Comment prouver où l'on habite quand on dort dans la rue? A quoi bon réserver des locaux d'injection aux Vaudois si ceux qui vivent dehors, ici, ne peuvent pas y entrer? Et que devient celui qui, en proie à un besoin urgent de consommer, se fait refouler?
La nouvelle stratégie drogue de la Ville de Lausanne, dévoilée ce mardi, soulève des questions brûlantes. Dès 2026, les deux espaces de consommation sécurisés (ECS) de la ville – Riponne et Vallon – seront interdits aux personnes domiciliées à l'extérieur du canton de Vaud.
Une carte, liée à un document d’identité avec photo, sera exigée à l’entrée. Valable six mois, elle devra être présentée aux agents d’accueil et de sécurité, employés par la Ville. Elle ne pourra pas être échangée.
Un accès restreint, sauf exceptions
Comment les usagers sans domicile fixe navigueront ces nouveaux critères? Trois «régimes d’exception» sont prévus. Les consommateurs pourront être autorisés à entrer s’ils disposent d’un suivi dans le réseau de soins lausannois. Cela peut signifier le CHUV, son Service de médecine des addictions, ou Polaad, la policlinique du Service de médecine des addictions, notamment.
Autre dérogation possible, le statut de «personne mobile» ou de passage. Il s'agit ici de personnes dont la situation sans domicile fixe nécessite un accès de courte durée à un ECS, selon la police.
Enfin, si le cas particulier d'une personne non-Vaudoise est remontée en cellule de coordination, qui rassemble le Service de médecine des addictions, le médecin cantonal, la police, les partenaires sur le terrain et le dispositif addiction de la Ville. Un membre de cette formation peut décider qu'un accès à un ECS doit être fourni, au cas par cas.
Consommateurs en détresse
En cas de refus d'accès, l’usager sera réorienté «via un dispositif non-contraignant, mobilisant l'accord des personnes usagères», écrit la Ville. L'idée est ainsi de renforcer le dialogue et d'accompagner les personnes dans le réseau socio-sanitaire vaudois – principalement la médecine des addictions. Les équipes sur place orienteront aussi les usagers vers les nombreux lieux qui proposent des services gratuits et sans critères d'admission, comme des hébergements, des centres de soins ou d'hygiène.
Mais dans les faits, qu’adviendra-t-il lorsqu’un consommateur en détresse n’aura pas la bonne carte prouvant son attache cantonale? Le risque de renforcer la grogne des voisins et des commerçants, surtout à la Riponne, ne pend-il pas au nez de la Municipalité?
Un filtrage inédit et une présence policière renforcée
La réponse, cette fois, est à chercher du côté sécuritaire. Car ce filtrage à l'entrée s’accompagnera d’un renforcement du dispositif sécuritaire.
Dès le 17 novembre, quatre policiers en binôme seront déployés 24h/24 autour de la Riponne, soit vingt postes à temps plein, pour sécuriser le périmètre. De quoi rassurer riverains et commerçants face à la consommation à ciel ouvert et à la crise du crack.
Les non-Vaudois: une minorité
Les chiffres sont ici cruciaux pour évaluer la pertinence de ces critères à l'entrée. Officiellement, seuls 6,3% des usagers de l’ECS Riponne venaient d’un autre canton en février 2025, conclut un rapport d’Unisanté.
Et pour inclure dans ces statistiques les personnes sans domicile fixe, Unisanté a également déterminé le lieu où les consommateurs ont passé leurs 30 dernières nuits, avant une visite au centre d'injection. Résultat: 88,9% des utilisateurs de l'ECS-Vallon dormaient dans la grande région de Lausanne. C'est également le cas de 62,5% des utilisateurs de l'ECS-Riponne. Le tout, en date de février dernier. Des chiffres qui démontrent qu'avec ou sans domicile fixe, les usagers des locaux d'injection sont majoritairement établis dans le canton.
Fait intéressant: si la proportion de personnes d'origine étrangère reste majoritaire parmi les consommateurs, elle diminue. A l'ECS-Vallon, elle est passée de 85,7% en août 2024 à 65,2% en février 2025.