On le sait, un cycliste ivre risque de perdre son permis de conduire. Mais ce que beaucoup ignorent, c’est que cela peut aussi arriver à pied… ou même chez soi.
L’idée que «ça ne peut pas m’arriver» est trompeuse. Une chute sur la voie publique, un état d’ivresse à pied, un message inquiétant, un colis suspect ou une dénonciation anonyme peuvent suffire. Si une personne est soupçonnée de consommer de l’alcool ou de la drogue, ou encore d’avoir des troubles psychiques ou physiques – y compris liés à l’âge – elle peut rapidement être convoquée pour des tests d’aptitude à la conduite, qui coûtent des milliers de francs.
Une dénonciation anonyme suffit
En théorie, les autorités doivent disposer de «doutes fondés» quant à l’aptitude à conduire. Mais dans la pratique, les cas douteux s’accumulent. Une femme du canton d’Argovie, en état d’ébriété, a envoyé un message évoquant des pensées suicidaires à une amie. Cette dernière a alerté la police. Bien qu’elle n’ait jamais voulu mettre fin à ses jours, la conductrice a reçu un courrier du service des automobiles lui imposant un examen. Ce n’est qu’au Tribunal fédéral que la procédure a été stoppée.
Un homme domicilié à Bâle-Campagne et sans antécédents, a été convoqué pour un examen psychologique après que les douanes ont intercepté un paquet contenant des graines de chanvre. Le «Tages-Anzeiger» évoque quant à lui une Zurichoise dénoncée anonymement pour une prétendue consommation de drogue. Elle a dû passer un test, alors même qu’elle n’avait aucun antécédent.
Même sans retrait immédiat du permis, la procédure peut devenir un cauchemar administratif et financier. Selon l’Office de la circulation routière du canton de Zurich, un test psychologique coûte entre 900 et 1200 francs, tandis qu’un examen médical peut atteindre 1500 francs. Il arrive que les deux soient exigés et sont à payer d’avance. Si des analyses d’urine ou de cheveux s’ajoutent, la facture grimpe facilement à plusieurs milliers de francs. Et très peu de personnes contestent devant le Tribunal fédéral, tant les frais de justice sont élevés.
Les autorités font-elles de l'excès de zèle?
Il est compréhensible qu’une personne ayant des antécédents d’alcool au volant doive se soumettre à un examen. Si, par ailleurs, vous ne semblez pas suffisamment ivre et que votre taux d'alcoolémie est très élevé, on peut alors suspecter un problème de dépendance.
Mais là aussi, le Tribunal fédéral estime que certaines autorités exagèrent. En Argovie, un homme qui s’était cassé la cheville en marchant, avec un taux d’alcoolémie de 2,3 pour mille, a été convoqué pour un test de 1000 francs. Motif: il avait conduit en état d’ivresse plus de six ans auparavant. La plus haute instance judiciaire du pays a annulé cette décision.
Dans certains cas, les personnes sanctionnées ne conduisaient même pas. Dans le canton de Saint-Gall, une femme a dû consulter un spécialiste après avoir été impliquée, à pied, dans un accident avec 3 pour mille d’alcool dans le sang. Toujours à Saint-Gall, un homme a été surpris en train de consommer de la cocaïne alors qu’il était passager dans une voiture stationnée. Il a perdu son permis pour six mois. Le Tribunal fédéral lui a finalement donné raison: sa capacité à conduire n’aurait pas dû être remise en question.
Une logique inversée douteuse
Pourquoi ces mesures sont-elles permises? Parce qu’il ne s’agit pas d’une procédure pénale, mais administrative. Les autorités n'ont donc pas à prouver la culpabilité, mais l'innocence des personnes concernées.
Le durcissement date en grande partie de l’entrée en vigueur de la loi Via Sicura en 2013. Dans un objectif de sécurité routière, les autorités ont adopté des pratiques beaucoup plus strictes.
Le sujet reste d’actualité. Entre 2015 (80'200 retraits de permis) et 2022 (79'300), les chiffres sont restés globalement stables, à l’exception d’une légère baisse durant les années de pandémie. Même stabilité pour les examens psychologiques liés à la circulation, qui étaient 4400 en 2015 contre 4300 en 2022.