La guerre fiscale s'intensifie
Les cantons à la fiscalité attrayante veulent offrir encore plus de cadeaux aux riches

Les cantons de Suisse centrale prévoient de nouvelles baisses d'impôts pour les particuliers. Zoug, Schwytz et Nidwald veulent alléger la charge fiscale l'année prochaine. Mais ces baisses inquiètent: le déséquilibre entre les cantons sera-t-il bientôt trop important?
Publié: 11:11 heures
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Les cantons de Suisse centrale prévoient de nouveaux allègements fiscaux.
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Joschka Schaffner

La Suisse centrale cultive la guerre fiscale. Les cantons avec une imposition déjà attrayante prévoient à nouveau des allègements pour l'année prochaine: les cantons de Zoug, Schwytz et Nidwald baissent leurs taux ou tarifs d'imposition pour les particuliers. Dans le canton de Lucerne, on discute aussi ardemment de nouvelles baisses afin de ne pas se laisser distancer.

Dans le reste de la Suisse également, des appels répétés à alléger le fardeau de la classe moyenne se font entendre. Que ce soit dans les cantons des Grisons, de Berne ou d'Argovie, les forces bourgeoises font régulièrement pression pour que les impôts soient bas, alors même que certains cantons ne peuvent guère se le permettre. Mais quel est l'impact de cette guerre fiscale sur la Suisse?

L'impôt minimum de l'OCDE fait couler l'argent à flots

En adoptant l'impôt minimum de l'OCDE, chacun espère pouvoir récupérer sa part du gâteau: les recettes supplémentaires devraient enfin jaillir. La Confédération a décidé de laisser la majeure partie des recettes aux cantons – pour favoriser le développement économique. C'est pourquoi, en particulier dans le paradis fiscal qu'est la Suisse centrale, des efforts sont déployés pour réduire l'impôt minimum.

Les cantons argumentent souvent selon le même modèle: les pertes à court terme doivent être rapidement compensées par des recettes supplémentaires. D'une part, parce qu'une charge allégée permettrait aux familles de mieux concilier travail et enfants. D'autre part, parce que cela permettrait à davantage d'entreprises de s'installer dans ces paradis fiscaux.

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La concurrence fiscale permet aux cantons de rester en forme et proches des besoins des électeurs
Martin Mosler de l'Institut de politique économique suisse (IWP)
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«Dans les cantons à faible fiscalité, la philosophie n'est pas 'nice to have' mais plutôt 'need to have'», explique Martin Mosler de l'Institut de politique économique suisse (IWP). Le département économique libéral de l'Université de Lucerne défend bec et ongles la politique fiscale suisse. En effet, «la concurrence fiscale permet aux cantons de rester en forme et proches des besoins des électeurs», explique Martin Mosler.

L'EPFZ met en garde contre les inégalités

Dans les milieux de gauche, la démarche suscite toutefois aussi des critiques. La mentalité du «nice to have» fait en sorte que les allègements accordés à la «classe moyenne» et aux riches permettent d'économiser en particulier sur les prestations sociales. «Ces différents paquets d'impôts et de prestations étatiques ne sont pas imposés par un dictateur, mais sont souhaités par les électeurs», répond Martin Mosler.

D'autres instituts économiques voient cependant cette évolution d'un œil plus critique que l'IWP. La concurrence fiscale conduit à une «ségrégation de la population», écrit par exemple le Centre de recherches conjoncturelles de l'EPFZ (KOF) dans une analyse. Les cantons les mieux lotis prennent en charge les riches, les plus pauvres se contentent du reste. En conséquence, les prix des logements augmentent dans les cantons à faible fiscalité et les prestations sociales dans les îlots à forte fiscalité.

Les profiteurs continuent de profiter

A cela s'ajoute le contexte international. Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, met régulièrement en garde contre le fait que les entreprises peuvent pratiquer le «dumping fiscal» dans notre pays grâce à la politique fiscale basse de la Suisse. Ainsi, les bénéfices seraient imposés ici au lieu de l'être dans le pays où ils sont générés. Ce sont donc les pays du Sud qui paient les conséquences de cette politique financière.

Les millions de l'OCDE subventionnent justement les cantons qui ont déjà des impôts bas, met en garde Alliance Sud. Ils n'en ont pas besoin: ces dernières années déjà, des excédents considérables ont toujours atterri dans les caisses des cantons. Cela ne fait qu'alimenter les inégalités.

D'autres cantons se lancent dans la guerre fiscale

Parallèlement, l'argent suscite l'envie d'autres cantons de se lancer dans la compétition fiscale. En mai de cette année, la population argovienne s'est prononcée en faveur d'une baisse d'impôt. Et le canton de Berne veut lui aussi alléger sa charge fiscale à partir de 2026, malgré un important déficit budgétaire.

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Le canton doit établir des priorités dans ses dépenses publiques et rendre l'administration encore plus efficace
Martin Mosler de l'Institut de politique économique suisse (IWP)
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Martin Mosler voit cette initiative comme un signal positif. «Cette réaction montre l'effet disciplinant de la concurrence fiscale», dit-il. «Le canton doit établir des priorités dans ses dépenses publiques et rendre l'administration encore plus efficace afin de pouvoir faire face à la concurrence des autres cantons.»

Selon Martin Mosler, la «spirale descendante malsaine» serait de toute façon contrecarrée par la péréquation financière nationale. C'est également le constat du KOF. Malgré tout, il dresse un bilan dans son analyse: ceux qui partagent l'idée d'un Etat «allégé» sont du côté de la concurrence fiscale. En revanche, ceux qui aspirent à l'égalité sociale sont plus susceptibles de s'y opposer.

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