«J'ai cru que j'allais mourir»
Porteuses d'implants mammaires, elles souffraient d'une maladie qui n'est pas reconnue

Une maladie non reconnue par l'OMS fait souffrir de nombreuses femmes après la pose d'implants mammaires. Les symptômes extrêmement variés compliquent aussi bien la vie des patientes que le diagnostic. Une étude de l'hôpital cantonal d'Aarau pourrait changer la donne.
Publié: 12.12.2022 à 12:11 heures
|
Dernière mise à jour: 12.12.2022 à 12:12 heures
Melanie, 22 ans, debout, et Sandra, 26 ans, ont développé d'étranges symptômes depuis la pose de leurs implants mammaires.
Photo: Nathalie Taiana
Michael Sahli

La pose d’implants mammaires concerne des milliers de femmes chaque année en Suisse. Certaines rêvent d’une poitrine plus généreuse. D’autres y ont recours pour des raisons de santé ou de reconstruction après une maladie. Si l’opération n’est jamais totalement anodine, pour certaines femmes, l’intervention tourne au cauchemar.

Après la pose d’implants en silicone, certaines patientes sont frappées par une maladie pas encore reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), mais déjà nommée par les femmes touchées. On parle de Breast Implant Illness (BII), ou maladie des implants mammaires.

Aucune complication au moment de l’opération

«Nous voulons avertir les femmes qu’une augmentation mammaire n’est pas une intervention anodine», explique Melanie*, 22 ans, originaire du canton d’Argovie. Sa consœur zurichoise Sandra**, 26 ans, ajoute: «Le fait que notre maladie ne soit pas reconnue par l’Organisation mondiale de la santé rend les choses très difficiles pour les personnes concernées.»

Les deux femmes ont des histoires différentes et ont appris à se connaître à travers la maladie. Mélanie s’est fait opérer dans une clinique suisse réputée, pour 13’000 francs. Sandra, quant à elle, s’est rendue à Prague, où elle a déboursé 3000 francs pour une intervention similaire. Aucune d’entre elles n’a connu de complications pendant l’intervention. L’après-opération, en revanche, a changé à jamais leur quotidien.

Errance médicale et absence de diagnostic

«Après l’opération de 2018, je suis devenue de plus en plus malade de mois en mois, par poussées, raconte Sandra. J’avais des collapsus cardiovasculaires, de la fièvre, des douleurs, des infections, des problèmes cardiaques et autres.» Les symptômes ont poussé la Zurichoise à bout: «Je pensais que j’allais mourir, je ne pouvais même plus sortir du lit.»

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Melanie a connu une situation semblable. Cette mère célibataire travaille la nuit dans les soins afin d’avoir du temps pour son fils pendant la journée. «J’ai toujours été très active», assure l’Argovienne. Mais après son opération du sein en mars 2021, rien n’allait plus: «Les symptômes allaient du brouillard cérébral à la perte de cheveux.»

L’errance médicale et le délai avant de poser un diagnostic sont les choses qui lient le plus les deux femmes. «Les médecins ne pouvaient pas m’aider. Depuis mon opération en 2018, j’ai dû subir 30 examens différents chez des dizaines de médecins. Rien ne m’a aidé», déplore Sandra.

Finalement, les compagnes d’infortune ont trouvé des réponses à leurs interrogations sur Internet, auprès d’un groupe d’entraide de femmes concernées. C’est là que tout a pris sens pour elles. Elles ont compris que les implants pouvaient être responsables de leur état.

Menaces d’amende de la part de la clinique

Melanie s’est finalement tournée vers l’hôpital cantonal d’Aarau, qui avait déjà de l’expérience avec cette maladie: «Là-bas, on m’a retiré les implants en octobre 2022. Après cela, les symptômes ont disparu aussi vite qu’ils étaient apparus.»

La jeune femme se dit aujourd’hui déçue par la clinique suisse qui lui a posé les implants: «On m’a simplement laissée tomber et on ne m’a pas prise au sérieux. Comme si mes symptômes étaient simplement le fruit de mon imagination.»

Pire encore: la clinique a déclaré être prête à prendre en charge une partie des frais occasionnés par le retrait des implants à l’hôpital cantonal d’Aarau… mais à une condition: «J’ai dû signer un contrat stipulant que je ne parlerais pas de la clinique en public. Sinon, je dois payer une amende de 18’000 francs.»

Après le retrait de ses implants à l'hôpital cantonal d'Aarau, les symptômes de Melanie ont disparu.
Photo: Nathalie Taiana

Sandra, sa compagne d’infortune, a eu encore moins de chance. Ses symptômes n’ont pas diminué après le retrait des implants chez un chirurgien esthétique suisse. «J’ai toujours des taux d’inflammation très élevés», se lamente-t-elle. On ne sait pas si elle sera un jour à nouveau asymptomatique.

Un manque de connaissance criant

À l’hôpital cantonal d’Aarau, des femmes souffrant de troubles après la pose d’implants mammaires viennent régulièrement consulter, explique Jan Plock, médecin-chef en chirurgie plastique. «Au cours des deux dernières années, nous avons traité environ 30 à 40 patientes de ce type. Nous avons pu en aider beaucoup en retirant les implants», assure le spécialiste.

Jan Plock est convaincu de l’existence de la maladie des implants mammaires. Il est toutefois conscient que le manque de connaissance sur le sujet rend d’autant plus difficile sa définition claire.

Lorsque les patientes viennent consulter le spécialiste, elles ont souvent déjà un long parcours de souffrance derrière elles, poursuit le chirurgien: «C’est un grand problème que ces patientes ne trouvent parfois aucune aide pendant des années, et qu’elles ne soient pas vraiment prises au sérieux.»

Jan Plock, médecin-chef en chirurgie plastique, explique avoir traité environ 30 à 40 patientes en deux ans pour des symptômes liés à leurs implants mammaires.
Photo: Philippe Rossier

Une étude en cours pour y voir plus clair

L’un des problèmes du diagnostic réside dans l’étendue des symptômes possibles déclenchés par la maladie. Ces derniers vont de la perte de cheveux aux troubles gastro-intestinaux. Jusqu’ici, les médecins procèdent par élimination pour poser le diagnostic: ils écartent la possibilité que les patientes soient atteintes d’autres pathologies jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’implant mammaire comme unique source possible des symptômes.

Pour faire avancer la connaissance et améliorer les possibilités de diagnostic, Jan Plock mène actuellement une étude: «Nous faisons des prises de sang avant et après le retrait des implants. Et nous verrons si des modifications sont décelables, ce qui permettrait d’expliquer la maladie avec plus de précision.»

Si les expériences sont concluantes, l’existence de la maladie des implants mammaires pourrait enfin être prouvée. Et épargner ainsi aux femmes concernées le poids de l’incertitude et de l’impuissance.

*Nom connu de la rédaction

**Nom d’emprunt

(Adaptation par Louise Maksimovic)

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la