La vérité derrière l'escalade au Palais fédéral
Comment expliquer qu'un conseiller national en vienne aux mains

Des documents inédits montrent ce qu'il s'est réellement passé après que Thomas Aeschi, conseiller national et président du groupe UDC de l'Assemblée fédérale, a eu une altercation avec des policiers en juin passé, sous la Coupole fédérale.
Publié: 24.11.2024 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 24.11.2024 à 09:16 heures
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Le 12 juin, une bagarre a éclaté au Palais fédéral. Thomas Aeschi semble avoir eu un hématome au bras droit.
Photo: zvg
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Reza Rafi

Il n'a suffi que de quelques minutes pour altérer son image publique. Depuis le 12 juin, Thomas Aeschi, conseiller national zougois et président du groupe parlementaire de l'Union démocratique du centre (UDC) au Parlement fédéral, est considéré comme un homme rustre, capable de frapper non seulement sur le plan rhétorique, mais aussi au sens propre du terme.

Ce jour-là, en marge de la visite du président du Parlement ukrainien, Thomas Aeschi et son collègue de parti Michael Graber en sont venus aux mains avec des membres de la police fédérale. Les images de la «bagarre» sur les marches du Palais fédéral se sont propagées à une vitesse fulgurante. Depuis, Thomas Aeschi n'arrive plus à se défaire des gros titres, d'autant plus qu'il a une plainte pénale sur le dos.

Un récit encore flou

Dans l'émission «Arena» de la SRF diffusée la semaine dernière, le coprésident du Parti socialiste (PS) Cédric Wermuth a déclaré que Thomas Aeschi avait «attaqué des policiers». Lundi, la commission d'immunité du Conseil national a examiné la proposition du Ministère public de la Confédération de lever la protection immunitaire de l'élu UDC contre les poursuites pénales. La décision a été reportée.

Mais que s'est-il réellement passé ce 12 juin? Jusqu'à présent, le récit est encore flou. Nous avons ainsi analysé divers dossiers sur lesquels s'appuie la commission d'immunité: la requête du 31 juillet du conseiller national auprès des autorités de poursuite pénale, l'échange de courriels entre le chef d'intervention de la police fédérale, F. H.*, et Thomas Aeschi le lendemain de l'événement, ainsi que d'autres documents classés «confidentiels». Ils permettent de retracer la manière dont le politicien, toujours tiré à quatre épingles, a été pris dans une shitstorm (situation chaotique, ndlr) incontrôlable.

Des hématomes sur le bras

Dans sa requête adressée au Ministère public de la Confédération, Thomas Aeschi décrit minutieusement comment l'incident s'est produit. Le mercredi 12 juin, après un vote parlementaire, il aurait quitté la salle du Conseil national «vers 10 heures» pour se rendre «par le chemin habituel», via l'escalier principal ouest du hall du Palais fédéral, à la salle de travail n°55 réservée aux parlementaires. Il voulait y «poursuivre le travail parlementaire».

Sur les marches, se tenait «un seul assistant de sécurité», qui indiquait au conseiller national que «dans quelques minutes, le président du Parlement ukrainien, Ruslan Stefanchuk, était attendu pour une photo avec le président du Conseil national socialiste, Eric Nussbaumer, devant les trois Confédérés».

Le conseiller national dit avoir «poliment indiqué» à l'assistant de sécurité qu'il «ne descendrait que les onze marches restantes de l'escalier» pour continuer à travailler dans la salle, située au rez-de-chaussée. Il serait donc passé à droite de l'homme, qui l'aurait «saisi par derrière», ce qui l'aurait «effrayé». Il a alors tenté de «protéger son visage des blessures» tout en «se tenant à la personne qui l'attaquait». Le moment est immortalisé sur des photos. La chemise de Thomas Aeschi aurait été «déchirée sous l'aisselle droite» et des «hématomes» lui auraient été infligés sur le bras droit, ce qu'il a documenté par des photos.

La fable de la barrière de sécurité brisée

À en croire son récit, les rapports sur un prétendu barrage de sécurité que l'élu aurait franchi se révèlent donc faux; il n'y en avait aucun sur le lieu où s'est déroulé l'événement. L'information selon laquelle Thomas Aeschi se serait disputé avec plusieurs hommes en uniforme était tout aussi trompeuse. Le second agent ne serait intervenu qu'à la fin de l'altercation.

«
Depuis mon assermentation en tant que conseiller national, je me suis toujours senti protégé par les assistants de sécurité de l'Office fédéral de la police (Fedpol) et il n'y a jamais eu d'incident
Thomas Aeschi, conseiller national UDC
»

Dans sa déclaration à l'attention du Ministère public de la Confédération, le politicien indique par ailleurs qu'il a toujours entretenu de bonnes relations avec les forces de sécurité. «Depuis mon assermentation en tant que conseiller national il y a bientôt 13 ans, le 5 décembre 2011, je me suis jusqu'à présent toujours senti bien protégé par les assistants de sécurité de l'Office fédéral de la police (Fedpol) dans le bâtiment du Parlement, et il n'y a jamais eu d'incident.»

De plus, la plupart des agents de la police fédérale connaîtraient les parlementaires par leur nom. Thomas Aeschi explique que «le visage de l'assistant de sécurité de Fedpol qui a déchiré mon bras droit» ne lui a toutefois pas semblé familier.

Une première discussion avec la police et un mail explosif

Peu après la rencontre, vers 10h30, une première discussion a eu lieu dans la salle 287 du Palais fédéral, à laquelle ont participé Thomas Aeschi et deux représentants de la police fédérale, dont le chef d'intervention responsable F. H.*.

Un échange d'e-mails le lendemain entre F. H. et l'élu est révélateur. A 10h02, le chef d'intervention a contacté le parlementaire, lui assurant qu'il est à sa «disposition». Ce à quoi le politicien a répondu, à 11h59, qu'il souhaitait volontiers s'entretenir avec les deux collaborateurs de Fedpol «avec lesquels j'ai eu un contact hier». L'objectif du député zougois était «de connaître les noms des deux collaborateurs de Fedpol et d'entendre leur point de vue sur l'incident». 

Après la pause de midi, à 13h42, le chef d'intervention a toutefois balayé la proposition du politicien: «Nous vous remercions de votre proposition d'entretien. Du côté de Fedpol, nous renonçons pour l'instant à un entretien avec vous et les deux assistants de sécurité.» Le responsable voulait épargner à ses collaborateurs une rencontre directe. Mais le même e-mail est suivi d'une phrase révélatrice et explosive: «Je vous assure qu'ils vous rencontreront à l'avenir de manière professionnelle.» Des propos qui viennent appuyer la version de Thomas Aeschi, le responsable de la police semblant considérer la démarche de ses hommes comme non professionnelle.

La volte-face de la police fédérale

Mais ce n'est pas aussi simple que cela. Une semaine plus tard à peine, le 19 juin, une première analyse du service de sécurité est publiée sur l'affaire. Et le 24 juin s'ensuit le rapport de Fedpol. Dans les deux documents, toute nuance et tout semblant d'autocritique de la part du chef d'intervention semblent avoir disparu comme par enchantement. Au lieu de cela, F. H. se contente d'évoquer le «dispositif de sécurité défini sur la base du niveau de risque élevé», auquel les agents se sont tenus. 

Cette volte-face dans le traitement de l'affaire s'explique probablement par le fait que les responsables voulaient protéger leurs collaborateurs, au détriment de Thomas Aeschi.

Une meilleure communication exigée

A cela s'ajoute un manque de communication. Les 246 parlementaires n'auraient pas été informés au préalable par les canaux officiels de la visite du politicien ukrainien, ainsi que des normes sécuritaires imposées. «Même le président du Conseil national n'aurait pas été informé du dispositif de sécurité, selon Thomas Aeschi. Impossible donc d'informer les membres de l'Assemblée fédérale. 

Le problème a bien été admis, comme le montre un document daté du 23 août du Bureau du Conseil national («Restrictions d'accès au Palais fédéral lors de visites d'Etat ou d'autres manifestations»), qui n'a pas été pris en compte. «Le bureau avait demandé que les parlementaires soient informés des restrictions d'accès au Palais fédéral lors de visites à l'étranger» et que les chefs de groupe soient «informés plus concrètement» lors des visites officielles.

Sur la base de tous ces points mentionnés antérieurement, Thomas Aeschi avait mis la charrue avant les bœufs et demandé dans sa requête du 31 juillet au Ministère public de la Confédération d'examiner «s'il y avait un délit officiel de la part de Fedpol». Interrogé, Thomas Aeschi n'a pas souhaité s'exprimer sur l'affaire.

* Nom connu de la rédaction

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