Blick vient de célébrer son premier anniversaire en terres romandes. L'heure de (prudemment, mais courageusement) contacter le big boss pour avoir son avis sur notre aventure un peu folle. Le boss en question? C'est Marc Walder, 56 ans, CEO de Ringier, entreprise familiale suisse présente dans 20 pays. Bien plus qu'un éditeur, Ringier possède tout de même 100 marques de médias dont... Blick. Je vois que vous me suivez parfaitement.
Avant d'être un grand patron, Marc est un journaliste. Et il l'est resté, ce qui est suffisamment rare pour être relevé. Et ce qui justifie largement qu'on le questionne sur ce métier passionnant. Parfois adulé, parfois décrié. Vous voulez savoir ce que le CEO pense des médias? Ceux qui l'impressionnent le plus? Pourquoi il est fan du métavers? Et où Ringier — qui a investi 2 milliards de francs sous sa direction — arrêtera d'investir? C'est parti! Attention spoiler, la réponse à la dernière question est: «Jamais».
Marc Walder, ma première question sera très directe, comme notre média les aime: pourquoi avoir attendu 62 ans avant de lancer Blick, ce phare du journalisme, en Suisse romande?
C'est une bonne question. Je dirais que nous avons constaté à quel point la marque Blick est devenue puissante dans le monde digital. Sur le Laptop, l'IPad, le smartphone: Blick est aujourd'hui plus fort, plus grand, plus recherché, plus attractif et pertinent qu'il ne l'a jamais été de toute son histoire, surtout lorsqu'il n'existait que sur papier. Forts de ce constat, nous nous sommes enfin lancés en Suisse romande, le 1er juin 2021.
Blick raconte en effet l’actualité aux Romandes et aux Romands depuis un an. Quelles sont les trois choses que vous avez apprises de cette aventure chez les Welsches?
Ma fille Coralie a 24 ans. Elle vit avec sa mère Anita à Lausanne et elle étudie à Genève. Les Welsches, comme vous dites, font partie de ma famille et j'aime profondément la Suisse romande. Pour beaucoup de raisons.
Mais alors, qu'avez-vous appris avec le lancement de Blick chez nous?
Les trois choses que j'ai apprises et qui me viennent à l'esprit? Les Romands sont jeunes dans leur tête. Les Romands sont super créatifs. Et les Romands sont 'fun' et ont du 'fun'.
Qu’est-ce que Blick Romandie a accompli en un an et où doit-il encore progresser?
Blick Romandie a extrêmement bien démarré. Nous sommes très satisfaits. Nous avons atteint nos buts, mais nous devons encore croître. Devenir plus forts. Devenir incontournables.
Blick Romandie a été annoncé par la direction du groupe comme un hub d’innovation. Parce que nous étions un nouvel acteur sur le marché romand, que nous étions un pure player et une petite équipe, donc forcément agile. Quelles initiatives ont inspiré le grand frère alémanique?
Blick Romandie est particulièrement fort en matière de «storytelling» visuel et multimédia. Vous êtes également forts en matière de newsletter. Et personnellement, j'aime également beaucoup la rubrique 'High Five' (ndlr: Marc Walder fait référence à l'instantané de l'actu disponible sur notre site — mais pas encore sur notre application).
En parlant d’innovation, quels médias hors du groupe Ringier vous impressionnent le plus et pourquoi?
Je vous donne volontiers trois exemples. Le «New York Times» pour la qualité du journalisme. Pas seulement dans la politique et l'économie, mais également au sein des rubriques santé, style, food ou voyage que je trouve géniales. Je citerai ensuite «Handelsblatt», en Allemagne, qui possède la meilleure newsletter matinale. Et enfin «The Information», pour la qualité impressionnante de son journalisme autour de l'industrie de la tech'.
Lors de la récente conférence annuelle de Ringier, on a fait connaissance avec votre avatar dans le métavers. Pensez-vous vraiment que ça sera le «next big thing»?
Mais oui, ça ne fait aucun doute. Aujourd'hui, nous consommons de l'internet sur un écran plat, plus ou moins grand. La réalité augmentée, la réalité virtuelle et les transactions basées sur la blockchain vont rendre internet beaucoup plus captivant et excitant. Dans l'industrie des jeux vidéos, du gaming, c'est déjà la réalité. D'autres utilisations vont suivre très rapidement.
Ne craignez-vous pas que la société entre dans une forme de résistance face à la dématérialisation de nos existences?
Non. D'ailleurs, le problème n'est pas «monde digital contre monde réel», car la solution est «monde digital ET monde réel».
Au-delà de ce que peut amener le métavers sur le plan du business et des places de marché (Marketplace), quelles opportunités l’existence du métavers offre-t-elle au journalisme?
Grâce au métavers, je peux visiter un appartement virtuellement à Genève, alors que je suis à Yverdon. C'est simplement génial. Cela permettra avec certitude aux contenus des médias — que ce soit des news, du sport ou du divertissement — d'être consommés de manière encore plus attractive, où que l'on se trouve.
Si l’on revient aux fondamentaux du journalisme, de quelles qualités les médias devront-ils faire preuve pour continuer à trouver leur audience à l’avenir? Quels sont leurs principaux défis?
Les êtres humains, les citoyennes et les citoyennes sont de manière générale assaillis par les news, mais ils sont sous-informés (ndlr: Marc Walder utilise la formule «'overnewsed' but 'underinformed'»). Les marques de médias doivent être crédibles, intelligentes et divertissantes. Elles doivent permettre de comprendre. Le monde est compliqué et il va le devenir encore davantage.
Qu’est-ce qui vous rend confiant pour l’avenir d’une marque de média comme Blick?
Blick fait tout ce que je viens de citer. Par ailleurs, Blick n'a jamais eu une telle audience de toute son histoire, de même qu'il n'a jamais eu autant de place dans la vie des citoyennes et des citoyens.
Quelle est la force de Blick par rapport à ses concurrents?
Blick est rapide, intelligent, divertissant, pertinent et fort.
Vous êtes entrés dans la maison Ringier alors que vous aviez 26 ans. Vous avez commencé par un stage de journaliste. Trente ans plus tard, vous êtes au sommet de l’entreprise. C’est quoi la recette de votre succès?
Avoir du plaisir, voire s'amuser. Vouloir apprendre chaque jour quelque chose de nouveau.
Vous étiez un espoir du tennis suisse. Est-ce que vous trouvez encore le temps de jouer?
Non. Des balles, j'en ai assez fait passer par dessus le filet pendant 20 ans. Actuellement, chaque matin à 6h, je fais 50 minutes de fitness. C'est le rendez-vous le plus important dans ma journée.
Est-ce qu’on a encore ce qu’on peut appeler du «temps libre», quand on occupe un poste comme le vôtre?
Peu, pour être honnête. Mais quand il m'arrive d'en avoir, je vais au match de foot pour voir Saint-Gall ou je vais boire un verre de vin avec des amis.
Vous êtes désormais lié à Ringier dont vous détenez des parts. Où voulez-vous amener cette entreprise dans 10 ans?
Quinze ans en arrière, Ringier n'était encore qu'un éditeur. La maison possédait 120 magazines et journaux, ainsi que des imprimeries dans 12 pays. Depuis, nous nous sommes largement diversifiés. Nous possédons encore 100 marques de médias, mais également 60 places de marchés digitales (emploi, immobilier, voiture) et nous sommes actifs dans le ticketing, la radio et le e-commerce, tout cela dans 20 pays.
Et la suite, alors?
Dans dix ans, nous serons encore considérablement plus grands. Mais toujours une entreprise familiale, précisément de la sixième génération. C'est une formidable histoire entrepreneuriale de notre pays.
Sous votre gouvernance, la famille Ringier a investi des sommes considérables ces dix dernières années pour transformer l’entreprise en profondeur. Deux milliards de francs pour être concret. Pourra-t-elle continuer à investir à l’avenir?
La famille Ringier est une famille d'entrepreneurs comme il n'en existe plus beaucoup dans cette dimension. La famille Ringier va donc continuer à investir. Et son entreprise continuera de se développer.