Depuis 2011, la Libye ne s’est pas relevée de l’intervention de l’OTAN et de l’effondrement du régime Kadafi, qui avait régné 40 ans sur le pays d’une main de fer. A l’époque, à la suite de l’assassinat du dictateur libyen, aucune transition stable n’avait été mise en place.
Si bien que, dans ce pays riche en pétrole, la dictature a cédé la place à bientôt deux décennies de chaos. Ecartelé entre deux gouvernements concurrents, le pays du Maghreb est en proie à la loi des milices armées, et il est régulièrement le théâtre de violences, assassinats politiques, enlèvements et sabotages. En sous-marin, Russie, Turquie, Emirats, Qatar ou Egypte profitent du chaos pour jouer de leurs influences.
Un pays divisé en deux
Les deux gouvernements qui co-existent en Libye ne se reconnaissent pas entre eux. A l'ouest (Tripoli) se trouve le Gouvernement d’unité nationale, reconnu par l’ONU, et dirigé par Abdelhamid Dbeibah. Ce dernier est réputé proche de la Turquie du président Erdogan.
A l'est (Benghazi) siège un gouvernement parallèle, soutenu par le Parlement basé à Tobrouk, avec à sa tête le général Khalifa Haftar. Ce dernier est quant à lui réputé proche de la Russie de Poutine. Problème: en raison des ingérences des différentes puissances et de l’absence de consensus sur une nouvelle Constitution, l’ONU n’a toujours pas réussi à organiser des élections nationales unifiées.
Le règne des milices
Pour ne rien arranger, les armes prolifèrent en Libye depuis la chute du régime Kadafi. Les stocks de l’armée libyenne avaient été pillés. Aujourd’hui, en l’absence d’Etat centralisé capable de contrôler ou désarmer, des zones entières du pays sont sous contrôle de milices ou d’armées privées, qui imposent leur loi dans plusieurs régions.
Dans la capitale Tripoli, les affrontements entre groupes armés rivaux sont fréquents. On trouve également des groupes armés étrangers et des mercenaires, parmi lesquels des forces turques, russes (groupe Wagner), et d’autres acteurs, qui sont toujours sur place, malgré des appels au retrait.
Corruption record
Sans surprise, la Libye figure parmi les pires élèves du monde en matière de corruption, se classant 173e sur 180 pays dans l’indice de Transparency International. Dans ce pays où les trois quarts des recettes viennent du pétrole, l’argent de cette manne est largement détourné, distribué de manière clientéliste et exploité à des fins de corruption.
Les revenus atterrissent notamment dans les mains de milices qui contrôlent les terminaux pétroliers, de groupes armés intégrés officiellement dans les structures de sécurité, mais opérant en toute autonomie, ou de fonctionnaires fantômes. Par ailleurs, un trafic régional de pétrole libyen bon marché (car subventionné) s’oriente vers la Tunisie, le Niger, le Tchad ou Malte, générant des profits pour des réseaux criminels et des responsables corrompus.
Enfin, la Banque centrale libyenne est souvent accusée de favoriser certaines factions, ce qui alimente la colère des autres. Au final, malgré les milliards tirés du pétrole, les investissements publics restent faibles et le pays se retrouve dépendant d’une économie de rente opaque et mal diversifiée.
Trafic d’êtres humains
Le même vide institutionnel qui fait prospérer les groupes armés et les réseaux criminels favorise le trafic de migrants et la traite d’êtres humains. Au point que ce dernier est devenu une source de revenus majeure pour certaines factions libyennes. Il faut se rappeler que la Libye est un pays de transit incontournable pour les migrants venant d’Afrique subsaharienne, du Sahel, d’Egypte et du Moyen-Orient, dont beaucoup espèrent traverser la Méditerranée pour atteindre l’Europe via l’Italie.
En Libye, des migrants sont souvent capturés par des groupes armés ou des trafiquants peu après leur arrivée. Certains sont arrêtés sous prétexte de contrôle des frontières puis revendus à des groupes criminels. Ils peuvent alors se retrouver enfermés dans des centres de détention illégaux, où ils subissent des violences, sont torturés, et leurs familles sont contactées pour payer des rançons. Les survivants rapportent des cas de travail forcé, d'esclavage sexuel et de vente aux enchères.
L’ONU peu efficace
L’ONU essaie de réunifier le pays, mais les blocages internes brident son action. Les défis sont immenses pour les Nations Unies: réussir à organiser des élections présidentielles et parlementaires libres et acceptées par tous; démanteler les milices, puis les intégrer à une armée nationale unifiée. Mais aussi: éradiquer les réseaux de traite d'êtres humains et obtenir le départ définitif des milices non libyennes. L’espoir, pour le pays, est qu’une gouvernance crédible amène un jour les réformes économiques nécessaires et mette fin à la corruption généralisée, en commençant par une redistribution équitable des revenus pétroliers.