Le cauchemar d'une coiffeuse à Lucerne
Son salon sent les toilettes pendant une décennie, le propriétaire ne fait rien

À Lucerne, une coiffeuse et sa mère se battent contre une odeur fétide persistante dans leur salon de coiffure. Pendant plus d'une décennie, leurs courriers envoyés au bailleur et au propriétaire - la banque Credit Suisse - sont restés sans réponse.
Publié: 05.12.2022 à 21:22 heures
|
Dernière mise à jour: 05.12.2022 à 22:06 heures
1/7
Anja Schmid (à gauche) et sa mère Katrin Landolt ont dû se battre pendant plus d'une décennie pour que le problème d'odeurs fétides dans leur salon de coiffure soit réglé.
Photo: Thomas Meier
Christian Kolbe

En 2011, une coiffeuse de Lucerne et sa mère entament un cauchemar qui durera plus d’une décennie. Il s’agit d’espoirs déçus, de beaucoup de cœur à l’ouvrage et d’une affaire qui sent le roussi. Ou comme le dirait Katrin Landolt: «Il s’agit de l’impuissance des petits face à la toute-puissance des grands.» Et de la manière dont une solution simple permet d’éliminer un gros problème.

Au printemps 2011, sa fille Anja Schmid revient en Suisse après un séjour linguistique à Londres. La coiffeuse de formation rêve d’avoir son propre commerce et se met à la recherche de locaux adéquats avec sa mère.

Des promesses sans lendemain

Elles trouvent ce qu’elles cherchent à Lucerne, au Lakefront Center, juste derrière le centre de culture et de congrès. Un grand complexe de logements et de bureaux qui abrite également un hôtel. L’agent immobilier ne tarit pas d’éloges sur l’emplacement, la proximité de l’hôtel, les clients internationaux, les nombreux employés – sur tous les clients potentiels qui n’attendaient que l’ouverture d’un salon de coiffure dans le quartier. Autant de promesses qui s’avèrent bientôt infondées.

La mère et la fille sont convaincues et n'hésitent pas une seule seconde: elles louent un local commercial dénudé non loin de l'entrée de l'hôtel. En l’espace de quelques semaines, elles le transforment en un salon de coiffure mondain, dans lequel elles mettent beaucoup de cœur et sont attentives au moindre détail. «Nous avons dû tout installer nous-mêmes», raconte Anja Schmid dans un entretien avec Blick. Toutes les conduites d’eau et d’électricité, un système d’arrosage et la ventilation.»

Une odeur infecte «insupportable»

Une fois les artisans partis et le salon de coiffure ouvert, les clients espérés n’arrivent pas, tandis qu'une odeur de matières fécales se fait de plus en plus sentir dans le local - surtout les jours de grande chaleur. «C’était insupportable, je devais régulièrement fermer le magasin pendant plusieurs jours», se souvient Anja Schmid. Lorsque les clientes annulent leurs rendez-vous à cause de l’odeur, la coiffeuse fond en larmes. L’argent vient à manquer, alors que les crédits doivent être remboursés.

Toutes les plaintes des deux femmes sont rejetées par le bailleur, une société immobilière locale, et la gérance. La puanteur persiste. Un technicien du bâtiment soupçonne un problème dans le système d'aération, mais celui-ci fonctionne parfaitement.

Credit Suisse, propriétaire de l'immeuble, ne fait rien

Désespérées, les deux femmes se tournent vers le propriétaire de l’immeuble: Credit Suisse. Le Lakefront Center fait partie du portefeuille d’un fonds immobilier de la deuxième banque du pays. «Nous voulions en appeler à la responsabilité morale de la grande banque», explique Katrin Landolt, la mère.

En 2014, un courriel adressé au président du conseil d’administration reçoit une réponse aimable, mais sans engagement. Rien d’étonnant. À l’époque, Urs Rohner a bien d’autres soucis que de s’occuper des besoins d’un salon de coiffure: il doit surtout régler l'amende de plusieurs milliards de la banque dans le litige américain.

Les litiges avec les sous-locataires relèvent normalement de la compétence du locataire principal - raison pour laquelle la banque helvétique ne se sent aucunement responsable de la situation. Mais au printemps 2021, le fonds immobilier de Credit Suisse reprend directement tous les contrats de location de l'immeuble dans lequel se trouve le salon de coiffure. Les deux femmes reprennent alors espoir. Depuis Lucerne, elles envoient de nombreuses lettres recommandées à l'ancien directeur-général du groupe Thomas Gottstein et au président de Credit Suisse, Axel Lehmann.

Après une décennie de galère, une solution simple

Mais pendant encore une année supplémentaire, une odeur nauséabonde continue de flotter de temps à autre dans le salon de coiffure. Ce n’est qu’à l’approche de l’assemblée générale de Credit Suisse de cette année que les choses commencent réellement à bouger et que les deux femmes font monter la pression: «J’ai copié plusieurs fois toute la correspondance échangée depuis dix ans, si Credit Suisse ne me téléphone pas dans les prochains jours et ne me laisse pas entrevoir un accord équitable, je ne pourrai pas m’empêcher de chercher de l’aide ailleurs. Si peu de temps avant l’AG, je suis sûre de l’obtenir», peut-on lire dans une lettre recommandée envoyée par Anja Schmid en avril 2022 à la direction du groupe bancaire.

Même si la banque, interrogée par Blick, nie tout lien direct avec l’AG, les choses se sont subitement accélérées à l’époque. En juin, deux experts immobiliers de la banque visitent le salon de coiffure et proposent qu'un sanitaire se rende sur place le jour-même. Celui-ci trouve dans l’arrière-boutique un tuyau d’évacuation des eaux usées inutilisé, mais mal fermé, qui se termine dans la canalisation du bâtiment. Un simple filtre, vendu quelques francs, permet de fermer le tuyau de manière à ce qu’il soit imperméable aux odeurs. Depuis ce jour, plus aucune odeur fétide ne règne dans le salon de coiffure d’Anja Schmid. Et le groupe Credit Suisse a présenté ses excuses «en bonne et due forme».

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la