Ils s’insurgent contre la «servitude de l’État», contre la «dictature du gouvernement», contre les médias ou contre toute nouvelle mesure anti-Covid. Ils s'appellent «Amis de la Constitution», «Mass-Voll» (Juste mesure, jeu de mot en allemand avec la «coupe est pleine»), «Alliance des cantons primitifs» ou «Réseau liberté vaccinale», et ils protestent contre toute nouvelle mesure anti-covid, emplissant les rues de petites comme de grandes villes et réunissant des milliers de personnes d'horizons divers.
Ces nouveaux mouvements citoyens, nés durant la crise et qui ont tous en commun un rejet du pouvoir de l'état, sont sans conteste l'un des phénomènes politiques les plus discutés en ce moment. Leur émergence profite surtout à un parti traditionnel: l'UDC.
L’espoir d’un coup de pouce pour les préoccupations de l’UDC
D’importants représentants de l’UDC affirment qu’il faut se réjouir que les citoyens se politisent. Et pour cause, cette mobilisation partage de nombreuses affinités avec leur ligne politique: «Ces mouvements demandent un État allégé – tout comme nous», explique le conseiller national UDC Gregor Rutz. Ces similitudes sont effectivement difficiles à ignorer: tous militent pour moins d’intervention de l’Etat, plus de libertés et plus d’autodétermination. Et la réticence vaccinale est légion parmi les adhérents de l'UDC.
Plusieurs membres du parti espèrent que ces mouvements citoyens sceptiques de la politique fédérale donneront un élan à leurs préoccupations. L’UDC en a désespérément besoin: mis à part la réussite de sa campagne contre la loi CO2, qu'elle doit en grande partie à la grogne des agriculteurs, le plus grand parti ne fait plus beaucoup parler de lui. Ses thèmes de prédilections, l'immigration et l'UE, n'occupent pas le devant de la scène: les chiffres de l'immigration sont bas, et l'UDC a obtenu ce qu'elle voulait avec la fin des négociations avec l'UE. L'UDC était donc en manque de thématique pour mobiliser son électorat.
Le Covid pourrait changer la donne. Le géographe politique Michael Hermann observe une repolitisation des électeurs conservateurs depuis quelques mois, «ce qui conduit l’UDC à recevoir à nouveau plus d’attention.»
Gregor Rutz parle d’un «élan intéressant»
Josef Ender, l’un des organisateurs des rassemblements contre les mesures Covid de ces derniers mois, estime que «une bonne partie de la population se sent abandonnée par le gouvernement.» Beaucoup n’étaient pas politisés avant de s’engager dans son mouvement. «Toutes ces interdictions et réglementations ont fait déborder le vase».
Le conseiller national UDC pense que ces mouvements citoyens sont un «élan intéressant» à exploiter pour son parti. «Cela peut aider l’UDC à recadrer ses préoccupations». L'UDC soutiendra certainement le référendum contre la loi Covid, prenant ainsi le train en marche, puisque ce sont les «Ami.e.s de la Constitution» ou les Jeunes UDC qui ont récoltéles 50'000 signatures requises pour le référendum en un temps record.
Ces mouvements permettent à l’UDC de se repositionner comme opposante de l'establishment politique, un rôle qu'elle affectionne. Elle gagnerait potentiellement plus de capital politique si le référendum était rejeté aux urnes le 28 novembre.
Les covidosceptiques et l'UDC cultivent en outre la même méfiance à l'égard des médias «mainstream», qui relaieraient une pensée unique. L'UDC se bat également contre la loi sur les subventions aux médias. Pour l'instant, une alliance avec les mouvements contestataires n'est pas prévue, ces derniers ne voulant pas être réduits au statut de porte-étendard de l’UDC.
L’UDC «en partie responsable de la misère actuelle»
Nicolas Rimoldi, coprésident d’un mouvement de jeunesse suisse-alémanique marginal, est sûr de lui: «Notre mouvement n’a pris une telle ampleur que parce que les partis établis ne représentent pas la position des jeunes.» Parmi eux, des jeunes de tous bords – on y rencontre autant des écologistes que des conservateurs. Ils seraient déjà plus forts que n’importe quel parti de jeunes, se félicite le Lucernois.
Nicolas Rimoldi espère que l’UDC soutiendra le référendum contre le certificat Covid. «Mais si l’UDC avait fait preuve de plus de sérieux, elle se serait déjà engagée lors du premier référendum contre la loi Covid». À cet égard, le parti est «en partie responsable de la misère actuelle».
Josef Ender, de l'«Action Alliance des cantons primitifs», est nettement plus diplomate. «Nous ne nous considérons pas comme des alliés de l’UDC», précise-t-il. Mais il commente aussi avec dépit: «L’UDC est le seul parti qui surveille encore les personnes au pouvoir. Il n’y a personne d’autre.»
Une concurrence sérieuse pour l’UDC?
De quels partis les «Ami.e.s de la Constitution» se rapprochent-ils politiquement? L’association n’a pas voulu commenter la question. Nous savons néanmoins que leurs représentants ont contacté des politiciens de l’UDC ainsi que des conseillers nationaux d’autres partis, qui n’ont pas voulu coopérer. L’UDC confirme. Mais ce n’est pas forcément parce qu’elle n’est pas en accord avec les idées véhiculées par le mouvement: le conseiller national zurichois Alfred Heer, par exemple, y voit un avantage stratégique. «Politiquement, il est parfois bon que l’expéditeur ne soit pas l’UDC, mais quelqu’un d’autre, comme les 'Amis de la Constitution». Ils s’adressent effectivement à un électorat plus large que celui de l’UDC. «Ce qui peut nous aider lors de référendums ou d’initiatives», commente Alfred Heer.
Inversement, la question se pose aussi: le parti sera-t-il confronté à une plus grande concurrence à cause de l’influence politique de ces groupes? Christoph Blocher avait déjà prévenu qu’il ne faudrait pas de partis plus à droite de l’UDC. Le vice-président Franz Grüter écarte cette possibilité: «Ce ne serait un danger que si nous, l’UDC, nous retranchions tellement qu’un vide apparaissait sur notre droite. C’est une tendance que je ne vois pas se profiler.»
En outre, l’UDC existera encore dans deux ans, alors que l’existence de ces mouvements citoyens dépend beaucoup plus des circonstances extérieures précises. Si la pandémie ne devait plus occuper l'actualité dans deux ans, l’intérêt qu’elle suscite risque de diminuer considérablement. Et, avec ça, le poids politique des mouvements qui sont basés sur elle.