Malgré une décision du Tribunal fédéral
A Genève, les taxis relancent l'offensive pour bannir Uber

Alors que le Tribunal fédéral (TF) donne raison à l’Etat de Genève en encadrant l’activité des chauffeurs Uber, Taxiphone réclame leur interdiction immédiate.
Publié: 23.05.2025 à 08:00 heures
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Dernière mise à jour: 23.05.2025 à 11:23 heures
En 2015, les chauffeurs de taxis protestaient déjà contre Uber, bloquant le trafic lors d'une manifestation au pont du Mont-Blanc.
Photo: Keystone
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Le couperet est tombé. Dans un arrêt très attendu, le Tribunal fédéral (TF) confirme que les chauffeurs VTC travaillant avec Uber doivent être soumis à la loi sur le service de l’emploi et la location de services (LSE). Une décision qui donne raison à l'Etat de Genève.

Mais cette décision, saluée par les autorités, n'a pas été lue de la même manière par les taxis genevois. Ils y voient une occasion de porter un coup décisif à leur éternel rival. A la manœuvre, l’avocat de Taxiphone, Jacques Roulet, rompu aux joutes juridiques autour du transport de personnes.

Tirer la prise d'Uber

Selon lui, l’arrêt du Tribunal fédéral ne laisse plus aucune marge d’interprétation: les autorités doivent immédiatement faire cesser l’activité d’Uber B.V. et de ses partenaires à Genève. Il accuse Uber d’exploiter un montage illégal qui n’a pour but que de se soustraire au droit du travail.

Dans sa lecture, Uber B.V., société néerlandaise, reste le véritable employeur des chauffeurs, et non Uber Switzerland GmbH. Cette société étrangère louerait donc du personnel à la société partenaire, MITC Mobility, basée à Genève.

L'avocat de Taxiphone s’appuie par ailleurs sur le fait que la justice considère désormais Uber non comme une simple application technologique, mais comme une véritable entreprise de transport. Or, Uber B.V. n’est pas autorisée à exercer à Genève, ayant son siège à l'étranger.

Dédommagement pour les taxis

Il affirme aussi que les chauffeurs employés par MITC Mobility sont rémunérés uniquement pour le temps d'une course, ce qui ne remplit pas les conditions du salaire minimum, estime Me Roulet. Enfin, selon lui, tant que MITC ne dispose pas de l’autorisation prévue par la LSE, elle ne devrait tout simplement pas avoir le droit de continuer ses activités. En clair: Uber et ses relais genevois doivent être mis à l’arrêt.

Dans une lettre adressée aux autorités, Taxiphone appelle à un passage à l’acte immédiat. Et si le Canton ne bouge pas, la société se réserve le droit de réclamer des compensations financières pour la concurrence déloyale qu’elle estime subir depuis des années.

«Il faut préserver l'emploi»

«
Il s’agit de préserver l’emploi tout en exigeant une mise en conformité avec la loi
Delphine Bachmann, ministre genevoise de l'Economie
»

La ministre de l'Economie, Delphine Bachmann, a réagi à ces arguments pour Blick. «Dans le cadre de la procédure de recours, la cour cantonale et le TF ont octroyé à MITC l’effet suspensif, donc le droit de continuer à exercer durant la procédure de recours, explique l'élue du Centre. Le fait d’octroyer à MITC un délai raisonnable pour déposer sa demande d’autorisation s’inscrit dans la même logique.»

A Genève, plus de 600 chauffeurs sont concernés par cette décision de justice, dont environ 180 travaillent pour MITC. «En fait, tant les instances judiciaires que l’administration cantonale sont tenues par le principe de la proportionnalité, poursuite la conseillère d'Etat. Il s’agit de préserver l’emploi tout en exigeant une mise en conformité avec la loi dans un délai raisonnable. Nous avions octroyé ce même délai pour les livreurs de repas.»

Le département de l'Economie (DEE) de Delphine Bachmann a donc accueilli l'arrêt du TF avec soulagement. Depuis deux ans, il s'emploie à réguler le marché des VTC, pour voiture de transport avec chauffeur. Il s'agit maintenant pour MITC Mobility de garantir des contrats de travail écrits, des horaires planifiés, et la rémunération des temps d’attente, des jours fériés ou du travail dominical.

Ce que dit réellement l’arrêt

L’arrêt du Tribunal fédéral confirme une décision prise par le DEE en 2022, puis validée en 2024 par la Chambre administrative de la Cour de justice genevoise. MITC Mobility, qui contestait son assujettissement à la LSE, se voit définitivement déboutée. Cette loi impose un encadrement strict aux entreprises de location de services: pour obtenir l’autorisation d’exercer, il faut non seulement respecter les normes du droit du travail, mais aussi offrir de véritables garanties aux employés, notamment en matière de planification des horaires, de couverture sociale, et de transparence contractuelle.

Delphine Bachmann se félicite d’une décision qui, selon elle, «va enfin permettre d’apporter de la lisibilité à un secteur en mutation», tout en rappelant que la liberté d’entreprendre ne dispense en aucun cas de respecter le cadre légal. A ses yeux, l’arrêt du TF vient poser les fondations d’une concurrence plus juste, où tous les acteurs, taxis ou VTC, sont soumis aux mêmes règles.

Aucune interruption d'Uber à Genève

MITC Mobility, de son côté, a communiqué dans l'après-midi. Elle ne fait pas dans le sentimental, prenant acte de la décision de la haute cour. L'entreprise de transport va engager les démarches pour se conformer aux exigences de la LSE.

Elle affirme qu’il n’y aura aucune interruption de service, car elle respecte déjà une grande partie des obligations imposées, comme les contrats écrits, l’inscription au registre du commerce ou les assurances sociales. MITC souligne seulement que le modèle de l’économie de plateforme exige de la souplesse, et appelle à un dialogue avec les autorités pour trouver un compromis entre flexibilité et protection sociale des travailleurs.

Bataille loin d'être terminée

Cet arrêt intervient alors qu’Uber vient de fêter ses dix ans de présence à Genève. Une décennie marquée par les conflits, les recours, les manifestations, les blocages… et même une interdiction temporaire en juin 2022, à la suite d’un autre arrêt du Tribunal fédéral. A l’époque, la société avait annoncé qu’elle ne voulait pas assumer le rôle d’employeur. C’est ainsi que sont nées des structures intermédiaires comme MITC ou Chaskis Ride, censées permettre à Uber de continuer à opérer sans contrevenir aux lois suisses.

Plusieurs cantons observent de près ce qui se passe à Genève, notamment Vaud, dans l’optique d’étendre cette jurisprudence à d’autres pans de l’économie de plateforme, notamment les livreurs à vélo. Et l'arrêt de jeudi servira de jurisprudence. Mais à Genève, la bataille entre Uber et les taxis est loin d’être terminée.

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