«Le temps est venu de revenir à un journalisme véridique!»
Quels sont ces canaux qui diffusent des fake news en Suisse?

La désinformation n'est pas l'apanage des Russes. En Suisse aussi, il existe de nombreuses plateformes «d'information» diffusant fake news et propagande d'extrême droite. Mais qui se cachent derrière ces articles sans fondement?
Publié: 19.04.2025 à 18:57 heures
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Dernière mise à jour: 19.04.2025 à 22:35 heures
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De nombreux médias dits alternatifs se définissent comme des portails apportant «la vraie vérité». (Image prétexte)
Photo: Shutterstock
Alexander Lüthi
Alexander Lüthi

«Des fils mystérieux dans les prés et dans les champs!» Cette information a circulé sur la toile il y a quelques semaines et a été Diffusée par HOCH2, un média dit alternatif situé à Niederbipp, dans le canton de Berne, plus précisément dans l'arrondissement administratif de Haute-Argovie. D'après ce portail à la déontologie plus que douteuse, ces «fils mystérieux» auraient empoisonné la population rurale suisse et l'auraient poussée vers les villes.

Grâce à une recherche de Fairmedia, une association indépendante qui s'engage contre la désinformation, il est apparu assez rapidement qu'il s'agissait d'une fausse affirmation, d'une fake news. Mais ce n'est de loin pas la première fois qu'une information volontairement trompeuse apparait sur la toile.

Médias alternatifs en Suisse

La chaîne HOCH2 TV n'est qu'une des nombreuses plateformes qui diffusent de telles «informations». Ces médias dits alternatifs comme Uncut-News, Legitim ou Klagemauer TV se définissent comme des portails apportant «la vraie vérité», loin de l'auto-censure qui se serait peu à peu imposée au sein des journaux, radios et TV traditionnels. «Après des décennies de médias subventionnés qui se sont constamment éloignés d’un journalisme critique, (...) le temps est venu de revenir à un journalisme véridique. Nous réussirons!», peut-on lire sur le site de HOCH2.

La plupart de ces médias diffuse leur propagande déguisée via le réseau social Telegram. Une liste de Fairmedia recense désormais plus de 200 canaux de ce type ayant un lien direct avec la Suisse. Depuis 2023, l'association observe une propagation grandissante de désinformation en Suisse.

Jusqu'à 100'000 abonnés

Les canaux Telegram identifiés par Fairmedia atteignent un public considérable. Les plus grands médias alternatifs comptent jusqu'à 100'000 abonnés, dont beaucoup proviennent aussi d'Allemagne et d'Autriche. Les thèmes traités sont donc internationaux et la politique suisse y joue au mieux un rôle secondaire. Les sujets les plus récurrents portent sur la guerre en Ukraine, la politique de Donald Trump, l'avenir de l'Allemagne et, encore et toujours, la pandémie de coronavirus et les mesures sanitaires.

Chaque jour, de nouveaux articles paraissent sur les prétendus effets secondaires des vaccins comme le «turbo-cancer» ou les liens entre la variole du singe et les doses de vaccins contre le coronavirus. Selon Tobias König, membre de Fairmedia, cela s'explique par le fait que nombre de ces médias ont soit été créés pendant la pandémie, soit ont fortement gagné en popularité pendant cette période.

La plupart des articles ne proviennent pas d'une rédaction propre, mais de blogs Internet ou sont des contributions envoyées par les lecteurs. Par exemple, Uncut-News, l'une des plus grandes plateformes de ce type, publie des articles d'activistes d'extrême droite, comme le Britannique Peter Sweden, ou de chaînes de propagande russes comme Russia Today.

Des explications complètement à l’ouest

Toutes les informations ne sont pas aussi manifestement fausses que celle sur les «fils mystérieux». Souvent, les médias alternatifs brouillent la frontière entre les rapports factuels et les fausses allégations.

Par exemple, un reportage de Klagemauer TV a repris un événement bien réel. En Grande-Bretagne, des élevages utilisent un additif alimentaire appelé Bovaer, qui est censé réduire jusqu'à 30% les émissions de méthane des vaches. Mais l'article ne se contente pas de remettre en question le fait que les vaches soient nuisibles au climat. Il suggère également que le Bovaer est nocif pour la des humains lorsqu'on consomme la viande de l'un de ces animaux.

Or, il n'y a aucune preuve de cela, ni dans l'article, ni ailleurs. Des études montrent que la substance active contenue dans l'additif alimentaire ne passe ni dans le lait ni dans la viande et qu'elle est parfaitement inoffensive pour l'homme et l'animal. De plus, l'article établit un lien avec... Bill Gates. Certes, un groupe soutenu par ce dernier a investi dans une entreprise visant à réduire les émissions de méthane des vaches, mais cette dernière n'a rien à voir avec le Bovaer.

Installer un climat de méfiance

Qu'un journaliste ou un lecteur porte un regard critique sur une évolution technologique ou un tournant que prend la société est légitime et très important. Mais lorsque des affirmations non étayées sont présentées comme des faits et que de fausses corrélations sont construites, cela devient très dangereux. Si la frontière entre faits et spéculation s'estompe, alors un climat de méfiance s'installe, et il devient alors très difficile de le chasser avec des arguments objectifs.

«
La peur d'être contrôlé par une élite se retrouve au cœur de nombreux articles
Tobias König, membre de l'association Fairmedia
»

D'ailleurs, dans ces médias de désinformation, des personnalités puissantes (Comme Bill Gates justement) ou des organisations mondiales (Comme le WEF ou le GIEC) sont présentés comme étant à l'origine d'évolutions sociétales dénoncées comme étant radicales par ces groupes. «La peur d'être contrôlé par une élite se retrouve au cœur de nombreux articles», explique Tobias König.

Une honnêteté à échelle variable

Le niveau de transparence des acteurs dissimulés derrière ces plateformes et canaux est pour le moins fluctuant. Si certains ne se cachent pas, comme le Zurichois Roger Bittel ou le théoricien du complot tessinois Daniele Ganser, il n'est par exemple pas possible de savoir au premier coup d'œil qui se cache derrière Klagemauer TV. Une recherche a néanmoins dévoilé qu'il s'agit du prédicateur suisse d'extrême droite Ivo Sasek, également dirigeant de la secte Génération Christ Organique.

De son côté, Tobias König suppose que de nombreuses personnes croient fermement à leur vision du monde et qu'ils veulent en «informer» d'autres personnes. Mais il existe également des campagnes d'information délibérément fausses, comme actuellement en Russie.»Ces machinations ont un objectif clair: diviser les sociétés occidentales», conclut Tobias König.

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