette fois sans casque, «c’est la Thaïlande». Chaweng Beach est difficile d’accès. Entre la rue et la mer, des hôtels ou des clubs, alignés sur des kilomètres, les accès publics sont rares, les parkings payants – plus de deux francs par scooter dans le cas présent, soit le prix d’un repas bon marché. «Je voyais ça plus sauvage, quand même», regrette celle qui était une anonyme avant sa rencontre avec l’ex-basketteur pro.
«Si j’allais en Afghanistan ou en Arabie Saoudite…»
Tu te sens responsable du surtourisme? «Tu vois, en février, on a sorti notre guide destiné aux familles de la classe moyenne (ndlr: «Nos road trips au Mexique», éditions Blacklephant, en rupture de stock), amorce cette ancienne hôtesse de l’air dans les jets privés. Je suis toujours tiraillée: je veux dire aux gens de venir voir la beauté de mon pays de leurs propres yeux, et en même temps, je veux tout garder pour moi, parce que je n’ai pas envie de voir ces endroits flingués par la malbouffe des fast-foods ou des Marriott!»
Conclusion? «Je dirai toujours aux gens de partir parce que ça ouvre l’esprit, d’emmener leurs gosses, les confronter à la réalité parfois dure de ce monde inégalitaire, mais de le faire de manière consciencieuse, dans le respect des populations locales, des modes de vie, de la vie sauvage. Si j’allais en Afghanistan ou en Arabie Saoudite, je ne m’habillerais pas comme le restant du temps dans ma life!»
Ici, le sable est d’un blanc suprémaciste. Lunettes noires pour lui résister. Chaleur démentielle, soleil au zénith, pas d’ombre. Lagon bleu turquoise, très peu profond. Trépied posé. Tout le monde à l’eau avec le ballon tout juste acheté, ça tourne!
Endettée, elle se met en scène dans les palaces
Et si tout ça, les spotlights, le succès sur le web, disparaissait demain? «Je n’en dépends de toute façon pas, balaie la femme d’affaires. En fin d’année dernière, j’ai pu faire une pause quand j’étais mal. Les réseaux, c’est emprisonnant, tu passes vite à côté de ta vie. Une de nos connaissances, endettée jusqu’au cou, se met quand même en scène dans les palaces et les endroits huppés tous les jours.»
Que conseiller aux jeunes qui rêvent d’être youtubeurs ou tiktokeuses? «On peut d’abord les questionner, avance le Français. ‘Comment tu vas faire pour sortir du lot parmi les millions qui veulent faire comme toi?’ Souligner que c’est du travail, qu’il faut filmer des heures, savoir faire du montage… Aux nôtres, on leur dit: ‘Tu fais de la télé, mais t’es personne’. Je ne me suis jamais pris pour un autre, jamais. Mes parents m’auraient renié.»
La cadre supérieure veut montrer l’exemple: «Dans la vraie vie, des fois, on n’a pas envie d’aller au taf, mais on y va». «A mes followeuses, je leur dis d’étudier, je ne veux pas croire que les prochaines générations sont vouées à percer sur internet ou à l’échec. Je le vois: des jeunes filles idolâtrent des gonzesses qui leur font croire qu’elles gagnent beaucoup d’argent en testant des crèmes Lancôme alors que c’est faux. En vrai, derrière, elles vendent des nudes sur des sites pour adultes. Donc tu veux leur vie glamour, mais à quel prix?»
«J’ai d’ailleurs vendu une image de mon anus pour 20’000 francs tout à l’heure», charrie le grand tatoué. L’aubergiste garantit que, pour l’instant, aucun de leurs bambins ne se destinent à une carrière d’influenceurs. Vérifions. Tao, tu veux faire quoi plus tard? «Footballeur!» Et toi, Damian? «Youtubeur!» Mais non!? «C’est vrai, jure son reuf. Depuis toujours, il veut faire des pièces secrètes.» Une sorte de partie de cache-cache sophistiquée et filmée, qui implique des constructions en trompe-l'œil.
«Peut-être qu’en pétant j’émets plus de CO2 qu’un long-courrier»
Repas de midi. Brise politique sur curry rouge de canard et pizza au chocolat. Les manifs pro-Palestine avec la marmaille. La rage de Benjamin contre les mots «antisémite», «complotiste», «climatosceptique».
Rage parfois rieuse qui résonne avec celle – distillée après le petit-déjeuner – contre «les Jeff Bezos et autres qui envoient des fusées toutes les deux secondes dans l’espace, qui vendent des avions pour faire la guerre et qui sont dérangés par les émissions CO2 de ceux qui partent en vacances une fois par an avec Bangkok Airways à huit pour 400 francs. D’ailleurs, je n’ai jamais vu d’étude, mais peut-être qu’en pétant toute l’année j’émets plus de gaz à effet de serre qu’un long-courrier, parce que je pète beaucoup!»
L’heure du massage thaï, de fermer les yeux, de laisser les deux anges dans la piscine avec leurs nouveaux potes et de se taire. Après la Thaïlande, escale à Dubaï – «pas une destination que nous voulions faire de base, mais ça coupe le trajet de retour». Atterrissage à Genève le dimanche de la rentrée scolaire. «Ça te va ce qu’on t’a dit, t’as eu ce que tu voulais?»